Du contentieux constitutionnel en République Démocratique du Congo. Contribution à l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle( Télécharger le fichier original )par Dieudonné KALUBA DIBWA Université de Kinshasa - Doctorat en droit 2010 |
§3. La Cour suprême de justice instituée juge constitutionnel par la Constitution du 24 juin 1967(Article VII des dispositions transitoires)Après le coup d'Etat militaire du 24 novembre 1965626(*), le nouveau régime s'est résolu de doter le pays d'une nouvelle Constitution. Le projet de celle-ci fut rédigé par une commission gouvernementale présidée par le Chef de l'Etat lui-même. Le peuple l'a adopté lors du référendum organisé du 4 au 24 juin 1967. La nouvelle Constitution fut donc promulguée par le Président de la République le 24 juin 1967. Et, revenant sur le sujet, on peut noter que c'est pour la même motivation627(*) que celle évoquée en 1964 que la Cour constitutionnelle fut créée par les articles 19 et 70 de la Constitution du 24 juin 1967. Aussi les développements que nous avons faits s'agissant de la compétence de la Cour constitutionnelle instituée par la Constitution de 1964 et les différentes natures de contentieux qui s'y rattachent demeurent valables. Néanmoins, le constituant de 1967 ayant opté pour la forme unitaire de l'Etat, le contentieux de la division verticale des pouvoirs ne devait plus être retenu, car sans objet. Comme pour le cas précédent, cette Cour constitutionnelle n'a pas aussi vu le jour bien qu'instituée. Mais dans un premier temps, la Cour d'appel de Kinshasa avait dû exercer les attributions dévolues à celle-là.628(*) Par la suite, en vertu de l'article VII, alinéa 2, des dispositions transitoires de la Constitution dite révolutionnaire du 24 juin 1967, la Cour suprême de justice a eu à remplacer la Cour d'appel de Kinshasa dans ce rôle de suppléance. Par ailleurs, la Cour suprême de justice continue de bénéficier, depuis 1968 jusqu'à ce jour, de cette compétence, et ce, malgré la succession des textes constitutionnels dont une tentative de systématisation a été amorcée en introduction générale de cette étude. Ainsi donc, l'attribution à la Cour suprême de justice de la compétence de juridiction constitutionnelle s'est réalisée en deux temps : d'abord, comme juge constitutionnel provisoire (1968-1974) et ensuite, comme juge constitutionnel définitif (de 1974 à ce jour). Voyons à présent comment cette installation programmée s'est déroulée. A. La Cour suprême de justice, juge constitutionnel provisoire (1968-1974) Au départ, la Cour suprême de justice, créée à nouveau par l'article 59 de la Constitution de 1967 et faisant partie de l'ordre judiciaire, devait exercer uniquement le rôle que joue une Cour de cassation et celui du Conseil d'Etat.629(*) En effet, disposant de deux sections : la section judiciaire et la section administrative, la Cour suprême de justice était rendue compétente pour connaître des pourvois en cassation, juger les membres du Gouvernement et connaître des recours en annulation formés contre les actes et décisions des autorités administratives centrales de même que l'appel contre les décisions rendues par les Cours d'appel et de demandes d'indemnités pour dommage exceptionnel. On peut remarquer que ne comprenant pas à l'origine une section de législation, la Cour suprême de justice n'a pas pu jouer le rôle d'organe consultatif du gouvernement. Faute d'un conseil de législation, le pays n'a donc pas disposé pendant cette période d'un organisme de consultation dans le cadre du processus d'élaboration des actes législatifs et réglementaires.630(*) Est-ce un oubli ? Sans doute.631(*) La Cour suprême de justice ne sera dotée d'une section de législation qu'en 1972, à travers la révision constitutionnelle, intervenue plus exactement le 3 juillet 1972.632(*) Cependant, l'article VII, alinéa 2, des dispositions transitoires de la Constitution sous revue ajoute, de manière provisoire, à la Cour suprême de justice une compétence de juridiction constitutionnelle. En effet, cet alinéa est libellé comme suit : « Si la Cour suprême de justice est créée avant la Cour constitutionnelle, elle exercera, en attendant la création de celle-ci, les attributions de la Cour constitutionnelle ». Cette disposition constitutionnelle a été appliquée à travers l'ordonnance-loi n°68-248 du 10 juillet 1968 portant code de l'organisation et de la compétence judiciaires. Cette législation fut complétée par le texte définissant la procédure suivie devant la Cour suprême de justice.633(*) Il faut néanmoins rappeler que déjà, sur base du code de l'organisation et de la compétence judiciaires, la Cour suprême de justice avait été installée officiellement le 23 novembre 1968. Ainsi, la condition évoquée par la Constitution à l'article VII de ses dispositions transitoires fut remplie. La Cour suprême de justice devint, dès cet instant, juge constitutionnel provisoire du pays. L'article 122 de la procédure devant la Cour suprême de justice est venu compléter l'alinéa 2, de l'article VII des dispositions transitoires de la Constitution, en précisant que « la Cour suprême de justice, sections réunies, exercera jusqu'à l'installation de la Cour constitutionnelle, les attributions de celle-ci ». De cette disposition, il se dégage clairement que ce n'est pas l'une ou l'autre de ses deux sections qui jouera le rôle de juge constitutionnel, mais plutôt la Cour suprême de justice, toutes sections réunies. Et, c'est le principe depuis lors. En outre, s'agissant de la saisine, seules les autorités politiques, d'une part, et les deux sections de la Cour suprême de justice, d'autre part, peuvent saisir le juge constitutionnel :634(*) - le Président de la République par une requête écrite ; - le parlement suivant deux modalités : par une résolution lorsque c'est l'Assemblée qui agit ; et par une décision transmise à la Cour par le Président de l'Assemblée lorsque l'initiative part du Bureau de l'Assemblée nationale ; - la section judiciaire ou la section administrative de la Cour suprême de justice, selon le cas, par un arrêt transmis à la Cour par le Procureur Général de la République. De ce qui précède, on peut observer que l'exception d'inconstitutionnalité d'une loi ou d'une ordonnance-loi ne pouvait être soulevée, au départ, par les parties que devant l'une des sections de la Cour suprême de justice.635(*) En effet, les particuliers peuvent soulever, écrit l'auteur du mémoire explicatif de la Constitution du 24 juin 1967, « une exception d'inconstitutionnalité de la loi devant la Cour suprême de justice lorsqu'ils y introduisent un pourvoi en cassation. Dans ce cas, si elle estime que la législation attaquée par le requérant est inconstitutionnelle, la Cour suprême de justice pourra, elle, saisir la Cour constitutionnelle ».636(*) En plus, il sied de noter que le concours du Procureur général de la République, dans la saisine du juge constitutionnel, n'était nécessaire qu'en cas d'appréciation de constitutionnalité postulée par la Cour suprême de justice. Les autorités politiques saisissaient directement elles-mêmes le juge constitutionnel dans les formes rappelées ci-avant. B. La Cour suprême de justice, juge constitutionnel définitif (de 1974 à ce jour) C'est en effet à travers la révision constitutionnelle du 15 août 1974 que le constituant confie à la Cour suprême de justice la compétence de contrôle de la constitutionnalité des lois. Et c'est au législateur que revenait la compétence d'aller dans les détails des attributions de la Cour suprême de justice. En effet, l'article 70 (nouveau) de la Constitution du 24 juin 1967, telle que révisée par la loi n°74-020 du 15 août 1974, était libellé comme suit : « L'organisation, la compétence de la Cour suprême de justice et la procédure à suivre sont réglées par la loi. Le contrôle de constitutionnalité des lois relève de la Cour suprême de justice. (...) ». Ainsi, la Cour constitutionnelle jamais installée, fut supprimée. Depuis lors, la Cour suprême de justice, toutes sections réunies, est devenu juge constitutionnel du pays.637(*) Aujourd'hui, l'ordonnance-loi n°82-017 du 31 mars 1982 fixe l'organisation et la procédure à suivre devant la Cour suprême de justice.638(*) Mais ajoutons rapidement que la Cour suprême de justice avait perdu son rôle de juge constitutionnel, du moins dans sa dimension de contentieux électoral, en 1988 et ce, au profit du Comité central du Mouvement populaire de la Révolution, Parti-Etat.639(*) En effet, jusqu'à cette année-là, la Cour suprême de justice était reconnue compétente pour connaître des contestations électorales.640(*) Mais la loi électorale du 10 janvier 1987 précisait, en ses articles 140 et 141, que la Cour suprême de justice est compétente en matière de contentieux des élections des membres du Conseil législatif (Parlement de l'époque) et les Cours d'appel, du contentieux des élections des membres des entités administratives décentralisées (Région, Ville, Zone et Collectivité). Et, dans le système politique du Mouvement populaire de la Révolution, ces instances judiciaires ne pouvaient connaître que des contestations fondées sur la violation des conditions légales d'éligibilité et de la régularité des élections. Car, les décisions du Comité central relatives à l'examen des dossiers des candidatures au Conseil législatif ainsi que celles du Comité régional du MPR concernant des candidatures aux différents conseils des entités administratives décentralisées de l'époque n'étaient susceptibles d'aucun recours.641(*) C. Le Comité central du Mouvement populaire de la Révolution, organe de règlement du contentieux électoral (1988-1990) Rappelons que créé le 15 novembre 1980, le Comité central est devenu l'organe de conception, d'inspiration, d'orientation et de décision du MPR, en lieu et place du Bureau politique qui fut ramené à un simple rôle d'organe de contrôle des décisions du Parti-Etat.642(*) Par la suite, à travers une nouvelle révision constitutionnelle643(*), réalisée le 27 janvier 1988, le contentieux électoral fut confié exclusivement au Comité central du MPR. L'article 60, alinéa 3, de la Constitution fut désormais libellé comme suit : « Il (le Comité central) connaît des contestations électorales ». Il s'agit de toutes les élections organisées dans le pays (élection présidentielle, élections législatives et au niveau des entités administratives décentralisées). L'exposé des motifs de la loi constitutionnelle du 27 janvier 1988 donne l'explication suivante, de cette évolution : « Le contentieux électoral étant une matière essentiellement politique, il est hautement indiqué qu'il soit vidé par un organe politique ». Ainsi, en matière de contentieux électoral dans ce régime du monisme intégral644(*) dit du Parti-Etat, le recours judiciaire est remplacé par le recours politique, selon l'expression de l'exposé des motifs précité.645(*) Cette réforme du système de contrôle des élections aurait dû être parachevée par la mise sur pied de la procédure devant le Comité central siégeant en cette matière délicate. Mais, le règlement intérieur du Comité central du MPR du 17 octobre 1986 ne fut pas modifié pour intégrer cette évolution, probablement à cause de la précipitation des évènements de l'Europe de l'Est, à la suite de la désintégration de l'URSS, qui obligèrent le Président MOBUTU à faire des anticipations pour réformer le système politique du MPR.646(*) La Cour suprême de justice ne récupérera son attribution du contentieux électoral qu'en 1990. En effet, l'article 103 de la Constitution de la République du Zaïre, telle que modifiée par la loi n°90-002 du 5 juillet 1990, énonçait que « sans préjudice des autres compétences qui lui sont reconnues par la présente Constitution ou par les lois, la Cour suprême de justice connaît (...) des contestations nées des élections présidentielles, législatives et du référendum ». A ce jour aussi, la procédure devant la Cour suprême de justice n'a jamais été modifiée pour tenir compte de cette révision constitutionnelle, les articles 136 à 143 de la procédure portée par l'ordonnance-loi n°82-017 du 31 mars 1982 ayant été abrogés indirectement et implicitement par l'article 1er des dispositions transitoires de la Constitution révisée le 27 janvier 1988.647(*) Par ailleurs, actuellement, la justice constitutionnelle a connu une évolution notable en rapport avec le contrôle a priori d'actes législatifs et d'actes d'assemblée.648(*) En effet, la Constitution de la transition du 4 avril 2003 a introduit la procédure de consultation préalable et obligatoire de la Cour suprême de justice, toutes sections réunies, avant la promulgation des lois organiques649(*) ou avant l'entrée en vigueur des règlements intérieurs de l'Assemblée nationale et du Sénat.650(*) Sous cette transition issue du dialogue de Sun City, on peut relever que les actes législatifs en l'occurrence les lois ordinaires ne peuvent être promulguées sans la consultation du juge constitutionnel ; mais si elle est faite, un texte de loi déclaré non-conforme à la Constitution, quoique voté, ne peut plus être promulgué en l'état.651(*) C'est cette évolution que nous allons tenter de retracer dans les lignes qui suivent. * 626 Voir Proclamation du Haut-Commandement de l'Armée Nationale Congolaise en date du 24 novembre 1965, M.C., n°spécial, décembre 1965, p.1. * 627 Voir Mémoire explicatif de la Constitution du 24 juin 1967, M.C., n°14, 15 juillet 1967, pp.562-563. * 628 Voir article VII, alinéa 1er, des dispositions transitoires de la Constitution du 24 juin 1967. * 629 Voir article 60 de la Constitution du 24 juin 1967. * 630 En effet, le Conseil de législation n'étant pas retenu parmi les institutions constitutionnelles, le pays a manqué d'un organisme de consultation en matière de projets d'actes législatifs et réglementaires. Alors que l'institution d'un Conseil de législation en 1964 était justifiée pour deux raisons : d'abord, parce que beaucoup de textes législatifs ou réglementaires, ainsi qu'il ressort de la législation édictée depuis 1960, étaient très mal rédigés, surtout les textes provinciaux ; ensuite, parce qu'il fallait assurer la coordination des textes afin d'éviter que la législation ne devienne incohérente et ne contienne des contradictions. Voy Mémoire explicatif de la Constitution du 1er août 1964, op.cit, p. 111-112. * 631 Le mémoire explicatif qui accompagne la Constitution du 24 juin 1967 n'a en effet rien dit à ce sujet. * 632 Voir article 1er de la loi n°72-008 du 3 juillet 1972 portant révision de l'article 60 de la Constitution ; Contra : DIBUNDA KABUINJI, Droit judiciaire zaïrois -série spéciale, tome IV, Procédure devant la Cour suprême de justice, vol. 3 « Procédure devant la section administrative devant la Cour suprême de justice », Kinshasa, éditions CPDZ, 1987, p.4. * 633 Il s'agit de l'Ordonnance-loi n°69-2 du 8 janvier 1969 relative à la procédure devant la Cour suprême de justice, M.C., n°2, 15 janvier 1969, pp.58-73. * 634 Voir article 122, alinéa 2, de l'ordonnance-loi du 8 janvier 1969 portant procédure devant la Cour suprême de justice. * 635 Voir M.C., n°14, 15 juillet 1967, p.563. * 636 Ibidem, p.563. * 637 Voir les articles 102, alinéa 1er, de l'Acte constitutionnel de la Transition du 9 avril 1994 ; 150, alinéas 1er et 2, de la Constitution de la transition du 4 avril 2003. * 638 Voir JOZ, n°7, 1er avril 1982, pp.11-27. * 639 Après avoir été parti unique et institution suprême de l'Etat depuis le 23 décembre 1970, le MPR fut, le 15 août 1974, devenu Parti-Etat ; lire utilement VUNDUAWE te PEMAKO (F.), A l'ombre du Léopard. Vérités sur le régime de Mobutu Sese Seko, tome I, Bruxelles, éditions Zaïre Libre, 2000, pp.166-183. * 640 Voy article 103 de la Constitution de la République du Zaïre, telle que révisée par la Loi n°82-004 du 31 décembre 1982. * 641 C'est l'ordonnance-loi n°87-002 du 10 janvier 1987 portant organisation des élections des membres du Conseil législatif, des Assemblées régionales, des Conseils de Ville, des Conseils de Zone et des Conseils de collectivités, JOZ, n°spécial, 1987, pp.7-35. * 642 Voir les articles 60 et 67 de la Constitution du 24 juin 1967, telle que révisée par la Loi n°80-012 du 15 novembre 1980. * 643 C'est par la loi n°88-004 du 27 janvier 1988 portant révision de certaines dispositions de la Constitution. A partir du 15 août 1974, cette Constitution fut simplement appelée « Constitution de la République du Zaïre ». * 644 On peut lire utilement LUNDA BULULU (V. de P.), Conduire la première transition au Congo-Zaïre, collection Mémoires africaines, Paris, L'Harmattan, 2003, pp.155-158. Cet auteur résume la démarche de raffinement exquis du monopartisme zaïrois. * 645 Dès cet instant, les articles 160, point 3, du Code de l'organisation et de la compétence judiciaires et, 136 à 143 de la procédure devant la Cour suprême de justice sont devenus contraires à la Constitution, donc abrogés en vertu de l'article 1er des dispositions transitoires de la Constitution. * 646 Voy VUNDUAWE te PEMAKO, A l'ombre du Léopard..., op.cit, t.II, pp.282-288. * 647 Cette disposition constitutionnelle est ainsi libellée : « Pour autant qu'ils ne soient pas contraires aux dispositions de la présente Constitution, les textes législatifs et réglementaires existant à la date d'entrée en vigueur de la présente Constitution restent maintenus jusqu'au moment de leur abrogation ». A contrario : les textes législatifs et réglementaires contraires sont purement et simplement abrogés. * 648 Cette évolution est largement inspirée par le droit français. En effet, on l'a vu, le Conseil constitutionnel français exerce un contrôle a priori des lois, contrairement au modèle belge dont le juge congolais était proche jusque là. Cela est accentué depuis la Constitution du 18 février 2006 qui ramène finalement la justice congolaise dans le giron allemand. * 649 Voir l'article 121, alinéa 2, de la Constitution de la transition. * 650 Voir les articles 103, alinéa 2, et 109, alinéa 2, de la Constitution de la transition. * 651 Voir article 131 de la Constitution de la transition |
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