3.3. Analyse de la perception de la dynamique entre
partenariat et règlement des différends
La recherche documentaire révèle que dans
l'entente de partenariat entre la société d'État et la
collectivité, en récurrence les Cris de la Baie-James, le
règlement d'éventuels différends est encadré par
une clause prévoyant la médiation comme mode de règlement.
De même que l'entente de partenariat appelée la Paix des braves,
entre le Gouvernement du Québec et la communauté Cris de la
Baie-James, prévoit une clause de médiation pour le
règlement des différends. Or, les ententes et les contrats avec
les fournisseurs partenaires d'Hydro-Québec ainsi qu'avec ceux du
Gouvernement du Québec ne prévoient pas la médiation comme
mode de règlement des différends, malgré que les
fournisseurs soient unanimes à le réclamer. En plus, l'analyse de
la perception du partenariat et l'analyse de la perception du mode de
règlement des différends montre un écart en raison des
valeurs du partenariat qui ne sont pas actualisées par les acteurs lors
d'un règlement d'un conflit commercial. Pour cette raison, il est
important d'identifier dans quelle mesure la méconnaissance de la
médiation avec tout son potentiel cause cet écart.
On tente donc de trouver une réponse à cette
question à travers l'analyse documentaire et la lecture que font les
acteurs de la relation entre le partenariat et le mode de règlement des
différends. A cet effet, tous les acteurs rencontrés sont d'avis
qu'il n'existe pas une relation évidente entre le partenariat
pratiqué à la société d'État et le mode de
règlement des différends en raison du mode d'approvisionnement
par appel d'offres publics. De sorte que souvent, le plus bas soumissionnaire
est retenu et le règlement d'un conflit avec un fournisseur se fait
selon les mêmes procédures et avec la même philosophie
indépendamment de la nature de relation avec ce
dernier. Ainsi, peu importe la nature de la relation d'affaires, la gestion de
la chose publique exige une rigueur plus aigue que la gestion des
intérêts privés, de telle manière que toute
négociation et toute recherche de règlement doivent être
faites selon des critères objectifs et positifs. Toute entente
acceptable doit être justifiée par les clauses contractuelles, la
Loi et les règlements en vigueur. D'un autre côté, toute
concession non justifiée en droit doit être évitée
par souci d'équité par rapport aux autres soumissionnaires qui
n'ont pas été retenus pendant l'analyse de soumissions. Dans un
tel contexte, selon les gestionnaires, il est difficile de parler du
partenariat, on y voit plutôt une relation d'affaires basée sur la
maximisation des profits.
Par contre, selon trois acteurs, l'exercice d'une
véritable relation du partenariat est possible lorsqu'on choisit
librement les fournisseurs et lorsqu'on négocie avec ces derniers des
contrats à l'amiable, de gré à gré. À ce
moment, on peut envisager la médiation comme mode de règlement
des différends. Dans un tel cas, il est exigé de la
société d'État qu'elle soit en mesure de faire face
à l'apparence de conflit d'intérêts en justifiant toute
transaction et tout geste administratif dans ce sens. Par
ailleurs, un acteur affiche une méconnaissance de la médiation
commerciale à un point tel qu'il l'associe à la médiation
imposée souvent par le gouvernement pour débloquer des
négociations lors d'un conflit de travail. Dans ce cas, il la voit comme
un exercice contraignant où le médiateur intervient directement,
d'une façon accrue, dans la recherche d'une solution au conflit.
En conséquence, les acteurs ne voient pas la valeur
ajoutée d'inclure une clause de médiation dans les contrats, car
ils craignent d'être obligés de passer par la médiation
pour régler chaque conflit, de telle sorte que l'entrepreneur ne sente
plus l'urgence de régler ses demandes avec l'administrateur des
contrats, étant donné qu'il a la possibilité de les
régler en médiation. En effet, selon l'opinion de trois
gestionnaires, une clause de médiation incluse dans les contrats risque
de faire en sorte que les gestionnaires vont de se trouver très souvent
en médiation. Selon eux, l'inclusion d'une telle clause dans les
contrats va augmenter les coûts et peut même entraver le
règlement hors cour des différends. De plus, six
interviewés sur sept considèrent que la relation avec les
fournisseurs constitue plutôt une relation d'affaires dont les objectifs
sont plus divergents que convergents en raison de la maximisation des profits.
Ainsi, trois gestionnaires rencontrés sont d'avis qu'avant d'instaurer
une clause de médiation dans les contrats, il faut faire la
démonstration que la
nouvelle façon de faire apportera une valeur
ajoutée par rapport à la pratique usuelle. Ils résistent
au changement parce qu'ils considèrent que le mode usuel est
adéquat et ils ne voient pas l'urgence d'agir.
Cette position s'explique d'une part par la
méconnaissance du potentiel de la médiation comme processus de
transformation d'une situation conflictuelle en une situation de recherche
d'une solution d'un problème commun. D'ailleurs, la
société d'État a manifesté cette position à
ses partenaires lorsqu'ils ont exprimé à plusieurs reprises leur
désir d'ajouter dans les contrats d'Hydro-Québec une clause de
procédure de règlement en cas de différends incluant la
médiation.
L'analyse des discours sous-tend que souvent le
médiateur tente de réconcilier les positions des parties en
divisant la poire en deux. Pour cette raison, trois décideurs restent
réticents à aller en médiation lorsque l'écart est
important entre la demande de l'entrepreneur et l'offre raisonnable
d'Hydro-Québec. Ainsi, une clause de médiation instaurée
dans les contrats risque de contraindre la société d'État
à accepter un règlement qu'elle juge défavorable. Cette
façon de voir une clause de médiation dans les contrats
témoigne de l'insuffisance de la représentation de ce mode en
émergence.
De même, tous les acteurs clés expriment la
crainte que l'introduction d'une clause de médiation dans les contrats
crée une lourdeur administrative et qu'en plus, Hydro-Québec
perdre l'élément dissuasif pour régler directement sur le
terrain par négociation. Cette attitude s'explique par la volonté
naturelle d'une entité publique de préserver le pouvoir
assuré par le rapport de forces. En conséquence, il y a deux
décideurs qui n'envisagent même pas d'introduire une clause de
médiation à titre expérimental, car ils sont convaincus
que l'introduction d'une telle clause nuira à la bonne gestion des
différends à HydroQuébec où il y aura une forte
augmentation des réclamations qui vont se trouver en processus de
médiation. Toutefois, un gestionnaire demeure en faveur de tenter
l'expérience d'introduire une clause de médiation dans un contrat
particulier et d'évaluer par la suite sa plus-value par rapport au mode
usuel. Il apparaît donc que des décideurs de première ligne
reconnaissent l'insuffisance des informations véhiculées à
propos de la médiation commerciale et son potentiel.
D'ailleurs, selon un gestionnaire, l'entreprise est tout
à fait ouverte à recourir au processus de la médiation
lorsque l'enjeu du conflit est discutable et lorsque le bien fondé n'est
pas évident. Dans ce cas, Hydro-Québec préfère
participer à la médiation sur une base volontaire et selon le
cas. Car il y a des cas où le processus de la médiation n'est pas
avantageux surtout lorsqu'il s'agit d'une affaire de principe où on est
sûr d'avoir gain et cause. Donc, selon un acteur, il faut adapter le
processus de règlement au conflit et non l'inverse. Cette attitude
montre que l'entreprise est plus préoccupée de protéger
les deniers publics que de faire des compromis pour assurer une relation
durable avec les fournisseurs.
Autre élément non négligeable, un acteur
croit qu'on peut recourir à la facilitation à titre
préventif pour atténuer les conflits de personnalité entre
les individus en charge au chantier, de sorte que le recours à un
facilitateur peut contribuer à restaurer un climat positif dans ce
milieu de travail qui se trouve souvent isolé. Cette perception
démontre bien l'importance des relations humaines dans la relation
d'affaires et qu'un climat positif dans ce milieu de travail isolé reste
un objectif partagé par les deux parties en affaires.
Enfin, deux interviewés s'entendent pour dire que la
société d'État offre déjà, avec le
comité des réclamations, l'équivalent d'une
médiation aux fournisseurs et que, par conséquent elle n'a pas
besoin d'inclure une clause de médiation dans ses contrats. À cet
effet, elle possède toutes les ressources pour gérer avec ses
spécialistes un processus transparent et équitable réglant
les différends avec ses fournisseurs. Cependant, si la
société d'État ne dispose pas suffisamment des
spécialistes pour gérer un processus équivalent à
la médiation, l'instauration d'une clause de médiation dans les
contrats sera alors justifiée. Cette perception de la médiation
montre bien la crainte des acteurs clés de voir l'entreprise de
l'État perdre un pouvoir dans la gestion des affaires des biens communs,
ce qui explique l'insuffisance de représentation du médiateur et
du processus de la médiation avec tout son potentiel.
Donc, la volonté exprimée par
Hydro-Québec de considérer ses fournisseurs comme des
alliés et son désir exprimé d'avoir une relation durable
de partenariat, fondée sur la confiance, le partage de risque,
l'équité, la transparence, la satisfaction de la clientèle
et la dignité des personnes impliquées dans le projet, est
motivée par les conditions du marché lui permettant d'accomplir
sa mission fondamentale. Comme elle fait face de plus en plus à un
marché menacé par des pénuries de travailleurs
qualifiés, elle a senti récemment le
besoin de tenir des réunions de concertation avec les
autres grands donneurs d'ouvrage comme la Ville de Montréal et le
Ministère des Transports du Québec pour tenir compte de cette
réalité dans la planification de leurs projets de construction.
Elle est donc très intéressée à préserver
des liens de partenariat avec les bons fournisseurs qualifiés et fiables
qui sont en mesure de l'accompagner dans sa mission en garantissant son
approvisionnement en biens et services stratégiques.
Comme d'un autre côté, elle résiste
à acquiescer à la requête de ses partenaires d'instaurer
dans ses contrats une clause prévoyant la médiation comme de
règlement des différends, un écart émerge entre la
relation de partenariat énoncée et le mode de règlement
des différends déployé pour régler les conflits
avec les fournisseurs. Cet écart est causé surtout par la
méconnaissance du mode de la médiation commerciale avec tout son
potentiel. Car les acteurs clés de la société
d'État perçoivent la médiation à travers d'un cadre
juridique où toute entente de règlement doit être conforme
avec le contrat, la Loi et les règlements en vigueur.
Les décideurs interviewés ne perçoivent
pas la médiation comme un processus de transformation guidée par
les valeurs et intérêts communs partagés entre
Hydro-Québec et son partenaire, et où le médiateur sert
d'agent de changement pour transformer une situation conflictuelle en une
situation où les deux parties seront conscientes de l'existence d'un
problème commun à résoudre. Ils ne voient pas clairement
que la solution recherchée ne s'arrête pas aux compensations
financières directes, mais englobe le conflit avec toute son amplitude
afin de préserver les relations futures entre Hydro-Québec et son
fournisseur. Ils ne font pas le lien entre ce mode de règlement et les
divers aspects du problème qui leur posent difficulté parfois :
la recherche d'une solution d'un différend par la médiation, en
plus de régler l'aspect financier direct, peut prendre en
considération les valeurs du partenariat, la pénurie du
marché, le règlement des irritants qui perdurent dans les
documents contractuels, les conflits de personnalité des responsables au
chantier, la sécurité d'approvisionnement, les impératifs
de gestion des fonds publics et l'amélioration des relations à
long terme. Donc, la méconnaissance de la médiation avec tout son
potentiel par les acteurs clefs apparaît être la cause
première de l'écart entre la conception des acteurs et le cadre
de référence.
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