Dans une étude fondée sur ce qu'il nomme
lui-même «la globalisation du religieux», Troudi
(2007) s'est penché sur le thème suivant:« Les ONG arabo
-musulmanes: la nature de leur fonctionnement et les dessous de leurs
logiques». Troudi (2007) fait le point de quinze ans d'observation
des ONG musulmanes sur le terrain européen et dans quelques pays arabes
à travers les pratiques des plus représentatives tels l'ISRA et
l'IIRO1 (deux organisations à statut consultatif au conseil
économique et social de l'ONU). Il analyse un ensemble de recherches sur
la logique d'intervention de ces organisations. Cette démarche permet
à l'auteur de tirer des conclusions quant aux origines, au
fonctionnement des ONG musulmanes et aux interrogations qu'elles
soulèvent entre l'action humanitaire et les questions politiques.
Ainsi on retient de leur origine, et contrairement à
l'idée répandue en occident selon laquelle les ONG musulmanes
sont nées pour donner une réplique aux organisations judéo
chrétiennes, qu'elles se fondent sur les principes de coopération
et d'entraide que l'on retrouve dans l'ensemble des religions
révélées. L'activisme caritatif est donc une tradition
bien ancrée dans l'islam, et les ONG se veulent être une de ses
expressions modernes. Elles vont se multiplier à un moment où le
monde arabo-musulman connaît des problèmes dont les plus sensibles
sont: les déréglementations économiques dictées par
les institutions internationales (FMI, BM, OMC) et les frustrations sociales.
Autrement dit, les Etats qui sont préoccupés par le poids de la
dette semblent impuissants fasse à la paupérisation des
populations qui vont trouver à l'action communautaire une forme de
salut. Il y a aussi le fait que dans de nombreux pays Arabo-musulmans, les
injustices sociales exacerbées par l'absence des valeurs
démocratiques finissent par discréditer les régimes en
place. Il s'en suit donc une politisation de certaines actions humanitaires
avec pour conséquence la stigmatisation ou la marginalisation dont
souffrent maintes organisations musulmanes aujourd'hui. Heureusement de plus en
plus les organisations musulmanes d'aide au développement ont conscience
de ces risques et s'efforcent d'agir conformément aux standards
internationaux de l'humanitaire au point de bénéficier de la
confiance et du soutien financier de certains Etats. C'est le cas des ONG
Muslim Aid et secours islamique international, qui à cause du respect
des normes internationales, et de l'engagement sans distinction entre les
bénéficiaires de l'aide, bénéficient du soutien de
l'Etat Britannique pour financer des activités humanitaires. Cette
capacité d'adaptation doublée des mécanismes de
1 ISRA : Islamic relief association ; IIRO :
international Islamic relief organisation
financement qui sont propres à l'islam augmente le
dynamisme des ONG musulmanes qui opèrent sur une large gamme de secteurs
sociaux dont l'éducation.
Troudi (2007) permet de se faire une idée de la place
actuelle des ONG musulmanes et de leur fonctionnement sur le terrain de
l'humanitaire. Dans un contexte où le social devient dans bien de cas
des instruments de luttes politiques et /ou idéologiques, son analyse
permet non seulement de prévenir d'éventuels dérives; mais
aussi, de lever certains préjugés et des idées
reçues susceptibles de compromettre l'efficacité du partenariat
avec les organisations musulmanes dans le financement du développement.
Cette étude qui analyse la situation des ONG musulmanes à un
niveau global, nous permet en même temps de mieux comprendre l'approche
de l'AMA au niveau local et de pouvoir en parler avec plus d'assurance.
Diouf (1999) a abordé dans une étude
historique, les investissements faits par l'AMA au Burkina Faso depuis son
installation en 1986 jusqu'en 1996. Il s'est fixé pour objectif de
retracer l'histoire de l'implication de l'AMA en tant qu'ONG
étrangère et musulmane dans le développement du Burkina
Faso, et d'examiner les actions menées et leur impact sur les
populations. Il est parti du constat que l'islam en dépit de son
ancienneté au Burkina Faso se retrouve à "la traîne" en
matière d'aide organisée sur le plan socio-économique.
C'est pourquoi selon lui, l'expérience de l'ONG musulmane la plus
représentative du pays en terme de couverture national et en volume
d'investissement qu'est l'AMA peut être utile à présenter.
Ainsi procéda-t-il par l'analyse documentaire, l' interview de
responsables et des bénéficiaires, et des visites des
réalisations sur le terrain pour parvenir à des résultats
qui présentent entre autres: le processus de création de l'ONG et
son installation au Burkina; l'importance de ses réalisations et les
difficultés de terrain. C'est en 1981que l'AMA est née de
l'idée du docteur Abdrahmane SUMMAIT d'inciter les personnes nanties
à venir en aide aux zones les plus démunies d'Afrique. Abdrahmane
SUMMAIT est citoyen koweitien formé dans des universités
européennes et américaines. Il est spécialiste dans
plusieurs domaines de la médecine et bénéficie de
plusieurs reconnaissances aussi bien d'Etats que d'institutions privées
pour son engagement au profit des populations démunies.
Depuis sa création jusqu'en 1996, l'AMA a fait
d'importantes réalisations en Afrique dans divers domaines dont les plus
importantes sont : la construction de 140 écoles primaires et
secondaires, 840 écoles rurales, 75 centres socio-éducatifs, 16
centres santé, 1050 mosquées, 760 forages et des centaines de
puits; le paiement des frais de scolarité de 74000 élèves,
l'octroi de 200 bourses pour des études supérieures; la prise en
charge de 8.500 orphelins; la distribution de 165.000 tonnes de vivres et
autres Produits de secours; la
publication de 6,5 millions de livres et brochures en plusieurs
langues; l'organisation de 20 campagnes sur la lutte contre la cataracte.
Au Burkina, c'est en 1986 que l'AMA a commencé
à intervenir mais c'est le 29 Janvier 1988 que l'accord de siège
fut signé entre le gouvernement Burkinabé et le comité des
Musulmans Africains de Koweït qui représentait l'AMA. La signature
de la convention va permettre d'inscrire les interventions de l'AMA dans un
cadre officiel, et à l'ONG d'étendre ses activités sur
toute l'étendue du territoire. En dix ans de participation au
développement communautaire, l'AMA pour ce qui est seulement de la
construction d'infrastructures sociales a investi 969.486.191 francs CFA, soit
près de 100 millions par an. Au nombre de ces infrastructures figurent
des écoles medersas. Cette expérience de la medersa sera
abandonnée pour des écoles d'enseignement francophone
jugées plus conformes au système éducatif national.
Contrairement aux medersas qui étaient construites et confiées
à des communautés ou à des individus, les nouvelles
écoles qui vont appliquer les programmes des écoles publiques
seront gérées par l'agence elle-même. Le changement est
différemment apprécié: pendant que certains parents salut
l'initiative, d'autres se déclarent contre une attitude qu'il juge
contraire aux intéréts des musulmans. Ce volet éducation
de l'action de l'AMA survolé par Diouf (1999) devient de plus en plus
important et justifie en partie l'intérêt que nous portons
à la contribution de l'ONG en la matière. Notre étude qui
intervient dix ans après Diouf (1999), tentera de révéler
l'importance de l'investissement de l'AMA dans l'éducation notamment
à travers ses écoles et d'en tirer les conséquences pour
l'accroissement de l'offre éducative.
A la suite de Diouf (1999), Gnessi (2008) a mené une
recherche sur l'assistance que l'AMA apporte aux enfants en difficultés
notamment les orphelins. Cette étude s'est intéressée
à la vie des orphelins pris en charge par le centre
socio-éducatif de l'ONG à Dassasgo et les activités que
mène le centre en vue de leur insertion sociale. Gnessi (2008) part de
l'hypothèse que la participation du centre socio-éducatif de
l'AMA à la prise en charge des enfants orphelins favorise leur insertion
socio-économique. Aussi, sa démarche consistera non seulement en
des enquêtes avec l'ensemble des groupes d'acteurs impliqués
(tuteurs, encadreurs, autorités) mais aussi à l'observation des
orphelins dans leurs activités quotidiennes. L'étude
révèle un système multifonctionnel de prise en charge des
orphelins qui inclut la santé, l'alimentation, l'habillement, la
scolarisation et la formation professionnelle. La majorité des enfants
dit être satisfaite des services. En revanche, constate Gnessi (2008)
l'insuffisance de la planification des interventions réduit
l'efficacité du système sans
compromettre de façon sensible l'objectif
escompté qu'est l'insertion socio- économique des pensionnaires.
C'est du reste la principale conclusion à laquelle est parvenue
l'étude.
Le volet éducation auquel nous nous intéressons
dans notre recherche est reconnu par Gnessi (2008) comme un secteur essentiel
de l'action de l'AMA. Il en fait une description qui révèle que:
le centre dispose d'une école primaire, d'un collège privé
et d'un centre de formation professionnelle qui comporte une section pour
garçons et une autre pour filles; la scolarité des enfants est
entièrement prise en charge.
Ainsi notre sujet, «contribution des ONG musulmanes
à l'accroissement de l'offre éducative de base: cas de l'agence
des musulmans d'Afrique» s'inscrit à la suite des travaux
ci-dessus présentés pour envisager de combler le déficit
d'information, celui de l'absence d'une étude profonde sur les
investissements de l'AMA dans le domaine de l'éducation. Notre sujet se
veut donc un prolongement de Diouf (1999) en ce qui est du volet
éducation. Par rapport à Gnessi (2008), notre recherche est plus
englobante parce qu'elle prend en compte d'autres centres et par le fait que la
question de l'insertion des orphelins est indissociable de celle de leur
scolarisation.