I-2) BILAN DU DISPOSITIF GIRARDIN
Nous venons de le voir, la défiscalisation Girardin a
rempli bien plus que les dispositifs précédents ses objectifs en
terme de production de logements neufs. Toutefois, encourager des particuliers
à investir dans la pierre pour faire baisser le montant de leur
impôt les encourage à considérer les logements comme de
purs produits financiers. Cela peut donc induire des effets pervers qui nuisent
{ l'efficacité réelle du dispositif.
Nous allons revenir ici sur le fait que les logements produits
grâce à la défiscalisation ne répondaient pas de
manière qualitative aux besoins de la population puis nous nous
interrogerons sur la pertinence de la défiscalisation en faveur du
locatif intermédiaire au regard des réalités
économiques des ménages de l'ile.
I-2-A) LE LOGEMENT : UN PRODUIT FINANCIER PAS COMME LES AUTRES
Nous venons de le montrer, la défiscalisation a permis
une production importante de logements neufs. Toutefois, la
nécessité de proposer des produits qui toucheraient un maximum
d'investisseurs a entrainé l'orientation de la production
essentiellement vers des logements de types T1 et T2 car ces logements ne
dépassaient pas un prix de vente supérieur à 200 000
euros. En 2005 par exemple, la DEAL estimait que la production de T1 et T2
représentait 70 à 90% du total des logements issus de programmes
en défiscalisation.
Nous l'avons vu, la défiscalisation n'a pas
affecté de la même manière les différentes parties
du territoire de l'ile. La production importante de petits logements dans les
trois principaux pôles urbains que constituent Saint Denis, Saint Pierre
et Saint Paul a permis de répondre en partie à la demande car ce
sont les endroits où elle était orientée vers des
logements de cette taille. Toutefois, l'importance de la production de petits
logements défiscalisés a été telle que le
marché s'en est trouvé rapidement saturé et que cette
production localisée sur certains secteurs a conduit à accentuer
d'avantage les déséquilibres territoriaux de l'ile.
D'une manière générale, la taille moyenne
des ménages réunionnais s'établit autour de 3 à 4
personnes. Or, à titre d'exemple ce sont 35 { 45% de T2 qui ont
été vendus sur l'île en 2006. Les ménages de grande
taille (5 personnes et plus) représentent 21% des ménages de
l'île. Or, entre 2000 et 2008 seuls 15% des logements autorisés
étaient des T5 ou plus. C'est donc un véritable décalage
entre l'offre issue de la défiscalisation et les besoins réels de
la population63
L'INSEE préconisait ainsi en 2006 suite {
l'Enquête Logement de freiner considérablement la production de
petits logements et d'augmenter le nombre de constructions de logements type T4
et plus.
63 Ce constat est mis en évidence par l'ensemble des
acteurs du logement à la Réunion, et a même
été mis en avant dans un rapport de l'assemblée nationale
sur les niches fiscales.
Le graphique ci-dessous montre comment, selon l'INSEE,
devraient être réparties les résidences principales en
fonction de leur taille en 2015 afin de correspondre à celle des
ménages
FIGURE 15:REPARTITIONS DES RESIDENCES PRINCIPALES EN
2005 ET 2015
Source :INSEE, 2006
L'autre conséquence de l'inadéquation entre les
typologies de logements produits et la réalité des besoins des
ménages concerne les cas de surpeuplement.. Selon la norme
INSEE64 près d'un quart des ménages réunionnais
se trouvent en situation de surpeuplement.65 Ce sont ainsi 29% des
ménages locataires du privé qui se trouvent dans cette
situation.
Le graphique ci-dessous indique à quel point les logements
de petites tailles sont en situation fréquentes de surpeuplement
64 La norme INSEE veut qu'il y ait dans chaque logement une
pièce par couple ou adulte, une pièce pour chaque enfant de plus
de sept ans dans des fratries de sexe différent et une pièce pour
deux enfants plus petits. La différence entre le nombre de pièces
du logement et cette norme associée à des critères de
taille du logement permet de déterminer un indice de peuplement
65 A titre de comparaison, en métropole 1 ménage
sur 10 est en situation de surpeuplement.
FIGURE 16: REPARTITIONS DES LOGEMENTS SELON LE
NOMBRE DE PIECES
Source : INSEE,2006
I-2-B) DEFINIR LES CATEGORIES INTERMEDIAIRES : UN DEFI NON
RELEVE.
Si la réalisation de logements ne correspondant pas
à la taille des ménages entraine logiquement des situations de
surpeuplement, ce n'est pas le seul facteur explicatif. En effet, le
surpeuplement est également souvent induit par l'inadéquation
entre les loyers pratiqués et l'effort financier que peut consentir le
ménage concerné.
L'orientation des dispositifs de défiscalisation envers
des ménages dits intermédiaires devait permettre de créer
une nouvelle offre locative adaptée a ces dits ménages. Ces
ménages sont catégorisés comme intermédiaires selon
des plafonds de revenus, et les loyers pratiqués dans lesdits logements
doivent eux respecter des prix maximum.
Si l'on regarde dans un premier temps les ménages
considérés par le dispositif comme « intermédiaires
» on constate un décalage avec la réalité des
ménages réunionnais. L'AGORAH estime ainsi que les ménages
que l'on peut considérer comme intermédiaires sont des
ménages dont les revenus sont compris entre 1 et 3 SMIC66
soit 27% des ménages réunionnais. Le seuil de 1 SMIC correspond
à des ménages actifs dont les revenus devraient leur permettre de
trouver un logement dans le parc privé ( le parc
66 Les seuils 1, 2 et 3 SMIC ont été
proposés et retenus à l'occasion des comités techniques
des études réalisées par l'AGORAH, Observatoire des
loyers privés de La Réunion et capacité locative des
ménages
réunionnais, 2007 et AGORAH : Transactions
foncières et immobilières et capacité des ménages
à accéder à la propriété,2008.
social étant insuffisant), tandis que le seuil de 3
SMIC correspond à celui au dessus duquel les revenus deviennent
suffisants pour occuper facilement un logement dans le parc privé.
Bien que les critères retenus par l'AGORAH ne prennent
pas en compte le nombre de personne composant le ménage67
nous pouvons toutefois nous essayer à une comparaison des deux notions
de ménage intermédiaire : celle définie par l'AGORAH et
celle définie par la loi Girardin.
C'est ainsi que le tableau ci-dessous nous présente les
revenus mensuels maximum dont doivent disposer les ménages afin de
pouvoir accéder { la location d'un logement intermédiaire
défiscalisé. Selon la définition de l'AGORAH, les
ménages intermédiaires gagnent entre 1 SMIC soit 900 euros et 3
SMIC soit 3700 euros par mois. Le plafond défini pour une personne seule
rentre dans les critères de l'AGORAH tandis que toutes les autres
catégories de ménages dépassent ces critères.
FIGURE 17: PLAFONDS DE REVENUS MENSUELS PERMETTEANT
D'ACCEDER A UN LOGEMENT
INTERMEDIAIRE DEFISCALISE
Source : AGORAH , 2008
Si l'on considère que la définition donnée
par l'AGORAH pour désigner les ménages intermédiaires
correspond à une certaine réalité- l'agence se basant sur
de véritables
études- alors les critères retenus par la loi
Girardin sont en inadéquation avec la réalitédes
ménages réunionnais.
Le second constat est celui de l'inadéquation entre les
plafonds de loyers proposés et la réalité du
marché. C'est ainsi que ce plafond était fixé a 145euros
le mètre carré par an
67 La distinction des ménages selon le nombre de personnes
les composant, n'a pas été possible dans
le cadre de cette étude (faute de données
disponibles), mais reste à envisager, afin de cerner plus finement cette
notion de ménage intermédiaire.
soit environ 12 euros par mois le mètre
carré68 .Ce prix semble relativement élevé. En
effet, certains acteurs du logement69 considèrent par exemple
ce plafond devrait être compris entre 7 à 9euros70 le
m2.
Le graphique ci-dessous établit les prix moyens au
m2 par secteur de l'ile selon trois sources
différentes71. Il permet ainsi de constater que seuls les T1,
qui offrent un moins bon rapport surface- prix, sont au dessus des plafonds
fixés par la loi Girardin En revanche, tous les autres types de logement
et ce quel que soit leur localisation ont des prix établis plus bas que
le plafond fixé par la loi Girardin pour l'intermédiaire.
FIGURE 18/ LES LOYERS MOYENS EN EUROS/M2
SELON LA TAILLE DU LOGEMENT EN 2006
Source : AGORAH 2008
Si la réalité des plafonds des loyers se trouve au
dessus des prix du marché on peut considérer que la location dite
intermédiaire n'est qu'un mythe. Les critères fixés par la
loi ne correspondent pas à la réalité du terrain ni en
terme de revenus des ménages ni en terme de prix des loyers.
68 Les prix sont fixés en m2 par an. Ils ont
été modifiés certaines années. En 2011 le plafond
était de 156euros par m2 de surface habitable. Nous
retiendrons ici que le plafond s'élève aux environs de 12euros le
m2.
69 AGORAH Les principales caractéristiques des
marchés du logement à la Réunion, à l'heure de la
refonte de la loi de défiscalisation, 2008, p 41
70 Ce qui correspond davantage aux prix de PLS.
Ainsi , la défiscalisation si elle a permis de
développer l'offre locative sur l'ile n'a pas permis d'apporter des
réponses satisfaisantes aux besoins des ménages et notamment des
ménages intermédiaires. Le dispositif Girardin a relevé
davantage d'une logique financière portée par des investisseurs
et des promoteurs que d'un objectif de développement d'un parc de
logement adapté à la réalité
réunionnaise.
II) UNE CRISE DU LOGEMENT SOCIAL SUR FOND D'APOGEE DE LA
DEFISCALISATION PRIVEE
Les besoins de la population réunionnaise en
matière de logement sont tels que le logement social joue un rôle
majeur. N'atteignant jamais les niveaux de productions nécessaires
à la satisfaction de la demande, il est l'objet de toutes les attentions
de la part des acteurs du logement sur le territoire.
Ces dernières années, alors même que la
défiscalisation Girardin avait un succès sans
précédent, la production de logement social connaissait un niveau
de production historiquement bas. C'est ce qui nous conduit aujourd'hui {
parler de crise du logement social et à nous interroger sur les raisons
de celles-ci.
Nous verrons quels sont les facteurs explicatifs de cette
baisse de la production de logements locatifs sociaux et tenterons
également de caractériser plus finement la demande. Enfin nous
verrons en quoi la question du foncier est primordiale dans la politique de
logement social sur l'ile.
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