II - DE L'ABSENCE DE RECONNAISSANCE JURIDIQUE D'UNE
LIBERTE DE SE VETIR A SA GUISE AU TRAVAIL ;
Cependant, alors même que l'on vient d'exposer le fait
que la liberté de se vêtir à sa guise semble bel et bien
exister et avoir sa place dans la vie quotidienne de chaque individu,
c'est-àdire aussi bien dans leur vie privée que dans leur vie
professionnelle, le choix du vêtement fait partie des libertés non
consacrées par des textes juridiques.
S'il ne fait pas de doute qu'un individu est libre de porter
le vêtement de son choix en-dehors de son travail, en vertu du respect
dû à sa vie privée, en revanche, rien ne permet aujourd'hui
d'étendre cette liberté à l'enceinte de l'entreprise.
En effet, il n'y a pas de liberté vestimentaire
envisagée par le droit du travail, ni même par le droit positif
dans son ensemble.
22 V. Propos de M.Morel recueillis par P.Gillard-Dupin et
M-C.Tual, « De l'art de s'habiller juste au travail », Les cahiers
Lamy du Comité d'entreprise, n°73, juillet 2008, p.19.
La liberté de se vêtir n'apparaît ainsi
nulle part dans le Code du travail, elle n'est pas nommée dans la loi du
4 août 1982 relative aux libertés des travailleurs dans
l'entreprise23, elle n'apparaît pas dans la loi du 16 novembre
2001 relative à la lutte contre les discriminations24, ni
dans la loi du 31 décembre 1982, elle n'apparaît pas dans les
libertés défendues par la Constitution, elle n'apparaît pas
dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, pas non plus dans
la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés
Fondamentales de l'Union Européenne, et enfin, elle n'apparaît pas
dans la Charte des Droits Fondamentaux de l'Union Européenne.
La liberté de se vêtir à sa guise manque
cruellement d'une source juridique adéquate.
Pourtant, cette liberté avait d'ores et
déjà été consacrée après la
Révolution Française par le décret 8 brumaire an II
disposant que « nulle personne de l'un ou l'autre sexe ne pourra
contraindre au citoyen ou citoyenne à se vêtir d'une
manière particulière, sous peine d'être
considérée et traitée comme suspecte et poursuivie comme
perturbatrice du repos public. Chacun est libre de porter le vêtement et
ajustement de son sexe qui lui convient ».
On aurait pu, par ailleurs, penser que la liberté
d'habillement du salarié trouve sa définition dans la
jurisprudence.
Il n'en est rien.
On a pu trouver une attention portée à la notion
de « tenue correcte » de la part de la Cour de cassation. Celle-ci a
en effet considéré que l'exigence d'une tenue soignée
n'était pas incompatible avec le « jeans » et les
« baskets »25.
Cependant, la seule occurrence du terme de «
liberté de se vêtir à sa guise au lieu et au temps du
travail » n'a été envisagée par la Haute
juridiction que pour décider que cette dernière liberté ne
constituait pas une liberté fondamentale26.
23 Loi n°82-689 du 4 août 1982 relative aux
libertés des travailleurs dans l'entreprise.
24 Loi n° n°2001-1066 du 16 juillet 2001 relative
à la lutte contre les discriminations, NOR :MESX0004437L.
25 Cass.soc.19 mai 1998, n°96-41.123.
26 Cass.soc. 28 mai 2003, n°1507 FS-BPRI, Monribot c/ Sagem,
JurisData n°2003-019205.
D'ailleurs, la Cour de cassation a refusé le moyen du
salarié fondé sur cette liberté. En l'espèce, un
salarié embauché en qualité d'agent technique des
méthodes, a été licencié après être
venu travailler plusieurs jours en bermuda alors que ses supérieurs
hiérarchiques lui avaient demandé, oralement puis par
écrit, de porter un pantalon sous la blouse prescrite par le
règlement intérieur de l'entreprise. Il décide de saisir
la formation de référé du Conseil des Prud'hommes pour
obtenir, sur le fondement de l'article L.1132-127et
L.1121-128 du Code du travail l'annulation de son licenciement et sa
réintégration sous astreinte. Sa demande est rejetée par
le Conseil des Prud'hommes puis en cause d'appel. Le salarié se pourvoit
donc en cassation : il réitère son intention de fonder sa demande
sur l'article L.1121-1 du Code du travail et veut ainsi faire reconnaître
que la liberté de se vêtir à sa guise relève des
droits de la personnes et des libertés individuelles et collectives
visées par l'article précédemment cité. En outre,
celui-ci estime qu'en excluant cette liberté de la catégorie des
libertés fondamentales au motif qu'elle n'entre pas dans
l'énumération des cas de différenciation illicite
proscrits par l'article L.1132-1 du Code du travail, la Cour d'appel a
privé sa décision de base légale. Toutefois, la Cour de
cassation confirme la décision rendue en cause d'appel. La
liberté de se vêtir à sa guise au lieu et au temps du
travail n'est donc pas une liberté fondamentale : le salarié n'a
donc pas pu obtenir l'annulation de son licenciement et sa
réintégration dans l'entreprise.
27 C.trav., art.L.1132-1 : « Aucune
personne ne peut être écartée d'une procédure de
recrutement ou de l'accès à un stage ou à une
période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut
être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure
discriminatoire, directe ou indirecte, (Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008,
art. 6) « telle que définie à l'article 1er de la loi
n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au
droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations,
» notamment en matière de rémunération, au sens de
l'article L 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution
d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de
classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement
de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son
orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa
grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son
appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une
ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses
activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de
son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état
de santé ou de son handicap. »
28 C.trav., art.L.1121-1 : «
Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux
libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient
pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni
proportionnées au but recherché. »
Le salarié qui souhaiterait contester son licenciement
lié à un contentieux vestimentaire pourrait, en revanche,
prétendre à des dommages-intérêts pour licenciement
sans cause réelle et sérieuse si les contraintes imposées
par l'employeur son jugées injustifiées ou excessives sur le
fondement de l'article L.1121-1 du Code du travail.
Toutefois, à la lecture de l'article L.1121-1 du Code
du travail, on peut tout à fait arguer que la Cour de cassation accepte
les moyens du salarié fondés sur cet article, mais non pas afin
de défendre la liberté de se vêtir à sa guise en
premier lieu, mais plutôt afin d'en envisager des restrictions qui
pourraient lui être apportées.
Ainsi, la Cour de cassation semble s'intéresser
davantage à la définition des restrictions que l'on peut apporter
à la liberté de se vêtir à sa guise au travail
qu'à la définition même de cette liberté.
Il est intéressant de noter qu'un arrêt de la
Cour d'appel de Paris du 7 janvier 198829résume assez bien la
position de la jurisprudence : « le problème n'est donc pas de
savoir si, dans l'abstrait, au nom de la liberté individuelle, un
salarié peut ou non adopter une tenue insolite, la réponse
étant négative lorsque cette tenue, comme en l'espèce, est
contraire aux engagements contractuels, aux usages de la profession et aux
intérêts de l'entreprise ».
Il apparaît en plus que d'autres sources juridiques
envisagent de la même manière cette liberté.
On trouve ainsi diverses circulaires ou réponses du
Garde des Sceaux qui traitent pareillement du sujet, telle cette circulaire
administrative du 15 mars 198330 qui pose le principe que le
règlement intérieur peut rendre obligatoire le port d'une tenue
de travail même si la circulaire dispose aussi que cette mesure doit
être justifiée par la nature des tâches à accomplir
et qu'elle ne doit pas être disproportionnée par rapport à
l'objectif de protection recherché.
Dans le même ordre d'idées, on peut citer une
réponse du Garde des Sceaux du 29 juillet 199131 à
la question de savoir si un employeur a la possibilité d'obliger un
salarié en contact
29 CA Paris, 7 janvier 1988 n°86-34010, 22e
ch.C., Banque régionale d'escomptez et de dépôts c/
Tavier.
30 Circ. DRT n°5-83 du 15 mars 1983, n° 12 et 123 :
BOMT n° 83/16.
31 Réponse du Garde des Sceaux, 29 juillet 1991
avec le public à porter son nom sur ses vêtements
: « en premier lieu, il convient de souligner qu'une telle obligation
doit figurer dans le règlement intérieur de l'entreprise
concernée. En effet, en application de l'article L 1321-1 du Code du
travail, l'employeur doit fixer dans ce document les règles
générales et permanentes relatives à la discipline. Par
ailleurs, aux termes de l'article L 1321-332 du Code du
travail, le règlement intérieur ne peut apporter aux droits des
personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions
qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à
accomplir ni proportionnées au but recherché. Dès lors, il
apparaît qu'une telle obligation ne se justifie que si l'employeur
démontre qu'elle est liée à l'intérêt de la
clientèle, à l'exercice de certaines fonctions ou à des
nécessités de sécurité ».
Enfin, il convient de citer cette circulaire du 10 septembre
199133 par laquelle le Ministère du travail envisage «
l'obligation pour le personnel qui est en contact avec la clientèle
d'avoir une présentation correcte et soignée adaptée
à l'image de marque du magasin » comme une règle de
discipline conforme aux exigences légales.
*
32 Article L.1321-3 du Code du travail : « Le
règlement intérieur ne peut contenir :
1° Des dispositions contraires aux lois et
règlements ainsi qu'aux stipulations des conventions et accords
collectifs de travail applicables dans l'entreprise ou l'établissement
;
2° Des dispositions apportant aux droits des personnes
et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne
seraient pas justifiées par la nature de la tâche à
accomplir ni proportionnées au but recherché ;
3° Des dispositions discriminant les salariés
dans leur emploi ou leur travail, à capacité professionnelle
égale, en raison de leur origine, de leur sexe, de leurs moeurs, de leur
orientation sexuelle, de leur âge, de leur situation de famille ou de
leur grossesse, de leurs caractéristiques génétiques, de
leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée,
à une ethnie, une nation ou une race, de leurs opinions politiques, de
leurs activités syndicales ou mutualistes, de leurs convictions
religieuses, de leur apparence physique, de leur nom de famille ou en raison de
leur état de santé ou de leur handicap ».
33 Circ.Ministère du travail, 10 septembre 1991,
n°91/17
* *
Pour résumer, la liberté de se vêtir du
salarié n'est consacrée par aucune source juridique, n'est pas
définie par la jurisprudence et n'est envisagée que pour lui
apporter des restrictions.
Par conséquent, certains salariés qui ont
souhaité contester une sanction relative à un contentieux
vestimentaire ont tenté de manière détournée de
faire valoir leur liberté d'habillement : ils l'ont rapprochée
d'autres libertés, fondamentales ou pas, mais qui ont d'ores et
déjà été consacrées par la jurisprudence ou
par la loi.
Ces libertés sont les suivantes : la liberté
d'expression individuelle du salarié, le droit à ne pas
être discriminé sur le fondement de l'article L.1132-1 du Code du
travail et la liberté religieuse.
De plus, et même si aucun salarié ne s'est jusque
là risqué de faire de tels rapprochements, nous pensons que la
liberté d'habillement du salarié pourrait également
être rapprochée d'autres droits reconnus au salarié, tel le
droit au respect de sa vie privée ou le droit au respect de sa
dignité.
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