Selon Chaudenson (1991)10 « la politique
linguistique est l'ensemble des choix en matière de langue et de culture
». Elle est entendue comme choix politiques et administratifs et s'inscrit
dans une dynamique. La politique linguistique une fois explicite a pour
conséquences des mesures scientifiques et techniques d'accompagnement
à travers la Planification linguistique et l'aménagement
linguistique.
En la matière, qu'observe-t-on au Bénin ?
1.3.1. Politique linguistique au Bénin
Les objectifs définis par la politique linguistique
béninoise sont multiples et diversifiés ; ils trouvent leur
fondement dans les différentes prises de décision politiques et
juridiques, de la période révolutionnaire à
l'avènement du Renouveau Démocratique.
Les objectifs de la politique linguistique officielle
béninoise se définissent comme suit :
- introduire les langues nationales dans l'administration au
niveau local (préfectures, communes, arrondissements, villages,
quartiers de ville) ;
- introduire les langues nationales dans l'éducation
formelle : introduire les langues nationales comme matière et par la
suite comme véhicules du savoir en cohabitation avec le français
dans l'enseignement (écoles, collèges, centres de formation
professionnelle, universités)
- promouvoir les recherches sur les langues nationales ;
- mettre des moyens à la disposition des institutions
spécialisées pour faire des recherches sur les langues nationales
en vue de leur développement.
La réhabilitation des langues nationales et leur
introduction dans le système éducatif formel ont
été les préoccupations majeures du Gouvernement Militaire
Révolutionnaire. Cela a été souligné à
travers, notamment le Discours Programme du 30 novembre 1972, le Programme
National d'Edification de l'Ecole Nouvelle et l'Ordonnance n° 75%30 du
23
9 MPREPE: Programme National de
Développement Communautaire (PNDC), juin 1998; Composante 1: Education
et formation Communautaires; Sous- programme 2: Intensification de
l'alphabétisation foctionnelle de masse, page 35.
10 Cité par Marc-Laurent HAZOUME, 1994 in
Politique linguistique et développement (Cas du Bénin),
Cotonou, Les Editions du Flamboyant, p. 57.
juin 1975 portant loi d'orientation de l'Ecole Nouvelle.
A l'avènement de la Démocratie pluraliste, le
peuple et les autorités ont rappelé et réaffirmé
les positions initiales à travers la Constitution du 11 décembre
1990, la Politique Culturelle et la Charte Culturelle en République du
Bénin, la Loi N° 2003% 17 portant Orientation de l'Education
Nationale en République du Bénin et la Décision du 15
juillet 199211.
Cette politique linguistique vise plusieurs secteurs :
- l'enseignement, de la maternelle au supérieur ;
- l'administration ;
- les services socio-professionnels ;
- tous les secteurs de l'alphabétisation et de
l'éducation des adultes.
« Si la Révolution démocratique et
populaire en a fait un combat à travers l'alphabétisation de
masse, l'action la plus concrète de l'ère du Renouveau
Démocratique concernant l'éducation et les langues nationales au
Bénin c'est la réforme donnant lieu aux Nouveaux Programmes
d'Etudes (NPE) dans l'enseignement primaire. Le "Module Langue et Culture" est
l'innovation de ces programmes d'études ; la langue maternelle est
utilisée au cours de plusieurs activités (...) A la fin de
l'année scolaire 1997%1998, les trente premières écoles
expérimentales ont présenté leurs premiers
élèves candidats au Certificat d'Etudes Primaires (CEP) et ont
été évalués en langues et culture au même
titre que dans les autres disciplines »12.
L'instauration du "Module Langue et Culture" ne permet pas
pour autant de croire que les pratiques linguistiques sont réelles et
effectives ; les secteurs socio-professionnels sont toujours en
balbutiement.
En effet, les principaux résultats issus de
l'application de la politique linguistique ne sont que le reflet des taux
d'alphabétisation existants. Les résultats restent
mitigés. La politique linguistique du Bénin se limite aux
déclarations d'intention.
1.3.2. Planification linguistique au
Bénin.
Après les choix politiques, l'étape suivante
pour la valorisation des langues nationales et
cultures est celle qui
consiste à prendre les mesures techniques et
administratives
convenables pour y parvenir ; Hazoumé (1994) le
trouve comme « un préalable
11 cf. Relevé des Décisions
Administratives N°27/SGG/REL du 16 juillet 1992
12 Tchitchi, T. Y., 2003, "Pratique et Gestion des
langues nationales au Bénin", Communication in Atelier de mise en
commun des expériences en matière de gestion des langues en
Afrique de l'Ouest, Rapport général, par l'Agence
Intergouvernementale de la Francophonie, Bamako, 19-21 nov. 2003.
nécessaire à toute action d'envergure ».
Selon Chaudenson (1991)13, la planification est
« l'ensemble des opérations qui visent la programmation et les
modalités de la réalisation des objectifs définis par la
politique en fonction des moyens disponibles et des procédures
envisagées pour cette mise en oeuvre ».
Au Bénin, les actions principales se sont limitées
à :
- la création de structures scientifiques et techniques
chargées de la promotion des langues nationales ;
- des insertions timides et éparses de décisions
administratives en faveur des langues nationales.
Paradoxalement, les textes juridiques ne sont pas très
tranchés et ne permettent pas de leur accorder une place envieuse.
Le statut de langue officielle, langue de travail et langue
de l'administration, accordé au français au détriment des
langues nationales reste et demeure le tout premier handicap. Surtout parce que
dans le même temps aucun statut clair et privilégié n'est
accordé à aucune langue nationale pouvant lui permettre de
s'imposer. Ainsi, quelles que soit les actions entreprises, l'absence de
`contrainte' lié au statut, donc à la place et au rôle des
langues nationales sera un handicap pour leur promotion.
Selon VIGNER (1992), « Les éléments de
statut sont appréhendés à l'aide des
catégories suivantes : officialité ; usage
institutionnalisé (textes officiels, textes administratifs, justice,
administration locale, religion) ; éducation ; moyens de communication
de masse (presse écrite, radio, télévision, cinéma,
édition) ; secteur économique (secondaire et tertiaire). Les
éléments de corpus renvoyant aux usages effectifs de la
langue distinguent les milieux et les langues selon : le mode d'appropriation
(acquisition ou apprentissage) ; la production et l'exposition
langagières ; la compétence linguistique ; les taux de
véhicularisation et de vernacularisation »14
Le statut représente donc un ensemble
d'attributs importants que l'on confère à une langue et
qui lui offre sa place ou son role sur le plan
communicationnel et donc dans la société.
Une loi qui obligerait par exemple les députés
à parler une ou des langues nationales
dans l'hémicycle, les
Maires ou les élus locaux à utiliser une ou des langues
nationales
13 Cité par Marc-Laurent HAZOUME, 1994 in
Politique linguistique et développement (Cas du Bénin),
Cotonou, Les Editions du Flamboyant, p. 57.
14 VIGNER, Gérard, 1992, "Situations
linguistiques en Afrique" in Diagonales n° 24, p. 8.
dans leur localité, ou les services publics à
accorder une place à une ou quelques langues, etc. pourrait permettre
d'amorcer une utilisation institutionnelle de ces langues comme
déjà largement souhaitée et explicitée dans les
choix.
Le premier acte de la planification est donc relatif au
statut1 5.
Les pays avancés dans le domaine l'ont si bien compris
qu'ils ont pris en la matière des mesures pratiques :16
- Le Canada Québec l'a amorcé depuis 1867 en
optant pour le bilinguisme (anglais, français), puis en 1972 avec
l'adoption d'une « loi sur la langue officielle », et en 1977
l'adoption de la charte de la langue française ;
- Dans l'ex-Union Soviétique la politique linguistique
a abouti au choix de la langue russe comme langue officielle et a fait des
langues considérées comme minoritaires des langues n'ayant aucune
envergure internationale ;
Avec l'éclatement de l'Union d'autres tendances ont vu
le jour : certains pays comme la Lithuanie et l'Estonie ont adopté des
modifications constitutionnelles pour proclamer en 1988 leurs langues
respectives, langues officielles. L'année suivante, des lois à
caractère linguistique furent votées ; et d'autres
républiques fédérées leur emboîtaient le pas
;
- L'Inde, pays où il est attesté mille six cent
cinquante deux langues maternelles a pu choisir le hindi et l'anglais comme
langues nationales officielles ;
- Avec ces multitudes de parlers, l'Indonésie a
donné un statut officiel à l'indonésien, langue nationale
et à l'anglais, une langue étrangère ;
- En Papouasie Nouvelle Guinée, environ huit cent
cinquante langues sont dénombrées ; pourtant deux langues
nationales et une langue étrangère ont été
reconnues comme langues officielles ;
- Au Pérou soixante langues sont parlées ; mais
seulement le quechua et l'aymara sont déclarés langues d'usage
officiel et l'espagnol langue officielle de la République.
- Au Nigeria, avec l'option de l'Etat,17 « le
Gouvernement doit veiller a ce que le
15 Selon Hazoumé (1994 : 60), « En
allant encore dans le détail, le statut recouvrirait deux
réalités : le "status" et le "corpus" ».
L'auteur cite Chaudenson (1991) en ces termes : « Décider par
décret de faire de tel idiome la langue officielle d'un Etat est un acte
qui relève de l'aménagement de status, la pourvoir d'un
code graphique ou l'enrichir au plan terminologique est une opération
qui concerne le corpus »
16 cf. Mauraix, J. cité par Marc-Laurent
HAZOUME, 1994 in Politique linguistique et développement (Cas du
Bénin), Cotonou, Les Editions du Flamboyant, p. 61-70.
17 Adégbija (1992), cité par
Marc-Laurent HAZOUME, 1994 in Politique linguistique et
développement (Cas du Bénin), Cotonou, Les Editions du
Flamboyant, p. 68-69
medium d'instruction dans l'enseignement primaire
soit, tout d'abord, la langue maternelle ou la langue de la communaute
immediate et, à un stade ultérieur, l'anglais
»
Abdulaziz (1992)18 ajoute que «
le Nigeria a decide que le hawsa, le yoruba et l'ibo
étaient les langues dominantes qu'on devrait utiliser a
l'Assemblee federale à l'avenir ».
- En République Centrafricaine, le sango est reconnu
comme langue nationale officielle à côté du
français.
Ce sont là quelques exemples de décisions
relatives au premier acte de la planification linguistique qu'est la question
du statut.
Cette étape de la planification n'est pas encore
amorcée au Bénin. Il est indispensable que l'Etat béninois
s'y engage sans réserve.
Il est vrai, avec la décision du Conseil des Ministres
du 15 juillet 1992 mentionnée dans le Relevé des Décisions
Administratives N°27/SGG/REL en date du 16 juillet 1992, le Bénin a
fait un grand pas. Malheureusement, plus de treize années après
cette décision, aucune mesure obligatoire et
contraignante conséquente n'a suivie.
La raison est toute simple : c'est une décision
administrative ; elle n'a pas force de lois, et les textes fondamentaux de la
République, la Constitution du 11 décembre 1990 notamment, ne
confèrent aucun statut juridique aux langues nationales. Cette
étape s'avère très indispensable.
Dans cette démarche il est tout de même
important d'éviter une monopolisation culturelle. « Il ne s'agira
pas, en choisissant de valoriser une langue régionale, de
procéder à une glottophagie scandaleuse ou d'exercer un
impérialisme linguistique sur un quelconque groupe. Il s'agit purement
et simplement d'une question stratégique qui n'exclut aucune langue
maternelle. Une position contraire consisterait à nier les cultures des
groupes sociaux existant dans le pays »19.