Section 2 - Les exclusions ponctuelles
À défaut de définition conventionnelle de
la notion, le recours aux clauses anti-abus de bénéficiaire
effectif peut apparaître laborieux pour les États dans leur lutte
contre l'abus des conventions. C'est la raison pour laquelle ils ont parfois
cédé à la simplicité et sacrifié à la
logique de la notion de bénéficiaire effectif pour
éliminer du bénéfice des mécanismes conventionnels
catégoriels des situations précises et limitées ; on peut
parler de clauses d'exclusion ponctuelles.
La France, pourtant favorable aux notions d'assujettissement
à l'impôt et de bénéficiaire effectif qu'elle veut
étendre autant que faire se peut aux autres catégories de revenus
106, a dû quelquefois prévoir de telles clauses
exclusives servant les mêmes objectifs mais ne fonctionnant pas par
référence à ces concepts généraux.
Les trois motifs d'exclusion que l'on retrouve dans ces
dispositions et qui sont communes aux clauses anti-abus « conceptuelles
» concernent l'effectivité de l'imposition dans l'État de
résidence, la réalité économique des
opérations juridiques et l'identité des
bénéficiaires ultimes des revenus. Elles concernent donc
principalement les personnes morales. Peu de marge est laissée à
l'interprétation du juge lorsque ce système est choisi par les
États contractants, il lui suffit de vérifier que toutes les
conditions conventionnelles sont remplies.
L'article 13 de la convention conclue avec Chypre en 1981,
intitulé « Limitation des dégrèvements
» prévoit tout comme les clauses de bénéficiaire
effectif catégorielles une exclusion du bénéfice des
mécanismes de diminution de retenue à la source pour les
dividendes, les intérêts et les redevances, dans une situation
à deux conditions cumulatives :
- Lorsque des personnes non résidentes d'un des
États contractants « ont un intérêt
prépondérant direct ou indirect » 107 dans la
société résidente qui reçoit les revenus en
provenance de l'autre État. Cette formulation permet d'écarter
les sociétés-relais implantées à Chypre des
bénéfices de cette convention qui ne prévoit pas par
ailleurs le critère de bénéficiaire effectif des
revenus.
- Et que cette société résidente est soumise
en ce qui concerne les trois catégories de revenus, « à
un impôt substantiellement moindre que celui qui frappe habituellement
les bénéfices réalisés par les
sociétés de cet État. » 108, ce qui
correspond à la condition
106 Voir par exemple supra. n° 30.
107 Convention franco-chypriote du 18
décembre 1981, article 13 a.
108 Idem., article 13 b.
d'obligation fiscale dans des conditions normales. Or en la
matière, la convention francochypriote, à l'article traitant de
la résidence, exclut déjà du champ d'application de la
convention les personnes non soumises à une obligation fiscale
illimitée.
L'article 14 de la convention conclue avec la Suisse en 1966
prévoit quant à lui des conditions supplémentaires pour
accorder ces bénéfices dans un État aux personnes morales
résidentes de l'autre État contractant et dans laquelle des
personnes n'étant pas résidentes de ce dernier ont un
intérêt prépondérant. Ces conditions
chiffrées sont relatives à la proportion de créanciers
n'étant pas résidents du même État que la
société. Encore un fois ces mesures visent à éviter
l'interposition de sociétés-relais et l'on peut voir que la
France a tenu à « verrouiller » l'accès à cette
convention puisqu'une clause de bénéficiaire effectif
générale y est déjà prévue de manière
originale 109.
Les États-Unis quant à eux ont
développé un instrument de lutte contre les abus
extrêmement détaillé 110 visant à
identifier de manière précise toutes les personnes pouvant ou non
bénéficier des conventions qu'ils concluent, il s'agit de la
clause de « Limitation on benefits » 111 ou de limitation
des avantages conventionnels 112. Celle-ci, contrairement aux
méthodes utilisées traditionnellement en France et par l'OCDE,
est descriptive et ne renvoie pas à une définition
générale du bénéficiaire de la convention.
On peut rapprocher cette divergence de rédaction de
celle qui existe entre les conventions privées de droit civil et celles
de common law, où quand les premières sont
synthétiques et renvoient à des concepts qu'elles
définissent, les secondes sont détaillées et
décrivent toutes les situations à prendre en compte. Encore une
fois, le rôle du juge dans pareille situation se borne à la
vérification factuelle que les conditions conventionnelles sont bien
remplies.
En tout état de cause, ces limitations de
bénéfices accordent l'accès à la convention lorsque
le résident est « qualifié » : les personnes physiques,
les États contractants eux-mêmes et leurs subdivisions politiques
le sont toujours, les personnes morales quant à elles doivent remplir
des conditions, parfois alternatives, parfois cumulatives, tenant à
l'identité de leur actionnariat, au montant de leur base imposable et
à la réalité de leur activité.
Cependant lorsque la France et les États-Unis concluent
une convention bilatérale,
109 Convention franco-suisse du 9 septembre 1966
modifiée par l'avenant du 22 juillet 1997, article 4 § 6a.
110 Voir pour illustration le schéma dans : A. de
WAAL, La nouvelle convention fiscale
franco-américaine, Revue de droit fiscal, 1995, n°40,
p.1417.
111 UNITED STATES Treasury, United States
Model Income Tax Convention du 15 novembre 2006, article 22.
112 Convention franco-américaine du 31
aout 1994 modifiée par l'avenant du 13 janvier 2009, article 30.
chacun des deux États entend faire valoir ses
méthodes de rédaction. C'est la raison pour laquelle le
traité franco-américain prévoit, en plus de ces conditions
détaillées issues du modèle conventionnel propre aux
États-Unis, celles de résidence, d'imposition effective,
d'obligation fiscale illimitée et de bénéficiaire effectif
catégorielles connues en France, qui peuvent in fine disqualifier des
« résidents qualifiés » au sens américain et
restreindre de manière excessive le champ d'application des conventions
de lutte contre la double-imposition.
De la même manière, le modèle de
convention de l'OCDE tente de faire la synthèse des deux systèmes
en utilisant des procédés qui bien souvent se recoupent et ne
font que compliquer les formulations.
Enfin on peut indiquer la présence dans certaines
conventions conclues par la France de clauses prévoyant l'application
des règles anti-abus internes (articles 209 B, 123 bis, 212, 155 A ou
encore 238 du Code Général des Impôts) par la
méthode de la mention expresse. À défaut de cette
précision, l'utilisation des dispositions internes conduisant à
imposer une personne en violation de la distribution de compétence
prévue par le traité, constituerait une atteinte au principe
d'exécution de bonne foi des conventions internationales.
Lorsque le recours à la législation interne est
consentie par les États contractants en revanche, l'administration
fiscale est en droit de mettre en oeuvre les règles internes. Elle peut
donc refuser ainsi les avantages conventionnels quand ceux-ci doivent
normalement se matérialiser en une exonération ou un
remboursement de l'excédent de retenue à la source versé
par le contribuable.
|