SECTION 1 : UNE LIBERTE DE SE VETIR A SA GUISE AU
LIEU ET AU TEMPS DU TRAVAIL NIEE ?
Avant de rentrer dans le coeur du débat consistant
à déterminer si la liberté de se vêtir à sa
guise au travail est une liberté fondamentale ou pas, il nous a
premièrement semblé opportun de nous poser la question de savoir
si la liberté en question était considérée comme
telle par le droit du travail et par le droit positif dans son ensemble.
En effet, les recherches effectuées sur le sujet ne nous
ont pas permis de dégager une liberté du salarié de se
vêtir à sa guise au travail à part entière.
Or, cette constatation nous a quelque peu déroutés,
la liberté de s'habiller comme bon nous semble semblant être une
liberté acquise, effective et reconnue comme telle.
I - DE L'EVIDENTE RECONNAISSANCE SOCIALE D'UNE LIBERTE
DE SE VETIR A SA GUISE,
1. Vers une personnalisation et une individualisation des
apparences,
Les tenues et vêtements ne sont désormais plus
réglementés comme ils ont autrefois pu l'être.
Par exemple, pendant la Révolution française, le
port du pantalon était strictement interdit aux femmes par un
décret qui interdisait le port de vêtement de sexe
opposé.
De plus, même si le port du pantalon n'a ensuite plus
été juridiquement interdit aux femmes, l'interdit social n'a
rendu celui-ci d'usage courant dans nos sociétés occidentales
qu'à partir des années 1970.
Au Moyen-âge, c'est un édit de Charles VIII qui
interdisait les draps d'or à tous et le velours aux écuyers. Les
gentilshommes pouvaient seuls user de soieries pour marquer leur rang
social2.
AU XIXe siècle, c'est un règlement
intérieur d'une bonneterie de Chaumont qui dispose que « les
employées ne se laisseront pas aller aux fantaisies des couleurs vives ;
elles ne porteront que des bas raccommodés »3
Aujourd'hui, il n'est guère plus légalement
interdit aux femmes de porter un pantalon et l'interdit social semble
s'être, quant à lui, beaucoup atténué.
Même si un homme arborant une jupe se ferait sans nul
doute remarquer, il ne viendrait à l'idée de personne d'interdire
à ce dernier le port de la jupe sous prétexte qu'il s'agit
là d'un vêtement traditionnellement réservé aux
femmes.
Un homme portant une telle tenue serait simplement
qualifié d' « original » faisant pleinement usage de sa
liberté de se vêtir à sa guise. Il ne viendrait à
l'idée de personne de s'insurger contre le port d'un tel vêtement
par un homme et il viendrait encore moins à l'idée du
législateur de légiférer sur un tel sujet, non seulement
parce qu'il s'agit d'une liberté que l'on reconnait désormais aux
individus, mais également, et moins glorieusement, car ce sujet semble
être désormais bien trop futile pour qu'une intervention du
législateur soit nécessaire.
La seule limite qui pourrait être aujourd'hui
apportée à la liberté de se vêtir se situe
peut-être sur le terrain de la notion d'exhibition consistant à
exhiber volontairement une partie du corps à caractère sexuel
afin de provoquer la pudeur publique et réprimée par le Code
pénal en son article 222-32.
Mais, finalement, c'est plus la nudité, autrement dit
le manque de vêtements, qui est ici réprimée.
Se vêtir comme l'on souhaite, dans les limites
imposées par la pudeur, ne pose donc aujourd'hui plus aucun souci.
2 V. André Bertrand, La mode et la loi, Ed.Litec,
p.8 et s.
3 Cité par J.-E. Ray dans « Droit du travail, Droit
vivant », 4e. éd. p.76.
Avec le temps, une certaine liberté de se vêtir
à sa guise s'est ainsi implicitement développée en
s'imposant au fil des siècles comme le reflet, l'expression d'une
personnalité.
Sur ce point, nous souhaitons souligner les propos de
Frédéric Monneyron : « tout le long du XIXe
siècle jusqu'à aujourd'hui, le vêtement parle de moins en
moins du social et de plus en plus de style et de goût personne
»4.
Le vêtement est désormais considéré
comme la pure émanation d'une individualité loin de toute
éthique chrétienne « qui, en distinguant le corps et
l'âme, stipule que l'attention portée au corps est
préjudiciable au salut de l'âme et, par suite, fait tout ce qui
touche à la parure une activité, sinon complètement
superflue, en tout cas secondaire. »5
Ainsi, comme le souligne Louis Dumont : « La mode est
très intimement liée à l'avènement, exclusivement
occidental lui aussi, de sociétés où l'individu devient la
valeur suprême, qui se substituent progressivement aux
sociétés traditionnelles où la valeur se trouvait
placée dans la société comme un tout »6
Chacun est à présent considéré
comme responsable de l'image qu'il donne de lui-même, y compris quand il
choisit d'en rester à une expression utilitaire ou passe-partout du
vêtement, simple version du refus d'entrer dans une compétition
autrement lourde de conséquences que les précédentes.
« Le vêtement contemporain marque
l'étape où le paraitre avoue l'être : on entre dans
l'ère du « look » qui individualise l'usage du vêtement
»7. Le vêtement est devenu une manifestation des
préférences de chacun. « Partout, on note, avec
l'avènement de la notion de « look » , une complexification
croissante des codes sociaux relatifs à l'apparence. Désormais,
l'apparence dévoile, plus que par le passé, des «
vérités intérieures », une
4 F.Monneyron, Sociologie de la mode, Paris, PUF,
p.72
5 F.Monneyon, Sociologie de la mode, Paris, PUF,
p.74.
6 L.Dumont, Essais sur l'individualisme : une perspective
anthropologique sur l'idéologie moderne.
7 P.Yonnet, Jeux, modes et masses, Paris, Éd.
Gallimard, 1985.
personnalité.(...) On observe donc une certaine
personnalisation ou individualisation des apparences »8
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