4- LES ATTEINTES A LA SURETÉ DE L'ÉTAT DES
ANNÉES 1990
Au Cameroun, le processus de démocratisation, entendu
comme le cheminement de l'autoritarisme vers la démocratie
multipartisane en tant qu'idéal de gestion de l'Etat s'est
déroulé en plusieurs étapes. D'abord, une
métamorphose du parti unique le Rassemblement Démocratique du
Peuple Camerounais (RDPC), ensuite la mise en place d'un cadre juridique avec
la session des libertés de décembre 199045 et le
renouvellement de la classe politique nationale par l'organisation de
consultations électorales à divers niveaux.
Cette mutation socio-politique ne s'est pas passée sans
heurts comme dans d'autres pays, au point de menacer substantiellement
l'existence même de l'Etat. Mais les Forces Armées vont s'employer
pour restaurer l'autorité
45 Il s'agit notamment des lois 90/055 relatives au
régime des réunions et manifestations et 90/056 relative aux
partis politiques.
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Les F.A.C. face aux nouvelles formes de menaces
à la sécurité : d'une Armée « de garde »
vers une Armée « d'avant-garde » 1960-2010
de l'Etat bafoué par des revendications qui portaient
atteinte à la sûreté de l'Etat.
Face à la « méthode du pas à
pas » (Essissima 1998 : 21) adoptée par le gouvernement et le
refus du Chef de l'Etat d'organiser une « conférence nationale
souveraine »46 principale revendication des partis
politiques, l'opposition camerounaise regroupée autour d'une
superstructure dénommée « collectif des partis de
l'Opposition » puis « coordination nationale des partis
d'opposition et des associations » va mener une insurrection et une
véritable guérilla urbaine dans certaines grandes villes du
pays.
Les méthodes choisies par les leaders de l'opposition
sont tout d'abord les « villes mortes - pays mort
»47 qui visent sous l'effet conjugué de la crise
économique et des programmes d'ajustements structurels, à
essouffler l'économie camerounaise et, ainsi faire plier la politique du
parti au pouvoir. Ensuite, le corollaire de ces dernières était
de susciter l'incivisme fiscal à travers le non payement d'impôts,
des quittances d'électricité, d'eau, de téléphone,
etc. ; la destruction du tissu économique à travers les actes de
vandalisme48. Seule la capitale du Cameroun ne sera pas atteinte par
cette vague de désobéissance civile, Douala la capitale
économique étant à feu et à sang. Enfin, la
violence va monter d'un cran avec l'attaque du patrimoine national et les
symboles même de l'Etat. Des assassinats des représentants de
l'Etat ont lieu. Des velléités sécessionnistes
46 Le 27 juin 1991, le Président Paul Biya,
devant l'Assemblée nationale, déclare que la conférence
nationale au Cameroun est « sans objet » pour le Cameroun.
47 « Il y'a cinq ans ...les villes mortes », Mutations,
Dossier spécial n°016 du 22 octobre 1996.
48 Incendie de l'usine des brasseries du Cameroun
à Limbé, le 12 avril 1991 ; le blocage des lieux de marché
ou d'écoulement des produits de consommation ; des voies de
communication et l'intimidation des commerçants ; le non respect de la
réglementation avec l'importation frauduleuse des produits
pétroliers et autres produits de consommation, etc.
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apparaissent dans les provinces anglophones du pays
orchestrées par la SCNC en vue de créer un Etat
indépendant dénommé « Ambazonie ».
Prenant acte de cette montée de la violence, Paul Biya
affirme en juin 1991 que « (...) violence, vengeance, haine,
vandalisme, terrorisme risquent de devenir des valeurs en hausse (...).
Intimidation, menaces, grèves illégales, tout est bon pour
déstabiliser notre pays »49. Il va donc à
cet effet prendre des mesures exceptionnelles en impliquant les Forces
Armées camerounaises dans les missions de maintien de l'ordre public.
Pour mettre fin à la déliquescence de l'Etat,
les Commandements Opérationnels seront crées sur l'ensemble du
territoire camerounais conformément à l'article 26 de la loi
n°67/LF/9 du 12 juin 1967 portant organisation générale de
la Défense. Le territoire national est dès lors
réorganisé en huit régions militaires, ou sont
respectivement nommés les commandants opérationnels avec pour
mission « rétablir l'ordre dans les plus brefs délais
dans les provinces prises dans l'engrenage du vandalisme ». Ces
commandements opérationnels disposent de toutes les Forces de Police, de
Gendarmerie et des Armées de Terre, Air et Mer. Le commandant agit sur
instruction du gouverneur, représentant du Chef de l'Etat dans la
région et responsable du maintien de l'ordre dont il est
conseillé militaire.
Sans verser dans l'excès, nous pouvons affirmer que les
Forces Armées camerounaises ont, malgré quelques incidents de
parcours au début du processus démocratique, maintenu et
assuré la stabilité des institutions républicaines et,
favorisant par là un développement réfléchi de la
« démocratie camerounaise » (Ela Ela 2000 :
268-269).
49 Le quotidien national Cameroon Tribune,
n°4916 du 21 juin 1991, pages 12-13 Thèse de
Doctorat/Ph.D en Sce Po, UY2, 2011 Ernest Claude MESSINGA 180
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