Du contentieux constitutionnel en République Démocratique du Congo. Contribution à l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle( Télécharger le fichier original )par Dieudonné KALUBA DIBWA Université de Kinshasa - Doctorat en droit 2010 |
§2. Création de la Cour constitutionnelle par la Constitution du 1er août 1964Contrairement à l'article 4 de la Loi fondamentale relative aux structures du Congo du 19 mai 1960 qui prévoit que seuls, « le Chef de l'Etat et les deux chambres composent le pouvoir constituant », le Président Joseph Kasa Vubu, après avoir renvoyé le Parlement, mettra plutôt sur pied une commission constitutionnelle chargée d'élaborer le projet de Constitution qui fut soumis plus tard au référendum.610(*) L'on peut se rapporter aux développements que nous avons consacrés plus loin à la Constitution dite de Luluabourg même si avec le professeur Vunduawe te Pemako, nous pouvons affirmer que dès lors que le peuple souverain est intervenu pour l'adopter, aucun reproche ne peut lui être fait car son pouvoir est inconditionnel et inconditionné.611(*) C'est le lieu de dire que c'est par les articles 53 et 165 de la Constitution du 1er août 1964 que la Cour constitutionnelle a été, à nouveau, instituée dans l'histoire de notre pays. Le mémoire explicatif nous donne les raisons de sa création. On peut donc lire que « le problème de la constitutionnalité des actes législatifs, celui de l'interprétation de la Constitution et celui du jugement des autorités gouvernementales accusées de haute trahison et de violation intentionnelle de la Constitution, ont retenu l'attention de la Commission. Celle-ci a rejeté le projet que la sous-commission judiciaire avait présenté et qui désignait la Cour suprême de justice comme juridiction compétente pour connaître de ces affaires. Elle a estimé que l'appréciation de la constitutionnalité des lois, l'interprétation de la Constitution et le jugement des autorités gouvernementales étaient des questions présentant un caractère politique trop accentué pour être examinées par une juridiction de l'ordre judiciaire. C'est pourquoi elle a prévu l'institution d'une juridiction spéciale dénommée Cour constitutionnelle ».612(*) Par ailleurs, l'article 167 de la Constitution dite de Luluabourg définit la compétence de la Cour constitutionnelle en ces termes : « la Cour constitutionnelle est compétente pour connaître : 1° des recours en appréciation de la constitutionnalité des lois et des actes ayant force de loi ; 2° des recours en interprétation de la présente Constitution, (...) ; 3° de toutes les affaires à l'égard desquelles la présente Constitution lui attribue compétence ; 4° de toutes les affaires à l'égard desquelles la législation nationale lui attribue compétence. La Cour constitutionnelle veille à la régularité de l'élection du Président de la République et des Gouverneurs de province (...). La Cour statue, en cas de contestation, sur la régularité des élections des membres du parlement et des assemblées provinciales (...). Elle veille à la régularité des opérations de référendum (...) ».613(*) De l'analyse de cette disposition, l'on peut dire que la Cour constitutionnelle ainsi instituée est une juridiction spécialisée qui dispose du monopole de l'exercice de la justice constitutionnelle. Le constituant du 1er août 1964 a donc opté pour un système centralisé de contrôle de constitutionnalité, suivant le modèle européen inspiré, comme on le sait déjà, de l'Ecole de Vienne dirigée par l'éminent juriste autrichien Hans Kelsen. La Cour constitutionnelle congolaise devait donc remplir trois des quatre missions principales reconnues à une juridiction constitutionnelle en droit comparé, à savoir : le contrôle de constitutionnalité des actes législatifs614(*), le contentieux des élections et des consultations populaires615(*) et le contentieux de la division verticale des pouvoirs.616(*) Le seul principal contentieux existant en droit comparé617(*), depuis quelque temps d'ailleurs, au niveau de la juridiction constitutionnelle, qui ne fut pas organisé par la Constitution sous revue est celui des libertés et droits fondamentaux. Dans ce contentieux, la juridiction constitutionnelle devient gardienne des droits et libertés fondamentaux notamment contre la volonté législative d'une majorité gouvernementale.618(*) Ceci induit que le droit de saisine soit élargi.619(*) L'élargissement de la saisine aux parlementaires appartenant à un ou plusieurs groupes de l'opposition est devenu, en France, un élément essentiel du statut de l'opposition.620(*) En Belgique, Rusen Ergec affirme que « l'accès très large des particuliers à la justice constitutionnelle, presque sans équivalent en droit comparé, constitue un progrès considérable dans la protection des libertés constitutionnelles et le raffermissement de l'Etat de droit dont la Cour apparaît de plus en plus comme la clef de voûte ».621(*) Ce contentieux apparaît donc pour la doctrine occidentale comme le contentieux phare de la justice constitutionnelle. 622(*) Sur la saisine de la Cour constitutionnelle congolaise par les particuliers, on peut rappeler l'explication fournie dans le Mémoire explicatif de la Constitution où il est dit qu' « on notera que les particuliers (personnes physiques ou morales) ne seront habilités à saisir eux-mêmes la Cour constitutionnelle. Dans l'esprit de la disposition proposée par le Secrétariat (article 168 de la Constitution), ils pourront, néanmoins, soulever une exception d'inconstitutionnalité devant la Cour suprême de justice lorsqu'ils y introduisent un pourvoi en cassation. Dans ce cas, si elle estime que la disposition législative attaquée par le requérant est inconstitutionnelle, la Cour suprême pourra, elle, saisir la Cour constitutionnelle d'une demande en appréciation de la constitutionnalité ».623(*) Enfin, faute de texte d'organisation prévu pourtant à l'article 165, alinéa 7, de la Constitution qui devait fixer la procédure à suivre devant la Cour constitutionnelle, cette dernière n'a jamais été opérationnelle. Par ailleurs, l'article 196 (dispositions transitoires) avait prévu qu'en attendant cette installation, la Cour d'appel de Léopoldville actuellement Kinshasa exercera les attributions dévolues par la Constitution à la Cour constitutionnelle. C'est ce qui justifie qu'en tant que juge constitutionnel, la Cour d'appel de Léopoldville a eu à connaître du contentieux électoral dans l'affaire qui avait opposé Monsieur Bomboko et consorts contre la République. La contestation était en rapport avec les élections législatives pluralistes organisées en 1964 par le gouvernement Moïse Tshombe. Il faut cependant dire que ce transfert de compétence de juridiction constitutionnelle à une Cour d'appel ne devrait pas être érigé en principe. Le pays sorti de perturbations aussi intenses que cruelles que l'on connaît avait-il réellement les moyens de sa politique ? Au-delà du catéchisme constitutionnel occidental en vogue à cette époque, le juge constitutionnel était-il un besoin social ressenti par les congolais ? Rien n'est moins sûr. La solution pragmatique était de confier cette fonction à un seul juge. La Cour suprême de justice jouera désormais le rôle de juge constitutionnel en remplaçant la Cour constitutionnelle proprement dite. Cette dernière n'a jamais connu d'installation en raison de circonstances politiques de l'époque. 624(*) Au-delà des guerres, des sécessions et des rebellions qui ont émaillé les quatre premières années de l'indépendance, il y a lieu d'épingler aussi l'absence phénoménale de juristes congolais formés pour siéger à une si haute instance. Du reste, il est constant dans notre pays que la formation des cadres n'a pas fait l'objet des préoccupations des dirigeants de première heure de l'Etat congolais de sorte que ce mécanisme avalant des milliers des cadres apparaissait comme des ombres sur un tableau d'illusions. Une chose est de prévoir un mécanisme, une autre est de trouver des personnalités aptes à l'animer. Comme on le verra, à l'installation de la Cour suprême de justice, le pays a du recourir à des non magistrats et à des juristes étrangers.625(*) * 610 La commission constitutionnelle a été mise sur pied par l'ordonnance n° 226 du 29 septembre 1963 clôturant la session parlementaire et instituant une commission d'élaboration d'un projet de Constitution. * 611 VUNDUAWE te PEMAKO (F.), Traité de droit administratif, op. cit, p.101. * 612 Voy Mémoire explicatif de la Constitution du 1er août 1964, M.C., numéro spécial, 1er août 1964, pp.117-118. * 613 Voir M.C., n° spécial, 1er août 1964, p.28. * 614 Voir article 167, alinéa 1er, 1°, de la Constitution du 1er août 1964. * 615 Voir article 167, alinéas 2,3 et 4, de la Constitution du 1er août 1964. * 616 Voir article 167, alinéa 1er, 2°, de la Constitution du 1er août 1964. * 617 Aux Etats-Unis après la seconde guerre mondiale, en France depuis 1971 et en Belgique depuis la réforme de 1989 ; voy FAVOREU (L.), Les cours constitutionnelles, op.cit, p.45. * 618 ROUSSEAU (D.), Droit du contentieux constitutionnel, 6ème édition, Paris, Montchrestien, 2001, p.69. * 619 En France aujourd'hui, 60 députés ou 60 sénateurs peuvent saisir le Conseil constitutionnel. En Belgique, la Cour constitutionnelle peut être saisie par toute personne justifiant d'un intérêt ou son avocat (voir article 142, alinéa 3 de la Constitution belge et 5 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage). * 620 Voy BURDEAU (G.), HAMON (F.) et TROPER (M.), Droit constitutionnel, 24ème édition, Paris, LGDJ, 1995, p.677. * 621 R.ERGEC, op.cit, n°534, p.230 ; Voy aussi DELPEREE (F.), op.cit, n°93, pp. 111-112 ; UYTTENDAELE (M.), op.cit, n°471, pp. 484-485. * 622 Voy GICQUEL (J.), Droit constitutionnel et institutions politiques, 17ème édition, Paris, Montchrestien, 2001, pp.718-719 ; PACTET (P.), Institutions politiques et droit constitutionnel, 9ème édition, Paris, Masson, 1989, p.464 ; CHANTEBOUT (B.), Droit constitutionnel et science politique, 15ème édition, Paris, Armand Colin, 1998, pp.600-602. * 623 Voy Mémoire explicatif de la Constitution du 1er août 1964, op.cit, p.119. Relevons par ailleurs que la Cour suprême de justice pouvait en plus, aux termes de l'article 168, même en l'absence de toute demande émanant d'un particulier, saisir, motu proprio, la Cour constitutionnelle d'une demande en appréciation de constitutionnalité. * 624 Lire, pour s'imprégner de ces circonstances, VANDERLINDEN (J.), (sous la direction de), Du Congo au Zaïre. 1960-1980, Bruxelles, CRISP, s.d: KAMUKUNY MUKINAY (A.), Contribution à l'étude de la fraude en droit constitutionnel congolais, Thèse de doctorat en droit public, Université de Kinshasa, Faculté de Droit, 28 juillet 2007 ; KITETE KEKUMBA OMOMBO, Autonomie Politique et Constitutionnelle du Zaïre. Essai de solution à l'inadéquation institutionnelle du Zaïre, Thèse de doctorat d'Etat en Droit public, Université de Droit et sciences sociales de Paris I, 1980 ; YOUNG (C.), Introduction à la politique congolaise, Kinshasa, Kisangani, Lubumbashi, Bruxelles, CRISP, 1968. * 625 Des personnalités comme Marcel Antoine LIHAU, Emile LAMY, Guy BOUCHOMS ou José Patrick NIMY MAYIDIKA NGIMBI émanaient soit de l'enseignement universitaire soit du Barreau. |
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