CONCLUSION
La question principale de notre étude était de
savoir comment dégager la mise en oeuvre de la décentralisation
financière en RDC des entraves à son efficacité.
Pour ce faire, il nous fallait trouver des éléments
de réponse aux questions secondaires suivantes :
1°-En quoi ces entraves consisteraient-elles ?
2°-Quelles stratégies faudra-t-il adopter pour les
contourner et rendre la décentralisation financière plus à
même d'atteindre ses objectifs ?
En guise de réponse provisoire à ces
préoccupations, nous avions considéré, comme principaux
goulots d'étranglement à la mise en oeuvre réussie de la
décentralisation financière en RDC, d'une part le non-respect
chronique des textes de base et des procédures en la matière et,
d'autre part, les faibles capacités de mobilisation et de gestion des
ressources budgétaires tant au niveau national, en provinces que dans
les ETD.
Nous avions également envisagé de proposer,
comme remèdes à ces différents maux, le changement de
comportement du pouvoir central, des provinces et des ETD dans le sens du
respect des règles et principes en vigueur, d'un côté et,
de l'autre, le renforcement de leurs capacités de mobilisation et de
gestion des ressources budgétaires.
Pour vérifier ces différentes hypothèses,
nous avons, dans le développement de l'objet de notre travail,
montré comment la décentralisation en général et la
décentralisation financière, en particulier, sont
instituées et organisées en RDC au cours de la période
d'analyse, soit de 1982 à 2009. Nous avons, à cet égard,
identifié les compétences, les ressources et les missions
reconnues par les textes légaux et réglementaires aux
différents niveaux du pouvoir d'Etat (Pouvoir Central, provinces et
ETD).
Par la suite, nous avons, à la lumière de ce
cadre de référence, analysé la manière dont le
secteur financier du pouvoir central et des provinces et ETD était
conduit. Nous avons cherché à savoir d'où venaient
l'enlisement et l'inefficacité de la mise en oeuvre de la
décentralisation financière en RDC. Les goulots
d'étranglement alors identifiés en exploitant les données
vérifiables en notre possession, nous avons pu proposer, en connaissance
de cause, quelques voies à emprunter pour y remédier.
Cet exercice nous a permis d'aboutir aux résultats que
nous nous empressons de présenter cidessous.
En général, il ressort clairement de notre travail
que toutes nos hypothèses ont été vérifiées.
Dans bien de cas, elles ont été significativement enrichies.
L'hypothèse du non-respect chronique des textes de base
et des procédures en vigueur a été vérifiée
en référence à quelques faits et phénomènes
majeurs ayant marqué le processus décentralisateur au cours de la
période d'analyse.
Il s'agit, notamment, de la mise en place incomplète de
l'ossature juridique et institutionnelle de la décentralisation ainsi
que du déficit de solidarité financière entre l'Etat
central et les provinces et, entre les provinces et les entités
territoriales décentralisées.
En effet, nonobstant la volonté politique clairement
exprimée à travers les principaux textes fondateurs de la
décentralisation, à savoir les lois « Vunduawe » de
1982, la Constitution de 2006 ainsi que les lois de décentralisation de
2008, le caractère incomplet de l'exécution juridique et
institutionnelle de la décentralisation en RDC se manifeste par la
non-exécution du découpage territorial, lequel fixerait les
limites des nouvelles provinces et ETD; la nonexécution de la
décentralisation sectorielle, laquelle assurerait le transfert officiel
des compétences et responsabilités à ces dernières;
et, la non-organisation des élections locales municipales et urbaines,
lesquelles garantiraient l'exercice démocratique du pouvoir d'Etat
à la base.
Le déficit de solidarité financière,
quant à lui, s'explique par la non-actualisation de la
législation financière ; l'indiscipline budgétaire ; un
très faible niveau de rétrocession des recettes à
caractère national reconnues aux provinces par rapport au niveau
prévu dans la Constitution, soit en moyenne 10,5% en 2008 au lieu de 40%
; ainsi que par l'absence de péréquation alors que le
déséquilibre économique interprovincial est tel que la
tension extrême entre les recettes des provinces est de l'ordre 1
à 8,5.
Ce premier résultat entraîne naturellement, comme
implication de politique économique, le rétablissement de
l'équilibre financier des provinces et entités territoriales
décentralisées par la consolidation du cadre juridique et
institutionnel de la décentralisation et de la vie financière
nationale et provinciale, ainsi que par l'application effective des principaux
mécanismes de financement de la décentralisation, à savoir
la rétrocession et la péréquation.
Néanmoins, la présente étude a eu
à révéler que le contexte économique de la RDC
étant caractérisé par un déséquilibre
prononcé entre le potentiel des différentes provinces, toute
exécution automatique de la rétrocession par la retenue
à la source de 40% des recettes à caractère national
pourrait s'avérer néfaste dans la mesure où elle peut
davantage creuser les écarts entre ces dernières. Cette nouvelle
donne souligne le rôle déterminant que doivent jouer la
péréquation ainsi que le consensus dégagé lors du
Forum National sur la Décentralisation pour corriger progressivement les
disparités.
L'implication de politique économique que suscite ce
résultat inattendu consisterait à coupler la rétrocession
et avec la péréquation de 10% des recettes à
caractère national et avec l'application de la formule consensuelle
dudit Forum.
L'hypothèse des faiblesses fréquentes et
persistantes de capacité du pouvoir d'Etat dans la mobilisation et la
gestion des ressources budgétaires, a été principalement
vérifiée par l'insuffisance des ressources budgétaires des
provinces et ETD par rapport à la hauteur des tâches et
responsabilités de ces dernières.
Cette insuffisance a été
appréhendée à travers l'inadéquation insoutenable
entre le potentiel fiscal des richesses du sol et du sous-sol et les maigres
ressources budgétaires extraites pour le compte des pouvoirs publics ;
la chute de la production minière telle que symbolisée par le
déclin de la Gécamines, la plus grande entreprise minière
du pays, qui a vu sa production de cuivre passer de 465000 tonnes en 1990
à 19000 tonnes en 2002 ; et, par la conclusion
inconsidérée des contrats dits « léonins » dans
le secteur minier entre 1997 et 2006.
La pauvreté fiscale globale traduite par un
PIB/habitant de 200$us en 2009, soit plus de vingt fois moins que celui du
congolais du Congo-Brazzaville (4250$us), un taux de décentralisation
fiscale de 6,84% seulement projeté pour 2010, un stock de la dette
extérieure représentant 700% des recettes budgétaires et
90% du PIB, une administration fiscale non performante ainsi que la
non-viabilité financière de la majorité des provinces
(80,95%), constituent autant d'éléments concluants qui ont
également permis d'établir ladite insuffisance de ressources
budgétaires.
La même hypothèse de faiblesses en termes de
capacité de mobilisation et de gestion des ressources
budgétaires, a été davantage vérifiée en
référence à l'extraversion prononcée du financement
budgétaire de l'Etat, avec un de taux de financement extérieur du
budget de 42,14% en moyenne pour la période de 2005 à 2010 ;
à la décapitalisation des entreprises du portefeuille de l'Etat ;
à des dépassements budgétaires extravagants au sommet de
l'Etat, soit 115% de moyenne en 2006 dans une fourchette de 36 à 242%
des dépenses autorisées; à quelques cas notables de
détournement intempestif des deniers publics ; et, à l'absence
relative de contrôle des agents d'exécution du budget.
En mettant en relief l'interdépendance entre la double
question de mobilisation et d'allocation des ressources budgétaires au
niveau national et celle de la viabilité financière des provinces
et ETD, ce modeste résultat suggère que la recherche de
l'efficacité économique de l'Etat à partir des provinces
et ETD serve de dénominateur commun à la politique
financière de ces dernières et celle de l'Etat.
Dans cette perspective, les préoccupations sans cesse
exprimées par la population au sujet de la visibilité fiscale des
secteurs productifs prépondérants, comme celui de l'industrie
extractive (minerais, pétrole, bois), cesseront d'être un tabou
pour s'inscrire de façon légitime au centre des
thématiques financières prioritaires et transversales ouvertes
à toutes les parties prenantes (pouvoir central, provinces, ETD,
Société Civile et partenaires extérieurs).
Les hypothèses relatives aux voies et moyens de
redressement ont été, quant à elles, validées et
intégrées dans le cadre d'une approche transversale s'appuyant
sur deux leviers du redressement de la décentralisation
financière, à savoir : l'action sur les acteurs en vue du
changement des mentalités, d'une part, et l'action pour la
soutenabilité budgétaire de la décentralisation, d'autre
part.
Ainsi donc, l'hypothèse du changement de comportement
du pouvoir central, des provinces et des ETD dans le sens du respect des
règles et principes en vigueur s'en trouve validée et
jugée fondamentale à travers ladite approche.
En effet, notre travail de recherche nous a permis de
comprendre, en référence à l'expérience
socio-politique propre à la RDC et aux enjeux de l'heure que sont la
démocratie et le développement équilibré et
harmonieux de toute la nation, que l'un des problèmes majeurs de la mise
en oeuvre de la décentralisation financière demeure celui de
l'état d'esprit des différents acteurs et décideurs
face à la réforme décentralisatrice.
La justesse de ce résultat est particulièrement
illustrée par la stratégie de communication sociale
proposée en octobre 2007 par le Forum National sur la
Décentralisation et mise en oeuvre depuis le début de
l'année 2009 par le Ministère de la Décentralisation.
Aussi, nos recherches ont-elles enrichi cette stratégie
en proposant d'y intégrer, comme thèmes transversaux à la
décentralisation, la sécurité, la bonne gouvernance et la
culture de restitution normée de l'information financière.
Dans le même registre, nous avons proposé que le
partenariat public-privé et la coopération internationale soient
également insérés dans la thématique de la campagne
de sensibilisation des acteurs de la décentralisation.
Par ailleurs, en traitant les rapports
électeur-gouvernant et politicien-fonctionnaire comme
des relations de type « principal - agent » en
théorie de l'agence, notre travail a permis de justifier la
même hypothèse en proposant que des mesures de surveillance et
d'incitation des décideurs publics et des fonctionnaires soient rendues
opérationnelles pour garantir que ces derniers évolueront dans le
sens de l'intérêt général là où ils
sont, par nature, maximisateurs de leur propre profit.
Ce résultat implique que la stratégie de
communication sociale pour le changement de comportement, bien
qu'étant transversale, soit accompagnée à la fois par des
mesures de limitation du comportement opportuniste des acteurs de la
décentralisation ainsi que par celles d'orientation de ces derniers dans
le sens de la maximisation du bien-être collectif.
L'hypothèse du renforcement des capacités
financières du pouvoir central et des provinces a été,
quant à elle, largement validée par les multiples faiblesses
identifiées en matière de mobilisation et d'utilisation des
ressources budgétaires tant au niveau national qu'à celui des
provinces et ETD.
Pour y remédier, notre recherche a proposé les
stratégies suivantes, à savoir : la poursuite de la mise en place
de l'ossature juridique et institutionnelle de la décentralisation ;
l'actualisation de la législation financière et la formalisation
conséquente du consensus dégagé lors du Forum National sur
la Décentralisation en ce qui concerne les modalités de
répartition équitable des recettes à caractère
national ; l'effectivité du jeu de péréquation ; la
mobilisation des ressources budgétaires à la hauteur des
tâches et responsabilités des autorités élues et des
attentes de la population ; la réduction progressive de la
dépendance vis-à-vis de l'extérieur dans le cadre du
financement budgétaire de l'Etat ; la réforme de la
dépense à tous les niveaux pour assurer au coût le plus bas
possible les transferts destinés aux provinces et ETD, le fonctionnement
de ces dernières ainsi que les investissements publics à
même de tirer durablement la croissance économique ; et, le
renforcement conséquent des capacités des ressources humaines. Ce
résultat a pour implication, la nécessité pour la
politique budgétaire de la décentralisation de s'appuyer sur des
indicateurs de performance construits à partir des solutions
stratégiques adaptées aux réalités de terrain.
Cela étant, les limites de notre modeste réflexion
sont vite apparues, comme d'aucuns pourraient s'en apercevoir, lorsqu'il
fallait traiter de la vie financière des provinces et ETD.
La raison, nous semble-t-il, en est simple : il s'agit de
l'absence d'informations fiables et normées sur la gestion
budgétaire des provinces pour la période sous-revue. Il s'agit
aussi du manque de données crédibles sur la contribution de
chaque province au PIB, sur la structure du budget de l'Etat, ainsi que sur la
répartition sectorielle et territoriale tant du financement
extérieur que des investissements publics et leur impact respectif sur
les économies provinciales et locales.
De ce qui précède, les pistes de recherche qui
s'ouvrent à nous pour cette étude sont, au plan pratique, celles
d'une meilleure évaluation d'impact de la politique financière de
l'Etat en matière de décentralisation en RDC, grâce
à l'élargissement de la collecte et de l'analyse des
données aux transactions financières publiques, provinciales et
locales et ce, en tenant compte des évolutions cruciales qui s'annoncent
à l'horizon, notamment : l'atteinte du point d'achèvement de
l'Initiative PPTE en juin 2010, le découpage territorial, l'organisation
des élections locales, l'exécution du contrat de doublement des
recettes qui lie depuis belle lurette le Ministère des Finances aux
régies financières, la poursuite de la fameuse
revisitation des contrats léonins dans le secteur minier, et
pourquoi pas l'instauration, on en parle déjà au
Parlement, de la TVA en RDC.
Cet approfondissement de notre recherche pourrait nous
permettre, au plan théorique, de débattre de la
méthodologie d'intégration de l'Etat dont devrait s'inspirer la
RDC, comme fondement de son intervention économique, pour assurer le
financement efficace de la décentralisation, sachant d'une part, que ce
pays post-conflit, fragile et pauvre a besoin d'un pouvoir d'Etat actif et des
moyens colossaux pour sa reconstruction et, d'autre part, que les principes et
dogmes néo-classiques de neutralisation économique de l'Etat qui
ont contribué à la remise en cause du keynésianisme et de
l'Etat-providence en faveur de l'orientation vers la logique du marché,
sont encore dominants aujourd'hui et servent de sous-bassement aux politiques
d'appui extérieur conduites par les partenaires traditionnels.
Dans un tel cadre d'analyse, nous pourrons, entre autres
thématiques, être en mesure d'émettre un avis critique et
motivé aussi bien sur la pertinence de la formule des «contrats
chinois» (minerais contre infrastructures) actuellement mise en
vedette dans le cadre du programme dit des « Cinq chantiers de la
République » que sur l'intérêt qu'il y a ou non
à améliorer et renforcer le cadre de coopération en
vigueur avec les partenaires traditionnels (prêts conditionnés
par la capacité d'absorption déterminée selon les
critères du bailleur ; initiative PPTE ; etc.), pour assurer le
financement public extérieur des provinces et ETD à un coût
qui soit le plus bas possible pour les générations futures.
En attendant d'engager notre recherche dans une trajectoire,
nous nous permettons de noter, au stade actuel de nos investigations, que la
mise en oeuvre fructueuse de la décentralisation financière en
RDC demeure largement tributaire du changement des mentalités dans le
chef des acteurs, lequel changement devrait se traduire dans la pratique, ainsi
que nous l'avons recommandé, par la complétude et l'application
sans faille du cadre juridique et institutionnel ainsi que par la
soutenabilité budgétaire de la réforme
décentralisatrice dans son ensemble.
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