L'aménagement linguistique est « l'ensemble des
opérations qui permettent la réalisation
concrète des
objectifs définis par la politique et programmés par la
planification »20 Il est
18 Abdulaziz (1992), cité par Marc-Laurent
HAZOUME, 1994 in Politique linguistique et développement (Cas du
Bénin), Cotonou, Les Editions du Flamboyant, p. 68-69
19 Marc-Laurent HAZOUME, 1994 in Politique
linguistique et développement (Cas du Bénin), Cotonou, Les
Editions du Flamboyant, p. 83.
20 Chaudenson (1991) cité par Marc-Laurent
HAZOUME, 1994 in Politique linguistique et développement (Cas du
Bénin), Cotonou, Les Editions du Flamboyant, p. 87.
« compris comme la mise en place de stratégies
concertées visant la normalisation et la modernisation des langues
nationales et leur adaptation aux attentes et aux pratiques sociales
contemporaines »21
Selon Hazoumé (1992), « l'aménagement est
d'ordre essentiellement pratique et concret. Il est l'aboutissement de deux
éléments importants qui balisent la question linguistique : la
politique et la planification ».
L'aménagement aborde les problèmes de
normalisation, d'harmonisation et d'enrichissement des langues en se basant
entre autre sur les domaines que sont la lexicographie, la lexicologie, la
terminologie, la grammaire, etc. Il y a donc lieu de formuler et de financer
des programmes de recherche de grande envergure devant prendre en compte :
- la description des langues ;
- la mise au point des alphabets ;
- l'élaboration de lexiques spécialisés.
Au Bénin, ces genres de travaux existent
déjà ; ils devront être poursuivis et enrichir étant
donné que les langues sont dans une dynamique progressiste ; elles se
développent, s'enrichissent, évoluent et peuvent même
mourir.
La Constitution du 11 décembre a consacré le
français langue officielle, langue de l'administration, langue
d'intercommunication. Elle a simplement laissé la liberté aux
communautés composant la Nation béninoise d'utiliser leurs
langues parlées et écrites et de développer leur propre
culture tout en respectant celle des autres. La seule recommandation explicite
c'est que l'Etat devra promouvoir le développement des langues
nationales d'inter- communication.
Contrairement à ce qu'on peut être tenté
de croire, le français, comme l'anglais ou le portugais ailleurs, ne
sont pas imposés aux Africains par les colons. Ces langues sont des
héritages appropriés et entretenus par les dirigeants africains
eux-mêmes.
« La "francophonie", pour sa partie africaine,
apparaît [plus] comme la gestion africaine de l'héritage colonial
plutôt que comme l'imposition par l'ancienne puissance coloniale de sa
langue... »22
21 CILDA (1992), cité par Marc-Laurent
HAZOUME, 1994 in Politique linguistique et développement (Cas du
Bénin), Cotonou, Les Editions du Flamboyant, p. 87.
22 CALVET, L.-J., 1992, "Les langues nationales
à l'école : un débat passionné, un serpent de mer",
in Diagonales n° 21, p. 23.
« La période des indépendances loin de
gêner la pénétration du français en Afrique l'a,
paradoxalement, renforcée. Juridiquement, le français devenait
langue officielle et, dans la plupart des pays francophones, langue
d'enseignement »23
« Le fait que le français soit reconnu comme
langue officielle d'un Etat ne signifie pas pour autant que sa population soit
vraiment et pleinement francophones, (...), les statistiques sur la
démographie des francophones souffrent nombre de démentis
dès qu'on aborde l'étude à partir de critères socio
et géolinguistiques »24
En Afrique, en général le taux de communication
réel en français ou en anglais tend à se restreindre aux
groupes de la population qui ont accès aux fonctions sociales
supérieures assurées par la langue officielle (enseignement,
administration, relations publiques et internationales).
Mais l'histoire a carrément fait du français,
non seulement la langue officielle du Bénin mais la langue inter
ethnique. En effet, il se comporte comme tel car reste et demeure l'unique
moyen de communication utilisé par des hommes et des femmes de
régions ethniques différentes lorsque, aucune langue
véhiculaire ne les unit. D'aucuns soutiennent que de par sa fonction
dans la société, le français est unificateur ; en
réalité il n'est réservé qu'à une infirme
partie de la population (moins de 20%), et pour ce faire, il crée une
ségrégation non pas raciale heureusement mais sociale : une
classe de privilégiés d'une part et une autre de
défavorisés de l'autre.
La responsabilité des hommes politiques africains dans
la situation actuelle est donc très grande. Il faudra sincèrement
sortir des grands discours, des déclarations d'intention sur la
défense, la promotion et l'utilisation des langues nationales et des
cultures africaines. « Ici comme ailleurs la `magie du verbe' est de peu
d'utilité, les grands discours ne servent qu'à masquer la
volonté de ne rien changer, et il ne saurait y avoir de relations saines
et harmonieuses entre le français et les langues africaines sans que
chacune des parties prenantes ne se donne les moyens d'une approche
scientifique du problème. Alors (...) on pourra loin de toute
démagogie poser sainement et sereinement les problèmes
»25
Au Bénin, comme nous l'avons montré plus haut,
beaucoup de dispositions politiques,
administratives et juridiques ont
été prises pour l'utilisation judicieuse des
langues
nationales et leur promotion. Tout est en effet mis en place pour
que les langues
23 ALBERIC, Gérard, & HAÏTSE,
Véronique, 1992, "Le français et le plurilinguisme en Afrique" in
Diagonales n° 24, p. 6.
24 LATIN, Danièle, 1992, "Langues en
présence. Multilinguisme et francophonie", in Diagonales n°
21, p. 30.
25 CALVET, L.-J., 1992, "Les langues nationales
à l'école : un débat passionné, un serpent de mer",
in Diagonales n° 21, p. 23.
nationales soient utilisées :
- dans le système éducatif formel,
- dans l'administration,
- dans les institutions de l'Etat Bénin
- dans les échanges commerciaux
- etc.
Seulement ces mesures administratives prises en
matière de langues nationales n'ont pas un caractère contraignant
et n'obligent pas réellement au développement et la promotion des
langues nationales.
En stipulant que « l'alphabétisation et
l'éducation des adultes au Bénin sont un facteur important de
démocratisation et un moyen irremplaçable pour l'exercice complet
du droit de chaque citoyen à l'éducation et au
développement »26, la Charte Culturelle n'a fait qu'un
constat et une déclaration scientifique ; cela n'est pas assorti de
mesures concrètes et pratiques.
Selon Henri Hessou, 1992, « pour jouir pleinement de ce
droit, chaque Béninois ou chaque Béninoise doit maîtriser
d'abord la lecture, l'écriture et le calcul élémentaire en
sa langue maternelle et dans la langue de travail reconnue par la constitution
béninoise du 11 décembre 1992 »27.
Des décisions importantes sont prises. Il reste
à les opérationnaliser sur les plans juridiques, administratifs
et techniques afin que le discours laisse la place à la
concrétisation des pensées.