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L'interprétation des clauses anti-abus contenues dans les conventions fiscales bilatérales

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par Till JOUAUX
Université Lumière Lyon 2 - Master 2 Droit Privé Général 2010
  

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Section 2 - Les exclusions ponctuelles

À défaut de définition conventionnelle de la notion, le recours aux clauses anti-abus de bénéficiaire effectif peut apparaître laborieux pour les États dans leur lutte contre l'abus des conventions. C'est la raison pour laquelle ils ont parfois cédé à la simplicité et sacrifié à la logique de la notion de bénéficiaire effectif pour éliminer du bénéfice des mécanismes conventionnels catégoriels des situations précises et limitées ; on peut parler de clauses d'exclusion ponctuelles.

La France, pourtant favorable aux notions d'assujettissement à l'impôt et de bénéficiaire effectif qu'elle veut étendre autant que faire se peut aux autres catégories de revenus 106, a dû quelquefois prévoir de telles clauses exclusives servant les mêmes objectifs mais ne fonctionnant pas par référence à ces concepts généraux.

Les trois motifs d'exclusion que l'on retrouve dans ces dispositions et qui sont communes aux clauses anti-abus « conceptuelles » concernent l'effectivité de l'imposition dans l'État de résidence, la réalité économique des opérations juridiques et l'identité des bénéficiaires ultimes des revenus. Elles concernent donc principalement les personnes morales. Peu de marge est laissée à l'interprétation du juge lorsque ce système est choisi par les États contractants, il lui suffit de vérifier que toutes les conditions conventionnelles sont remplies.

L'article 13 de la convention conclue avec Chypre en 1981, intitulé « Limitation des dégrèvements » prévoit tout comme les clauses de bénéficiaire effectif catégorielles une exclusion du bénéfice des mécanismes de diminution de retenue à la source pour les dividendes, les intérêts et les redevances, dans une situation à deux conditions cumulatives :

- Lorsque des personnes non résidentes d'un des États contractants « ont un intérêt prépondérant direct ou indirect » 107 dans la société résidente qui reçoit les revenus en provenance de l'autre État. Cette formulation permet d'écarter les sociétés-relais implantées à Chypre des bénéfices de cette convention qui ne prévoit pas par ailleurs le critère de bénéficiaire effectif des revenus.

- Et que cette société résidente est soumise en ce qui concerne les trois catégories de revenus, « à un impôt substantiellement moindre que celui qui frappe habituellement les bénéfices réalisés par les sociétés de cet État. » 108, ce qui correspond à la condition

106 Voir par exemple supra. n° 30.

107 Convention franco-chypriote du 18 décembre 1981, article 13 a.

108 Idem., article 13 b.

d'obligation fiscale dans des conditions normales. Or en la matière, la convention francochypriote, à l'article traitant de la résidence, exclut déjà du champ d'application de la convention les personnes non soumises à une obligation fiscale illimitée.

L'article 14 de la convention conclue avec la Suisse en 1966 prévoit quant à lui des conditions supplémentaires pour accorder ces bénéfices dans un État aux personnes morales résidentes de l'autre État contractant et dans laquelle des personnes n'étant pas résidentes de ce dernier ont un intérêt prépondérant. Ces conditions chiffrées sont relatives à la proportion de créanciers n'étant pas résidents du même État que la société. Encore un fois ces mesures visent à éviter l'interposition de sociétés-relais et l'on peut voir que la France a tenu à « verrouiller » l'accès à cette convention puisqu'une clause de bénéficiaire effectif générale y est déjà prévue de manière originale 109.

Les États-Unis quant à eux ont développé un instrument de lutte contre les abus extrêmement détaillé 110 visant à identifier de manière précise toutes les personnes pouvant ou non bénéficier des conventions qu'ils concluent, il s'agit de la clause de « Limitation on benefits » 111 ou de limitation des avantages conventionnels 112. Celle-ci, contrairement aux méthodes utilisées traditionnellement en France et par l'OCDE, est descriptive et ne renvoie pas à une définition générale du bénéficiaire de la convention.

On peut rapprocher cette divergence de rédaction de celle qui existe entre les conventions privées de droit civil et celles de common law, où quand les premières sont synthétiques et renvoient à des concepts qu'elles définissent, les secondes sont détaillées et décrivent toutes les situations à prendre en compte. Encore une fois, le rôle du juge dans pareille situation se borne à la vérification factuelle que les conditions conventionnelles sont bien remplies.

En tout état de cause, ces limitations de bénéfices accordent l'accès à la convention lorsque le résident est « qualifié » : les personnes physiques, les États contractants eux-mêmes et leurs subdivisions politiques le sont toujours, les personnes morales quant à elles doivent remplir des conditions, parfois alternatives, parfois cumulatives, tenant à l'identité de leur actionnariat, au montant de leur base imposable et à la réalité de leur activité.

Cependant lorsque la France et les États-Unis concluent une convention bilatérale,

109 Convention franco-suisse du 9 septembre 1966 modifiée par l'avenant du 22 juillet 1997, article 4 § 6a.

110 Voir pour illustration le schéma dans : A. de WAAL, La nouvelle convention fiscale franco-américaine, Revue de droit fiscal, 1995, n°40, p.1417.

111 UNITED STATES Treasury, United States Model Income Tax Convention du 15 novembre 2006, article 22.

112 Convention franco-américaine du 31 aout 1994 modifiée par l'avenant du 13 janvier 2009, article 30.

chacun des deux États entend faire valoir ses méthodes de rédaction. C'est la raison pour laquelle le traité franco-américain prévoit, en plus de ces conditions détaillées issues du modèle conventionnel propre aux États-Unis, celles de résidence, d'imposition effective, d'obligation fiscale illimitée et de bénéficiaire effectif catégorielles connues en France, qui peuvent in fine disqualifier des « résidents qualifiés » au sens américain et restreindre de manière excessive le champ d'application des conventions de lutte contre la double-imposition.

De la même manière, le modèle de convention de l'OCDE tente de faire la synthèse des deux systèmes en utilisant des procédés qui bien souvent se recoupent et ne font que compliquer les formulations.

Enfin on peut indiquer la présence dans certaines conventions conclues par la France de clauses prévoyant l'application des règles anti-abus internes (articles 209 B, 123 bis, 212, 155 A ou encore 238 du Code Général des Impôts) par la méthode de la mention expresse. À défaut de cette précision, l'utilisation des dispositions internes conduisant à imposer une personne en violation de la distribution de compétence prévue par le traité, constituerait une atteinte au principe d'exécution de bonne foi des conventions internationales.

Lorsque le recours à la législation interne est consentie par les États contractants en revanche, l'administration fiscale est en droit de mettre en oeuvre les règles internes. Elle peut donc refuser ainsi les avantages conventionnels quand ceux-ci doivent normalement se matérialiser en une exonération ou un remboursement de l'excédent de retenue à la source versé par le contribuable.

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