B. Des éducateurs dans le
quotidien des jeunes atteintes d'AM hospitalisées en psychiatrie
Entretiens avec Mesdemoiselles N.
Anthierens, E. Dondi et A. Soveges,
éducatrices à la clinique La Ramée,
réalisés en octobre 2008.
1. Pouvez-vous donner une courte définition de
l'Anorexie Mentale ?
C'est une maladie complexe et longue à traiter. C'est
une forme de langage adressé à l'autre venant d'une personne
souffrante psychologiquement. Elle est caractérisée par la triade
symptomatique : Anorexie, Amaigrissement,
Aménorrhée.
2. Quelle est la durée de l'hospitalisation des
adolescentes atteintes d'AM ?
La durée de l'hospitalisation varie de six mois
à un an.
3. Quel autre public fréquente
l'unité des TCA de l'adolescence ?
Le groupe «Ados« est formé pour 2/3 de
patients atteints de TCA (AM et boulimie) et 1/3 d'autres troubles
psychiatriques.
4. Quelles sont les caractéristiques
générales des patientes anorexiques ?
C'est un trouble complexe, il y a autant de sortes d'AM que
de patientes. Généralement, elles sont très
perfectionnistes, hyperactives, elles ne savent pas s'arrêter et manquent
de confiance en elles. Le symptôme dépressif est toujours
présent.
5. Quelles sont les implications de la patiente dans le
traitement, ses réactions ?
Le déni de la pathologie est souvent présent.
Une des premières fonctions des intervenants sera de les aider à
accepter et à reconnaître leurs troubles.
6. Pouvez-vous décrire le contrat de poids et
la procédure d'isolement ?
Le médecin va fixer différents poids. Des
poids intermédiaires donnant la permission à des sorties de
l'hôpital et des visites ; et un poids définitif de fin de
l'hospitalisation. De nombreuses patientes sortent d'hospitalisation d'urgence
avant de venir ici. Lors de l'admission, le danger létal est parfois
présent. Dans ce cas, la patiente ne pourra pas quitter l'étage
durant quelques semaines, ceci dans un but de protection. Les décisions
se font au cas par cas, en fonction de l'histoire de chacun. Rien n'est
imposé ! On travaille avec le dialogue, ici on ne parle pas
d' «isolement« mais plutôt de séparation relative,
conseillée. Il s'agit de comprendre la jeune dans son histoire, sa
réalité, son milieu.
Les entretiens avec la famille sont réguliers et les
visites sont autorisées.
7. Quelles sont vos formations ?
(Pour une) Educatrice SPécialisée et
(pour les deux autres) assistantes en psychologie. Nous suivons aussi
des formations internes en continu.
8. Pouvez-vous présenter brièvement les
membres de l'équipe éducative ?
Nous sommes six éducateurs. Il y a deux
équipes éducatives fonctionnant de 7h30 à 23h00 selon deux
horaires distincts. Le tout est coordonné par la responsable du groupe
«Ados«.
9. Quels sont les autres
membres de l'équipe multidisciplinaire et leur principal rôle
?
Médecins, infirmières et
kinésithérapeutes s'occupent des problèmes somatiques. Une
diététicienne s'occupe des menus alimentaires ; les
professeurs de «L'Escale« assurent un soutien scolaire ; une
assistante sociale fait le lien avec l'hôpital et l'extérieur, et
les animateurs du «SAAT« animent les activités
thérapeutiques.
10. Quelle place prenez-vous au sein de
l'équipe pluridisciplinaire ?
Nous n'intervenons pas dans la thérapie. Chacun a sa
place dans l'équipe et c'est important de garder son rôle
d'éducateur tout en étant en complémentarité
avec les autres intervenants.
On fait le lien avec le projet de la semaine, les cours, les
activités et les repas ; et le relais avec le médecin et les
infirmières. On veille à maintenir le respect du cadre en le
soutenant et en rappelant à l'ordre au besoin. Les rapports et les
réunions sont nombreux. C'est essentiel d'être sur la même
longueur d'ondes pour faire circuler l'information. Par notre travail de
proximité avec les jeunes, nous avons une force de transmission
importante. Parfois c'est nous qui donnons des informations précieuses
aux médecins.
11. La clinique La Ramée à cette
spécificité d'intégrer des éducateurs au sein de
son équipe. Dans ce contexte hospitalier, quel rôle particulier
l'éducateur a-t-il ?
L'idée d'intégrer des éducateurs dans
l'équipe de «La Ramée« vient du Docteur
André Passelecq et de l'influence de son
collègue français Philippe Jeammet.
Notre rôle, c'est d'accompagner et de soutenir
les jeunes dans le quotidien tout au long de la journée, de faire
transition avec les autres activités et le relais entre les jeunes et
les autres intervenants hospitaliers. L'action éducative est une action
sur le moment, dans le quotidien des jeunes. En collaboration avec les
infirmières, on effectue le travail de «nursing« : on
veille à la bonne hygiène, on accompagne les repas à table
et en chambre ... On se porte garant du bon fonctionnement des repas. On
apporte du concret à la patiente en étant une sorte d'écho
médical. Par exemple, si l'on voit une jeune fille
faible, on lui conseille de se reposer dans le calme. Au niveau de la
vie de groupe, on veille aux bonnes relations entre les patients. On motive les
jeunes à participer aux activités et à suivre le programme
scolaire.
Le dialogue et l'écoute sont très importants.
Mais on ne parle pas du corps, ni de la nourriture et l'on évite de
parler de problèmes personnels en groupe. On discute des
problèmes généraux ou de sujets divers.
Les sujets personnels et plus précis sont abordés par les
psychologues qui animent aussi un groupe de parole une fois par semaine
pour approfondir les problèmes collectifs.
12. Chaque jeune a-t-il un éducateur de
référence ?
Oui, chaque jeune à un éducateur de
référence en ce qui concerne les problèmes personnels au
quotidien. Du côté des activités c'est l'animateur qui est
la personne de référence du groupe «Ados«.
13. Quels sont les projets éducatifs
proposés dans le traitement de l'AM ? Quels sont leurs
objectifs ?
En pré-admisssion, le médecin va décider
d'un projet d'hospitalisation. Les éducateurs sont porteurs de ce projet
de départ et ils participent à son bon déroulement au
quotidien. On propose des nouveautés chaque jour allant dans le sens de
ce que les jeunes aiment. Les projets d'activités éducatives se
font à court terme et ils sont toujours soumis à l'avis du
médecin. On vise à créer des moments de détente et
à redonner confiance à chaque jeune, le motiver à
participer à son traitement et à respecter au mieux son projet
individuel d'hospitalisation.
14. Pouvez-vous donner quelques exemples
d'activités éducatives qui sont proposées
?
Le mercredi soir, on anime la «Fun
Soirée« : c'est un moment de détente où l'on
joue, on écoute de la musique. Le jeudi après-midi, c'est
l'atelier «Histoire d'Elle« qui est proposé. Il vise à
réapprendre à prendre soin de soi (maquillage, parfum, mode...).
Lors des temps libres du vendredi après- midi nous organisons des
activités suivant les besoins individuels ou collectifs. On peut aussi
faire des sorties spéciales avec les jeunes pour faire des visites
culturelles ou du shopping durant les soldes. Cela va dépendre de leur
motivation et de leurs envies.
15. Comment faites-vous évoluer les projets
éducatifs ?
Il n'y a pas une règle de conduite fixe ! Il faut
sans cesse réinventer en fonction des
différentes personnalités et des besoins.
16. Proposez-vous des animations artistiques
?
Non, c'est l'équipe du «SAAT« qui dirige
les activités d'expression artistiques. Ces activités sont
nombreuses : théâtre, sport, informatique, groupe de
parole... Elles sont fortement conseillées par le médecin,
pas obligatoires ! Notons, que les ateliers proposés ne sont pas
des lieux de thérapie. On peut accompagner la jeune à ces
ateliers. Mais on n'analyse pas, on n'interprète pas les
créations des patients car ce n'est pas le travail de
l'éducateur. Par contre en réunion, c'est intéressant de
communiquer les résultats de ces ateliers qui pourront être
utilisés ailleurs par le médecin ou psychologue par
exemple.
17. Comment évaluez-vous l'action
éducative ?
Un ensemble d'observations sont réalisées
quotidiennement. On rédige un rapport trois fois par jour, où
l'on parle de l'ensemble des comportements au cas par cas. Une fois par
semaine, on fait le bilan du groupe et une réunion
d'équipe.
18. Quelles sont les difficultés
rencontrées durant l'action éducative et les solutions
apportées ?
En cas de problèmes, on cherche une solution au cas
par cas. Au niveau des repas par exemple, une jeune fille refusait de manger et
de boire, il fallait l'accompagner durant deux à trois heures pour
qu'elle termine son repas. Son éducatrice de référence
devait faire preuve d'une grande patience chaque jour et l'aider à ce
qu'elle s'engage sans la forcer. Tout un travail relationnel et de dialogue a
été réalisé avec succès afin d'expliquer le
besoin de ce soin essentiel. On travaille sans obliger, tout en étant
directives. Ici, on n'utilise pas de sonde nutritive. L'usage du canard est
parfois nécessaire en cas de grave comportement régressif et les
boissons nutritives sont très utiles.
19. Quels sont les signes d'évolution pris
en compte ?
L'indicateur qu'est la courbe de poids est important pour
évaluer l'évolution de la patiente au niveau médical. Mais
aussi la présence aux activités, le comportement social et la
place de la jeune dans le groupe.
20. Comment se déroule le travail éducatif
avec le groupe des jeunes ?
Le groupe est porteur d'une identité sociale. On le
considère comme un groupe de jeunes, et non de malades. On ne
sépare pas les patients par pathologie. On ne travaille pas seul avec un
groupe, il y a toujours au moins deux intervenants. C'est très
délicat comme travail, il faut une grande expérience.
21. Quels sont les risques du travail collectif, pour un
groupe constitué de jeunes atteints d'AM ? Comment les
éviter ?
Les jeunes vont se comparer, chercher qui est la plus mince
et échanger des conseils sur le poids. On va associer différents
patients en évitant l'effet miroir. En cas de problème avec
un membre du groupe, on va travailler avec ce membre en individuel.
22. Quelles sont les mesures prise au vue de la
scolarité ?
Nous travaillons avec l'école «L'Escale«
qui est subventionnée par la «Communauté
Française«. Trois professeurs (Sciences, Lettres et Langues)
dispensent les cours. Ils sont très apaisants et encourageants et
veillent à ce que les jeunes gardent le niveau scolaire de
l'extérieur et restent intégrés dans le circuit. Les
adolescentes suivent des cours collectifs une à deux heures par jour et
ont la possibilité de suivre des cours particuliers. Chaque jeune
à un titulaire assistant social qui va avec l'éducateur
référent faire le lien entre l'école de la patiente,
«L'Escale« et notre service.
23. Peut-on parler d'un échec
scolaire lié à l'isolement hospitalier ?
Parfois le parcours scolaire doit être suspendu si la
santé du jeune est en péril. On explique à la patiente que
sa santé passe avant ses études et donc qu'elle doit se soigner.
Ce qu'elle accepte difficilement vu son investissement scolaire. Les
professeurs aident beaucoup à dédramatiser l'échec, ils
sont très positifs.
24. Les éducateurs posent-t-ils une action en
milieu ambulatoire ou post-hospitalière ?
Non, nous n'agissons pas en milieu ambulatoire. C'est
l'assistante sociale qui s'occupe du suivi avec d'autres intervenants.
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