2. Réflexions autour de l'article L 1121-1 du Code
du travail issu de la loi du 31 décembre 199252: un article pour le
moins flou et paradoxal qui ne fait que renforcer l'idée d'une difficile
articulation du travail et des libertés du salarié53 ;
49 V. art.L1321-3 du Code du travail
50 Voir E.Dockès, « Pouvoir patronal et
démocratie », Semaine Sociale Lamy, n°1340
Supplément, 11 février 2008.
51 Loi n°82-689 du 4 août 1982 relative aux
libertés des travailleurs dans l'entreprise.
52 Loi n° 92-1446 du 31 décembre 1992 relative
à l'emploi, au développement du travail à temps partiel et
à l'assurance chômage.
2.1. Un article flou :
« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et
aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne
seraient pas justifiées par la nature de la tâche à
accomplir ni proportionnée au but recherché »
La formule vient directement du célèbre
arrêt Corona rendu par la Conseil d'Etat le 1e février
198054 à propos de la légalité d'un
règlement intérieur. Elle a été reprise par la loi
du 4 août 198255 et spécialement par l'article L.1321-3
du Code du travail concernant le règlement intérieur.
La loi du 31 décembre 1992 l'a étendue à
l'ensemble de la relation salariale.
Cependant, il convient de s'interroger sur plusieurs points
abordés par cet article et qui sont, pour le moins, flous.
2.1.1. Quelles sont les « libertés individuelles
et collectives » visées ?
Pour reprendre les termes utilisés par F.Favennec-Hery,
« la formule est un peu bâtarde associant les droits de la
personnalité, les libertés publiques, les droits
constitutionnels, les libertés dans les rapports privés
»56.
53 Voir P.Waquet, « Libertés et contrat de travail,
réflexions sur l'article L 120-2 du Code du travail, devenu l'article L
1121-1 », RJS 05/09, p.347.
54 CE 1e février 1980
55 Loi n°82-689 du 4 août 1982 relative aux
libertés des travailleurs dans l'entreprise
56 V. Chronique de F.Favennec-Hery, « Vie privée dans
l'entreprise et à domicile », RJS 2001, p.941.
Il a fallu attendre le 20e siècle pour que
les libertés du salarié deviennent une préoccupation pour
les juristes. Les libertés ont en effet essentiellement
été envisagées depuis le 18e siècle sous
l'angle politique.
L'entreprise est longtemps restée à
l'écart de ce mouvement libéral car le droit du travail a
engendré, lui-même, des libertés spécifiques (droit
de grève, liberté syndicale, droit de représentation des
salariés) et parce que l'effort des salariés s'est longtemps
concentré sur une conquête de droits collectifs propres au monde
du travail.
Par ailleurs, comme nous venons de le voir, l'entreprise s'est
construite autour de la notion d'autorité.
Néanmoins, à partir des années 1970, et
surtout après Mai 1968, on a commencé à parler de la
« vie privée » du salarié, puis de «
salarié-citoyen » dès 1983 sous l'impulsion du rapport du
Professeur Lyon-Caen qui a amené le vote de la loi du 31 décembre
1992.
Des droits fondamentaux du salarié ont ainsi vu le jour
: le droit d'expression créé par la loi du 4 août 1982, le
droit de retrait créé par la loi du 23 décembre 1982, le
droit à la nondiscrimination consacré par l'article L.1132-1 du
Code du travail et le droit au repos, droit fondamental non seulement à
raison de sa source (il est énoncé dans le préambule de la
Constitution de 1946 et dans la Déclaration Universelle des droits de
l'Homme) mais aussi à raison de sa finalité (la protection de la
vie et de la santé du travailleur et développement de la
personne).
Plus de 20 ans plus tard, cette préoccupation trouve un
regain d'actualité mais, cette fois-ci, le mouvement est essentiellement
initié par la jurisprudence et il s'intéresse au
salarié-citoyen dans sa dimension individuelle.
Il s'agit bien d'atténuer, voire de faire
disparaître, la dichotomie entre la vie du citoyen et celle de
travailleur, néanmoins, l'article L1121-1 reste très vague quant
au contenu des « libertés individuelles » et «
droits de la personne » qu'il cite.
2.1.2. Quel type de restriction est envisagé ?
D'autre part, à propos de la possibilité de
réduire les droits et libertés des salariés posée
par l'article L.1121-1 du Code du travail, s'agit-il d'une possibilité
légale de réduire les droits et libertés des
salariés en général ?
Le salarié est-il donc un citoyen de seconde zone ?
Ou s'agit-il d'une possibilité de réduire
seulement une partie des droits et libertés des salariés dans le
seul cadre de l'exécution du contrat de travail ?
On peut distinguer des catégories de situation
échappant totalement à l'application de l'article L1121-1, tel
est tout d'abord le cas des libertés individuelles et collectives
propres au droit du travail (la liberté syndicale, le droit de
grève, le droit à la participation, le droit de retrait, le droit
à la formation et le droit au repos).
L'exercice de ces droits est sous le contrôle du juge
qui peut, si les conditions sont remplies, retenir un abus du droit de
grève, par exemple. Mais, si les conditions légales de la
grève sont réunies, elle s'exerce sans que l'employeur puisse,
sous la bannière de L. 1121-1, en réduire la durée ou les
modalités.
Le concept de vie personnelle, forgé par la
jurisprudence échappe également à l'application de
L.1121-1. La vie personnelle du salarié est la partie de sa vi qui
échappe précisément à l'autorité de
l'employeur, celle-ci recoupe sa vie privée, protégée par
l'article 9 du code civil, et sa vie publique qui s'exercent en-dehors des murs
de l'entreprise. Dans le domaine de la vie personnelle, l'employeur ne dispose
d'aucun pouvoir de réduire les droits et libertés du
salarié. Deux correctifs peuvent néanmoins être
apportés à cette solution, lorsqu'il y a une délimitation
parfois extensive, du domaine contractuel et lorsque l'on peut opposer la
notion de trouble objectif qui est la compensation nécessaire à
l'élimination, dans la vie personnelle, non seulement du pouvoir de
réduction par l'employeur des droits et libertés du
salarié, mais encore du pouvoir disciplinaire.
Cette notion est une solution au conflit des logiques : si un
conflit irréductible éclate dans l'exercice des libertés
de l'employeur et du salarié, un licenciement non-disciplinaire doit
pouvoir intervenir.
A côté de ces situations échappant
totalement à l'application de l'article L1121-1, il y a les situations
dans lesquelles l'employeur peut restreindre les droits et libertés des
salariés et, tout d'abord, lorsque la restriction concerne le temps et
le lieu du travail : les périodes de travail sont sous la subordination
de l'employeur.
Par ailleurs, les mesures de restriction des droits et
libertés qui s'inscrivent dans le cadre de l'exécution du contrat
de travail sont légitimes.
Une tension reste cependant : en effet, la jurisprudence a
toujours admis l'existence d'une zone frontière où les faits,
bien qu'extérieurs à l'exécution du contrat de travail
peuvent s'y rattacher par un lien plus ou moins précis. La solution
n'est pas en soi contestable mais cette zone est actuellement floue et la
jurisprudence gagnerait à en définir les contours.
La délimitation du domaine de l'autorité de
l'employeur ne peut dépendre d'appréciations subjectives : des
critères précis doivent être définis.
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