2.4. CONDITIONS ECONOMIQUES DE LA PRODUCTION
2.4.1. Coût élevé de production et
rentabilité économique discutable
Nous signalons d'emblée que contrairement aux oasis
continentales (Nefzaoua et Jérid) à dominantes «Deglet
nour», où les palmiers dattiers sont plantés en plein champ
à raison de 300 palmiers à l'hectare (CHAREF, 1989), les palmiers
dattiers dans les oasis de Gabès sont plantés sur les bordures
des planches et des parcelles. De ce fait, la densité à l'ha est
tres faible puisqu'elle avoisine les 50 palmiers (FANNY, 2008).
Dans le calcul de la rentabilité économique,
nous allons présenter la structure des charges de l'exploitation (toutes
cultures confondus), la part du revenu agricole du revenu total, la structure
du revenu agricole et nous terminerons par un essai de comparaison entre la
rentabilité d'un ha de dattiers communes et un ha de grenadiers.
2.4.1.1. Structure des charges
Tableau n° 14 : Structures des charges des
exploitations enquêtées (%)
|
Eau
|
Main d'oeuvre
|
Intrants
|
Autres
|
Total
|
0.1 - 0.5 ha
|
49
|
9
|
29
|
13
|
100
|
0.6 - 1 ha
|
42
|
21
|
31
|
6
|
100
|
> 1 ha
|
31
|
38
|
27
|
4
|
100
|
Source : Notre enquête
La lecture de ce tableau nous révèle certaines
constations :
- Au niveau des petites exploitations (< 0.5 ha) et des
exploitations moyennes (O.6 - 1 ha), le poste eau d'irrigation occupe la plus
grande part dans les dépenses totales, respectivement 49 et 42. Ceci
s'explique par le fait que ces deux catégories de producteurs ne font
recours qu'à l'eau du GIC.
En contre partie, les grands producteurs, nantis d'une bonne
assise financière, font beaucoup plus recours, dans l'irrigation de leur
parcelle, aux puits illicites qu'ils ont creusés. De ce fait, le poste
eau ne représente que moins du tiers des dépenses totales.
- Concernant la main d'oeuvre, il est clair que les petits
producteurs ne recourent à la main d'oeuvre salariale que très
rarement (récolte de henné surtout) ce qui explique que la main
d'oeuvre sur l'exploitation est majoritairement familiale. Par contre, chez les
grands propriétaires, ce poste accapare la majorité des
dépenses (38 %).
- Pour finir avec les intrants, nous constatons que la part
des dépenses est presque la même chez les trois catégories,
avec un léger recul qui s'explique, peut être par l'achat des
intrants en grandes quantités se qui réduit le coût.
2.4.1.2. Revenu agricole dans le revenu
total
Tableau n° 15 : La part du revenu agricole
du revenu total de l'unité de production (%)
Classe de superficie des exploitations
|
Revenu agricole/Revenu total
|
0.1 - 0.5 ha
|
31
|
0.6 - 1 ha
|
59
|
> 1 ha
|
83
|
Source : Notre enquête
A la lecture du tableau, nous constatons que les grandes
exploitations (> 1 ha) contribuent plus à la formation du revenu des
producteurs. Ceci peut être expliqué par le fait que dans ces
exploitations les conditions de production sont meilleures (structure
foncière, disponibilité en eau, capital, spécialisation
dans l'agriculture, etc.).
Il bien évident que pour les deux autres
catégories, les producteurs recourent beaucoup plus aux revenus
extra-agricole pour faire vivre leurs familles. Dans le premier cas (< 0.5
ha) le revenu non agricole représente 69 % du revenu total.
2.4.1.3. Structure du revenu
agricole
Pour avoir une idée sur l'importance du palmier dattier
dans l'économie de l'exploitation, nous avons fait recours à
l'analyse de la structure du revenu agricole que nous présentons dans le
tableau ci-après.
Tableau n° 16 : Structure du revenu
agricole des exploitations enquêtées
Classe de superficie des
exploitations
|
% Dattes
|
% Cultures sous-jascentes
|
0.1 - 0.5 ha
|
11
|
89
|
0.6 - 1 ha
|
19
|
81
|
> 1 ha
|
33
|
67
|
Source : Notre enquête
Les résultats présentés dans ce tableau
nous permettent de dire qu'il parait que les grands producteurs entretiennent
mieux leurs palmiers (toilettage et pollinisation) ce qui leur permet d'obtenir
de bons rendements ce qui donne aux palmiers dattiers de l'importance dans la
formation du revenu agricole de l'exploitation (le 1/3 du revenu global). Par
contre, les petits (< 0.5 ha) et les moyens (0.6 - 1 ha) ont choisi
d'orienter les ressources financières dont ils disposent vers d'autres
spéculations (surtout le maraîchage et le grenadier) qui demandent
moins de dépenses et surtout n'exigent pas de la main d'oeuvre trop
chère comme c'est le cas des grimpeurs. De ce fait le revenu des dattes
ne contribue que par 11% pour le premier cas et 19 % pour le deuxième
cas. Précisons enfin que les grands producteurs ont le plus grand
pourcentage des dattes «kenta», la variété dont le prix
est de loin supérieure aux prix des autres variétés
communes et surtout son exportation connaît, depuis quelques
années, un essor remarquable.
2.4.1.4. La rentabilité du palmier dattier est
discutable
Tableau n° 17 : Comparaison de
rentabilité entre le palmier dattier et le grenadier
|
1 ha de palmier dattier (300 pieds)
|
1 ha de grenadier (500 pieds)
|
Charges brutes (DT) (M.O. + eau)
|
690
|
540
|
Produit brut (DT)
|
3750
|
5250
|
Marge brut (DT)
|
3060
|
4710
|
Source : Nos calculs
Nous avons essayé dans ce tableau de confronter entre
les deux espèces les plus utilisés dans les oasis de Gabès
(le palmier dattier et le grenadier) en considérant que la culture des
deux espèces ce fait en plein champ et que les charges en eau sont les
même pour les deux espèces (malgré les différences
des besoins entre les deux) parce que la quantité donnée
dépend de la GIC. Cette quantité est estimée à 8
heures par hectares et par quinzaine. Ceci nous a permis de déduire la
marge brute à la production des deux espèces qui est de 3060 DT
pour le palmier dattier et 4710 DT pour le grenadier. Deux postes
déterminent la supériorité de la marge brute du grenadier
: La main d'oeuvre qui constitue 65 % des charges brutes et les prix des dattes
à la production qui est inférieur au prix des grenades (0.250 DT
contre 0.350 DT).
Il est clair que l'amélioration de la filière
des dattes communes par leur valorisation sur le marché tunisien et
l'organisation du segment de la collecte et du conditionnement et la mise en
place d'une stratégie d'exportation surtout que ces dattes commencent
à trouver leur place
sur le marché européen (100 % des importations
de l'ex-Yougoslavie, de la République Slovaque et de la
république Tchèque ; plus de 70 % des importations belge ; plus
de 60 % des importations anglaises ; etc.).
2.4.1.5. Contraintes climatiques limitant la
production des dattes
De l'analyse des différentes composantes climatiques, il
ressort que les oasis de Gabès et d'El Hamma subissent l'influence de
deux facteurs climatiques importants :
> La perte d'eau et l'accroissement de l'ETP :
il est connu que les oasiens n'utilisent que la méthode
d'irrigation par submersion pour toutes les cultures pratiquées. En
effet, les parcelles sont divisées en planches disposées en
rangées et séparées par des seguias qui servent à
amener l'eau jusqu'à la planche à irriguer. La submersion porte
sur toutes les planches une par une suivant un ordre précis.
Comparée aux autres méthodes d'irrigation, cette méthode
est la plus simple (moins de surveillance) et la plus économique (moins
de frais), une seule personne munie d'une sape suffit pour mener à bien
l'irrigation.
Où résident alors les inconvénients de
l'irrigation par submersion ? En premier lieu, dans les volumes d'eau à
amener par planche : c'est l'irriguant qui estime en fonction de son
expérience la quantité d'eau à apporter. Il s'agit
là d'un savoir-faire traditionnel acquis d'une génération
à une autre. Or, nous l'avons vu plus haut et comme le confirme
plusieurs auteurs (ABDEDAIEM, 1997 ; BEN SAAD, 2004 ; HAJ NACEUR, 2008 ; etc.)
ce savoir-faire commence à disparaitre avec les derniers oasiens
âgés.
Deuxièmement, l'irrigation par submersion
nécessite des soins particuliers au niveau du planage du sol afin que la
circulation de l'eau soit aisée. Or, un planage mal fait est presque la
règle dans les parcelles travaillées par des jeunes non
expérimentés. Ceci engendre des pertes d'eau énormes
surtout par percolation.
Enfin, un dernier inconvénient lié aux
changements climatiques (l'effet serre qui provoque l'accroissement des
températures moyennes journalières), il s'agit des pertes par
évapotranspiration. La FAO (1986) estime l'efficience de l'irrigation
par submersion à 60 % environ ce qui veut dire une perte d'eau de 40
%.
A la lecture de ces lignes, nous pouvons songer aux apports
effectifs d'eau par rapport aux besoins des cultures dans les exploitations
oasienne (dans les meilleurs des cas 60 %).
Ceci engendre une triple perte : une perte au niveau des frais
de pompage (coüt d'eau élevé), une perte au niveau de la
nappe (rabattement) et une perte au niveau de la production agricole (manque
à gagner). Résumons d'un mot : l'irrigation gravitaire
basée sur la submersion est actuellement la principale source de
gaspillage d'eau.
Ainsi, l'amélioration du système d'irrigation
devient une nécessité de premiere importance afin d'assurer une
gestion rationnelle de cette ressource de plus en plus rare qu'est l'eau.
En guise de conclusion, que pouvons-nous dire sur les rendements
des cultures irriguées dans l'état actuel des choses ?
S'il est superflu de donner des chiffres sur toutes les
cultures pratiquées dans le secteur irrigué ce qui n'était
pas l'objectif de ce travail, nous pouvons toutefois avancer quelques remarques
basées sur nos observations directes sur le terrain mais aussi sur les
déclarations des exploitants et techniciens agricoles
interviewés. D'emblée, nous soulignons les disparités des
rendements qui existent entre les exploitations, mais d'une façon
générale les rendements enregistrés sont en
déça des moyennes établies dans des
périmètres irrigués semblables (Les
périmètres irrigués en dehors des oasis où les
techniques d'économie d'eau sont la règle).
> Les précipitations :
située dans l'étage bioclimatique Méditerranée
aride inférieur (FLORET & PONTANIER, 1978), la région de
Gabès ne reçoit que des quantités annuelles de pluies
faibles. A titre d'exemple, et pendant les dernières années, nous
avons enregistré moins de 250 mm. En effet, entre 2000 et 2006, le
minimum enregistré était de 79 mm pour un maximum de 240 mm.
Est-ce le résultat des changements climatiques ? Nous le croyons.
Toutefois, et malgré que nous sommes dans une situation de
culture irriguée, les résultats ciaprès montrent que la
production est en quelque sorte liée aux précipitations.
Nous l'avons signalé plus haut, les quantités
d'eau d'irrigation, et surtout pour le palmier dattier qui n'est actuellement
cultivé qu'aux abords des parcelles et ne recevant plus la
quantité d'eau d'autre fois suite au remplacement des rigoles en terre
par les rigoles en ciment.
Le tableau suivant montre cette liaison entre production et
précipitations :
Tableau n°18 : Relation
production-précipitations de 2001 à 2009 dans les oasis de la
région de Gabès
|
2001
|
2002
|
2003
|
2004
|
2005
|
2006
|
2007
|
2008
|
2009
|
Production En tonnes
|
10700
|
20910
|
27030
|
22930
|
16830
|
14800
|
14950
|
19900
|
20800
|
Précipitations En mm
|
79
|
212
|
240
|
226
|
198
|
140
|
129
|
203
|
221
|
Source : Divers documents
La lecture de ce tableau montre que la production des dattes
est liée aux précipitations annuelles, lorsque les
précipitations sont élevées la production augmente, mais
lorsque les précipitations sont faibles, la production diminue. Une
autre remarque intéressante concerne la productivité. Elle aussi
est liée aux précipitations. Nous avons trouvé que la
production moyenne annuelle d'un palmier tombe à près de 20 kg en
année sèche (79 mm en 2001), mais cette production dépasse
les 50 kg/arbre/an en année pluvieuse (240 mm en 2003).
|