C. Quelques obstacles pour la mise en
oeuvre des réformes dans les pays en voie de développement
L'essentiel des recommandations adressées aux pays en
développement insistent sur l'importance de se doter d'institutions de
gouvernance robustes, transparentes et responsables, fondées sur le
respect de règles de droit formelles (infrastructures légales et
judicaires, organismes de surveillance et de régulation, etc.). Depuis
50 ans, les décolonisations, la quasi-disparition des régimes
socialistes, la participation aux organisations internationales ainsi que les
programmes d'aide au développement ont répandu dans les pays en
développement un ensemble de règles et d'institutions formelles,
dans les champs politique, économique, et social (droit du travail, Code
civil,...). Ainsi la grande majorité de ces pays disposent aujourd'hui
de corpus de règles parfaitement écrites. Toutefois, ces
recommandations souffrent de trois problèmes qui expliquent la
résistance qu'elles suscitent dans leur application.
· Tout d'abord, ces recommandations faites aux pays en
développement méconnaissent le temps qui a été
nécessaire aux pays aujourd'hui développés pour
réaliser ces avancées institutionnelles (plusieurs
siècles) (Chang, 2001). Certes, le point d'aboutissement actuel de ces
processus dans les pays développés dessine finalement un ensemble
relativement stable, attractif et cohérent, mais le processus
lui-même, le chemin parcouru, restent encore mal compris. Les corpus
juridiques ont souvent suivi un long cheminement fait d'influences
multiséculaires (droit romain, droit canonique, etc.), d'apprentissage,
de luttes politiques et sociales qui ont jalonné leur découverte
et leur mise en oeuvre. Le droit de vote par exemple n'a été,
dans un premier temps, accordé qu'aux hommes, âgés, riches
et instruits. Etaient exclus les femmes, les jeunes, les pauvres et les
illettrés. Progressivement, et à des rythmes variables selon les
pays, ce droit a été ouvert à ces exclus, souvent au prix
de luttes politiques intenses, les femmes n'obtenant par exemple le droit de
vote en France qu'en 1945.
· Malgré ses avantages, un mode de gouvernance
fondé sur des règles formelles, dépersonnalisées,
implique des coûts fixes très élevés pour la
collectivité. Et les institutions formelles mises en place doivent elles
mêmes avoir fonctionné pendant des périodes assez longues
pour générer suffisamment de confiance en elles et transformer
les attitudes à leur égard. Etant donné la situation de la
plupart des pays en développement et les contraintes auxquelles ils
doivent faire face en termes de ressources financières, humaines et
temporelles, ils n'ont généralement pas les moyens de cet
investissement à court ou moyen terme.
· Une autre cause fondamentale de résistance au
changement dans les pays en développement est liée à la
prédominance de groupes d'intérêts
particuliers « insiders » agissant à travers
les sphères sociale, économique et politique et à tous les
niveaux de gouvernance (du niveau local au niveau international). Toute
transformation de l'ordre social qui pourrait remettre en cause leur
accès privilégié aux ressources économiques et
politiques suscite de fortes résistances de leur part : ils
résistent notamment à la mise en place d'institutions
impersonnelles qui garantiraient, dans les champs économique, social et
politique.
En fin de compte, nombre de prescriptions faites par les
agences d'aide aux pays en développement reviennent à leur
demander d'être déjà développés, ce qui
explique la difficulté de leur mise en oeuvre. Ainsi, derrière le
consentement apparent aux transformations institutionnelles
préconisées et l'adoption de façade de nombreuses
règles formelles importées, la résistance des
élites et des sociétés se traduit par un contournement
systématique de ces règles écrites et un
détournement des institutions. Dans les faits, les systèmes de
régulation sociale qui prévalaient avant l'adoption faciale de
ces règles écrites continuent donc de fonctionner. Dans nombre de
pays en développement, l'adoption à marche forcée de
règles formelles généralement financée sur des
fonds d'aide au développement s'effectue donc sans prise significative
sur la réalité, elle contribue à accroître la
complexité du système de régulation économique,
politique et social, sans en accroître l'efficacité. Ceci impacte
évidemment l'action de l'Etat qui se révèle moins efficace
dans l'atteinte de ses objectifs.
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