II - LA LIBERTE DE SE VETIR N'EST PAS UNE LIBERTE
FONDAMENTALE DU SALARIE ;
1. Le choix du vêtement se situe à l'interface
de l'expression d'une individualité et du lien social qu'il incarne
;
Se pose ici la question de l'étendue de la liberté
dans les choix vestimentaires du salarié.
En effet, si la liberté n'est pas totale dans le choix
fait par le salarié en ce qui concerne sa tenue vestimentaire, il nous
semble difficile d'élever la liberté d'habillement au rang de
liberté fondamentale.
Tout le monde a l'impression de faire preuve d'une grande
originalité et d'être totalement libre lorsqu'il s'agit de choisir
ses vêtements et le salarié considère
généralement qu'il est libre de choisir le vêtement de son
choix dans son activité professionnelle.
Or, il faut bien l'admettre, lorsque chacun d'entre nous
choisit sa tenue vestimentaire, d'autres facteurs, notamment des facteurs
sociaux, entrent en compte que la simple liberté d'exprimer, au travers
de ses vêtements, sa personnalité.
Il semble que le vêtement soit avant tout le symbole de
l'assujettissement à des codes sociaux plutôt que la pure
expression d'une individualité.
En réalité, il ne s'agit que d'un « ersatz
de liberté individuelle »94 conforté par la
jurisprudence.
Pour André Bertrand, les vêtements ont, depuis
toujours, eu « pour fonction sociale essentielle d'indiquer, d'une
manière visible, l'appartenance des personnes qui les portent
à
94 L.Gimalac, « La tenue vestimentaire,
l'identité et le lien social dans le cadre des rapports professionnels
», Les Petites Affiches, Dr.soc., 20 décembre 2002,
n°254,p.11.
une tribu (...) ou à un clan, si ce n'est
même dans certains cas, leur statut et leur rang social
»95.
La place que tient le vêtement dans le monde du travail
ne fait que corroborer cette assertion puisque le vêtement joue un
rôle toujours important, par pression sociale, et pas
nécessairement par simple contrainte de l'employeur.
Certains effets ou accessoires restent spontanément
associés à l'exercice d'une profession sans la moindre contrainte
juridique ou règlementaire96.
Le port de la cravate dans les cénacles du pouvoir en
est l'illustration : lorsque l'ancien ministre Jack Lang s'est un jour
présenté en costume à col Mao, cela a immédiatement
constitué un événement hautement médiatique.
Le vêtement joue un rôle toujours aussi important
à chaque étape de la vie professionnelle du salarié, il
illustre l'existence de codes sociaux qui s'imposent aux salariés pour
marquer leur appartenance à un groupe.
Les cérémonies de remise de diplômes dans
certaines universités ou dans les grandes écoles, tels des rites
initiatiques du passage à l'âge adulte, sont souvent l'occasion de
nouer les premières cravates ou de revêtir les premiers
tailleurs.
Ainsi, tout comme le baggy indiquait leur
appartenance au groupe des adolescents, le costume-cravate signifie
désormais leur appartenance au groupe des adultes insérés
dans le monde du travail.
Cela peut être plus ou moins bien vécu, et cela
est sans doute dû, comme le relève JeanFrançois
Amadieu97aux « standards qui régissent les
apparences au sein des groupes sociaux [qui] sont beaucoup plus complexes et
subtils que par le passé. Gare à celui qui n'est pas à
l'aise dans son costume, qui a l'air « endimanché » quand il
arrive face à un recruteur ».
95 André Bertrand, La Mode et La Loi, éd.
Litec, p.8 et s.
96 V. L.Gimalac, « La tenue vestimentaire, l'identité
et le lien social dans le cadre des rapports professionnels », Les
Petites Affiches, 20 décembre 2002, n°254, p.11
97 Voir J.F.Amadieu, Le poids des apparences, éd.
Odile Jacob, 2005.
S'il est vrai que la génération des 25-35 ans
supporte plus difficilement les contraintes vestimentaires, l'évolution
des moeurs et la complexification des codes sociaux ne doit pas dissimuler la
réalité sous-jacente.
Les codes vestimentaires demeurent et conservent une haute
valeur symbolique dans notre société : la recherche du style est
certes plus forte pour maintenir une forme de distinction mais
également, comme le souligne L.Gimalac « pour marquer un
assujettissement à un ordre social minimum qui permet de maintenir la
cohésion d'un groupe »98
L'influence sociale est donc prépondérante dans
le choix vestimentaire du salarié, elle « marque nos
chairs » : « Il existe des normes et des règles non
écrites, mais bien connues, qui définissent ce qui est
convenable, de bon goût et qui dénote l'appartenance au beau
monde. Ces standards sont assez stables pour servir de marqueurs sociaux : au
premier coup d'oeil chacun sait à qui il a affaire
»99.
Autrement dit, changeons de perspective : l'entreprise n'est
pas seule à imposer des contraintes vestimentaires, c'est la
société dans son ensemble qui a toujours imposé ces codes
vestimentaires et qui réduit significativement l'étendue de la
liberté dans les choix vestimentaires du salarié qui se voit
obligé « d'être un autre », c'est-à-dire
d'incarner l'image d'une profession et non plus simplement sa propre
individualité.
La prétendue démocratisation de la mode au cours du
XXe siècle n'a donc pas eu raison des signes distinctifs qui subsistent
dans toute notre civilisation occidentale.
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