3.2.6 Les forces (satisfactions) du mode alternatif
En outre, les acteurs voient dans le processus de la
médiation un avantage en raison de la possibilité de faire
intervenir dans le dossier un tiers avec des compétences techniques
compatibles avec la nature du conflit. De cette façon, les gestionnaire
se sentent rassurés de voir un médiateur qui maîtrise le
domaine du conflit et qui est en mesure de les écouter et comprendre
leurs besoins, ce qui n'est pas le cas dans un processus judiciaire. Cette
situation s'inscrit par l'insuffisance de la justice de répondre aux
besoins des citoyens qui réclament de plus en plus de faire intervenir
d'autres normativités que celles du monde judiciaire afin qu'ils
puissent donner un sens à toute solution du différend.
Par ailleurs, un autre acteur a vu un aspect négatif
dans la présence d'un ex-juge comme médiateur lors d'un conflit
vécu, car il a agi selon son cadre de référence judiciaire
et a usé de son autorité de juge et de ses arguments pour
convaincre les parties de la meilleure solution selon les circonstances. Cette
perception témoigne de la méconnaissance du processus de la
médiation qui est souvent attribué à un processus
judiciaire sauf qu'il est volontaire et non contraignant, et permet à un
tiers de jeter sur le conflit un regard extérieur différent de
celui des personnes impliquées directement dans le conflit. Ce qui
explique que les gestionnaires s'attendent à ce que le médiateur
fasse plus que de la facilitation en intervenant pour convaincre les parties
à adhérer à une entente qu'il considère la
meilleure dans les circonstances.
135Jean-Pierre Bonafé-Schmitt. La
médiation: une alternative à la justice, page 146.
Les acteurs sont unanimes pour dire que, même si le
processus n'aboutit pas à une solution, il permet toutefois de voir le
différend sous un nouvel angle afin que les parties reconsidèrent
leur position respective. Cette façon de voir le processus rejoint la
conclusion du comité ontarien chargé d'évaluer le recours
obligatoire à la médiation, à savoir que le fait de rendre
obligatoire le processus, même s'il est volontaire, a eu des
retombées positives sur l'accélération du règlement
des conflits.
3.2.7 Les faiblesses (déceptions) du mode
alternatif
Cependant, les acteurs sont unanimes pour dire que le
processus doit demeurer sous la gouverne et sous le contrôle de la
société d'État. L'analyse des discours dégage une
crainte de la part de la société d'État de se
départir d'un pouvoir qui lui revient comme entité publique qui
joue un rôle, aussi noble et prestigieux, que celui du fiduciaire du bien
commun. Ainsi, la majorité des gestionnaires rencontrés
considèrent que la bonne gestion des fonds publics appartient à
la société d'État et non au médiateur. Par
conséquent, tout processus en vue d'un règlement demeure sous son
contrôle et en dehors de la place publique. Cette façon de
concevoir le processus de règlement s'explique, selon la recherche
documentaire, par une culture profondément enracinée à
l'effet que la société d'État est assujettie au Droit
administratif québécois qu'on associe au Droit administratif
français dont l'origine remonte à la monarchie. Comme disait
madame Louise Lalonde, professeure : « À un certain égard en
France, on a remplacé la monarchie par la république, mais on a
gardé ses lettres de noblesse. »
Cette analyse de la perception des acteurs clés
révèle que les décideurs conçoivent la
médiation comme un mode de gestion des compromis sur les positions des
parties en conflit où toute recherche de solution est faite dans le
cadre de la normativité juridique, à savoir le contrat, la loi et
les règlements en vigueur. D'une certaine manière, les acteurs
associent la médiation à un processus quasi-judicaire où
il est indispensable que les parties soient accompagnées par leurs
procureurs respectifs. En plus, ils croient que le médiateur
détient une obligation de résultats qui se présente par
une entente de règlement où tout échec ou réussite
est imputé au médiateur. Il appert que le processus est souvent
vu à travers les médiations décrétées par le
gouvernent pour régler un conflit de travail qui perdure. Par
conséquent, les acteurs craignent qu'en acceptant de participer à
un processus géré par un médiateur externe, la
société d'État concède à un tiers un pouvoir
qui lui
revient comme entité publique qui joue un rôle,
aussi noble et prestigieux, que celui du fiduciaire du bien commun.
Or, le nouveau contexte impose à Hydro-Québec un
défi de taille en raison de la pénurie qui se pointe à
l'horizon dans le marché de la construction et des revendications
sociales qui se font entendre lors de la réalisation de ses projets de
développement. Elle doit donc assurer une bonne gestion de la chose
publique et participer au développement du Québec comme un bon
citoyen corporatif. Pour cette raison, elle a senti le besoin de modifier ses
politiques pour favoriser une relation d'affaires à long terme,
fondée sur la confiance, le partage de risque, l'équité,
l'intégrité et la transparence qui sont essentielles à
l'administration des fonds publics. En conséquence, il est
nécessaire d'adopter un mode de règlement des différends
commerciaux compatible avec cette vision de partenariat et en conformité
avec ces valeurs mises de l'avant par la société
d'État.
D'où un modèle de médiation comme celui
d'Ury et Fisher qui est le plus indiqué, et dans lequel une solution
sera recherchée en se basant sur les intérêts et les
valeurs communs et les relations à long terme, en considérant le
conflit avec toute son amplitude. De cette façon, on pourra
régler le litige et ses causes profondes par la convergence des normes
juridiques, de partenariat d'affaires et d'éthique propres à la
gestion de la chose publique. D'abord, la norme juridique, qui est le contrat,
sera évoquée pour qualifier le litige et ses conséquences.
Elle peut être employée pour situer le droit de chacune des
parties en litige ainsi que ses obligations contractuelles.
Ensuite, comme dans la plupart des cas le litige est issu
d'une mauvaise pratique qui se perpétue depuis longtemps de part et
d'autre des parties, des solutions peuvent être discutées afin de
prévenir d'autres conflits dans le futur. Ainsi, dans une
médiation où on cherche une solution, le fournisseur, en
l'absence du rapport de forces, peut faire part ouvertement de ses
doléances relatives aux documents contractuels ambigus et aux clauses
jugées abusives dans un contrat par adhésion comme celui
d'Hydro-Québec. De même, Hydro-Québec peut trouver une
solution qui saura à la fois répondre à ses contraintes en
matière d'échéancier et de qualité tout en tenant
compte de la préoccupation de son partenaire, lui permettant de
prospérer et de demeurer sur le marché. De la sorte, elle assure
du même souffle sa sécurité d'approvisionnement en
équipements stratégiques.
D'autre part, la présence d'un tiers neutre
crédible, dans une médiation, rassure le corps social d'une
intégrité de gestion et écarte toute apparence de
favoritisme ou de conflit d'intérêts, ce qui n'est pas le cas lors
d'une négociation bipartite. Quant à l'entente, en plus de la
solution du litige, elle peut inclure des éléments susceptibles
d'améliorer les opportunités et les relations d'affaires à
long terme. Il appert que la perception des acteurs clés par rapport
à la médiation dans ce sens diffère. La médiation
est vue à travers un cadre purement juridique (contrat) qui est
insuffisant pour régler un conflit sans provoquer une brisure entre le
Droit et les intérêts et les valeurs communs
énoncés. Ce qui fait que les avantages de la
médiation dans un tel contexte ne sont pas perçus par les
décideurs.
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