3.7. Quels blocages pour l'enseignement/apprentissage en
langues nationales ?
« Où se situent donc exactement les blocages ?
», s'étonne KESTELOOT (1992). Quand les décisions sont
prises qu'est-ce qui empêche leur exécution ? La réponse
est aisée, s'empresse t-il de répondre : « L'intendance ne
suit pas. Pas de publications, pas de manuels, pas d'enseignants aptes à
s'exprimer dans la langue locale »69
La crainte profonde pourrait aussi être que le
développement des langues nationales comme vecteurs d'enseignement sera
nuisible à l'apprentissage du français. Dans ce que KESTELOOT
appelle "la guerre des langues", il affirme « Ni les expériences au
Zaïre ou au Nigeria (où l'on constate que toutes les études
primaires en langues africaines n'ont jamais empêché un excellent
apprentissage du français ou de l'anglais, ni les études et tests
psychologiques (qui ont abondamment prouvé que la personnalité et
l'intellect se développaient mieux, en divisant la difficulté
d'appendre à la fois la lecture, l'écriture et une langue
étrangère), ni la baisse régulière du niveau de
connaissance du français dans les écoles, puis les lycées,
puis les universités africaines,
67 Les départements ici tiennent compte des
anciens découpages.
68 La proposition du yoruba à enseigner dans
la région méridionale (départements du Zou et des
Collines) rejoint à juste titre la proposition faite par le Professeur
IGUE dans son article intitulé « Plaidoyer pour l'utilisation
du yoruba standard dans les écoles au Bénin », qui
démontre qu'il est plus économique pour les Yoruba du
Bénin d'utiliser comme médium d'enseignement le yoruba standard
lorsque l'introduction des langues nationales sera effectif.
69 KESTELOOT, L., 1992, "Place, enfin, aux langues
nationales" in Diagonales n° 21, p. 24.
rien de tout cela n'a pu ébranler l'intime et
sincère conviction de ceux qui croient défendre le
français en supprimant les langues africaines de l'horizon scolaire. Car
il s'agit d'un refus, implicite bien sûr, jamais exprimé, mais
néanmoins radical »70
Le blocage se note aussi au niveau des Africains
eux-mêmes, et c'est là où il faut le changement le plus
souhaité. En effet, certains cadres africains doutent
profondément que les langues nationales « soient utiles pour la
"carrière" dans une administration où la langue officielle est le
français »71. Ce qui est désespérant,
« c'est de voir que des parents africains privent leurs enfants de la
langue maternelle, sous prétexte que, grâce à
l'apprentissage du seul français, ils iront plus vite dans leurs
études et deviendront des gens bien »72. Les parents
attendent plutôt que les enfants apprennent à lire et à
écrire le français. Ils savent que dans les milieux dits "nobles"
ou "modernes", le français est un "passeport" psychologique et social.
Car, « si le français n'est pas la langue maternelle de l'enfant
africain, il est toujours de manière partielle ou exclusive sa langue
d'enseignement et de ce fait, il est vécu comme un facteur de promotion
sociale »73.
L'agitation du « drapeau noir du tribalisme toujours
menaçant »74 constitue une justification facile à
la crainte permanente d'éventuels conflits immédiats ou futurs
qui adviendraient du choix d'une ou de quelques langues dans des Etats qui en
comptent des dizaines. Seulement, ajoute KESTELOOT, « nul ne songe
à regarder du côté de la suisse (trois langues nationales
enseignées), de la Belgique (deux langues) et même de l'Alsace
où le français rivalise avec l'allemand, sans que cela ne menace
l'unité de l'Etat suisse, belge ou français
»75.
Un autre argument facile consiste à parler d'absence de
moyens d'édition et à l'entretenir peut-être à
dessein. On affirme que tout manque dans ce domaine : dictionnaires,
grammaires, manuels, livres de lecture oubliant qu'il suffit d'accorder une
priorité sincère à la réalisation des options
faites pour permettre aux disponibilités techniques et intellectuelles
déjà existantes de se déployer. C'est la meilleure
façon de rejoindre la position des intellectuels des années
1965%1970 « qui avaient ajourné cette revendication linguistique en
fonction de l'absence - provisoire - des outils d'enseignement et des
maîtres formés dans ce projet »76 ; depuis lors,
cette absence "provisoire" est demeurée "permanente" en raison de
l'indécision notoire des
70 Idem., Ibid., p. 24
71 Idem., Ibid., p. 24
72 cf. BEBEY, Francis, 1992, "Exprimer la vie par les
mots, la musique et la voix", entretien réalisé par JALLON
Philippe in Diagonales n° 24, p. 4.
73 ALBERIC, Gérard, & HAÏTSE,
Véronique, 1992, "Le français et le plurilinguisme en Afrique" in
Diagonales n° 24, p. 6.
74 KESTELOOT, L., 1992, "Place, enfin, aux langues
nationales" in Diagonales n° 21, p. 25
75 Idem., Ibid.., p. 25
76 Idem., Ibid., p. 25
responsables à divers niveaux et le demeurera tant que la
politique de l'autruche sera celle appliquée aux langues nationales dans
les différents pays africains.
Il suffira tout simplement donc d'oser et de passer à
l'action pour que les blocages soient levés.
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