Le parquet général de Rouen sous la monarchie de Juillet (1830-1848)( Télécharger le fichier original )par Julien Vinuesa Université de Rouen - Maîtrise d'histoire 2004 |
B-La censure du parquet général.Le Journal de Rouen, de par sa position complaisante sur l'affaire d'Alibaud, est suspecté de républicanisme. C'est pour cela que, le gérant du Journal de Rouen, Émile Brière ( journaliste, âgé de 28 ans) est appelé à comparaître devant la Cour d'assises, le 17 août 1836, pour délit de presse. Le réquisitoire de l'avocat général légitimiste Le Tendre de Tourville ne pèse pas lourd face à la plaidoirie de la défense, assurée par Jules Senard, l'un des plus brillants avocats du barreau de Rouen, qui séduit littéralement le jury : « Non content de défendre le Journal de Rouen, dont la rédaction avait toujours été «franche, indépendante, hardie, parfois rude, mais toujours loyale», [Jules Senard] se fit l'accusateur et dressa contre ceux qui avaient provoqué et dirigé les poursuites, un véritable réquisitoire, suivi d'un acquittement triomphal. Sa plaidoirie parut si belle, qu'elle fut tirée à 20.000 exemplaires »368(*). Le ministère public se venge du succès de Me Senard en le citant directement devant le tribunal correctionnel pour diffamation369(*) : les poursuites du procureur général auraient été menées après les dénonciations de l'Écho de Rouen, journal gouvernemental370(*). Comme souvent dans les affaires de délits de presse, le jury est indulgent et l'acquittement du 17 août n'est donc pas une surprise371(*). Pourtant ce procès est un événement pour la presse rouennaise puisque c'est la première fois, depuis le début de la monarchie de Juillet, que le Journal de Rouen se plaint d'un retour de la censure : « Nous avons donc supprimé le discours d'Alibaud. Depuis que la loi de 1828 avait aboli la CENSURE, c'est la première fois qu'elle reparaît, et qu'un journal se montre au public mutilé par elle. La CENSURE, à tout jamais proscrite par la Charte de 1830, existe donc. Mais ce n'est plus la censure de la loi : c'est la censure de la force ! »372(*). Supprimée en juillet 1828 par les réformes libérales de Martignac, remise au goût du jour dans l'une des quatre ordonnances du 25 juillet 1830, la censure est définitivement enterrée et la liberté de la presse reconnue par la Charte de 1830373(*). Cette réapparition de la censure ouvre, à l'encontre de la presse et du Journal de Rouen plus particulièrement, une nouvelle période de réaction et d'affermissement. Conforme à la ligne gouvernementale, le procureur général veille à « l'orléanisation » du paysage politique, surtout dans la presse d'opposition. Toute remise en cause du gouvernement de Louis-Philippe est donc sujette à poursuite. * 368 Discours de Me Vermont, bâtonnier lors de la séance d'ouverture de la Conférence de avocats stagiaires du mardi 24 novembre 1896. * 369 « Avant de comparaître devant ses juges légaux, notre confrère saisit le Conseil de l'Ordre de la citation qu'il a reçue, il accepte pour défense l'appui du Bâtonnier et voit l'Ordre tout entier l'accompagner à l'audience [du 31 août 1836], en s'associant à la décision du Conseil . Acquitté par les magistrats, Senard fut, par ses confrères, nommé de nouveau bâtonnier. », ibid.. Cette suite de l'affaire du Journal de Rouen est une nouvelle fois l'occasion pour l'Ordre des avocats de manifester, en bloc, leur opposition au procureur général et au manque de libéralisme du régime. * 370 Cf. Collectif, Le palais de justice de Rouen, Rouen, Ministère de la Justice et département de la Seine-Maritime, 1977. * 371 « Soumises au jury depuis la loi du 8 octobre 1830, les poursuites contre les journaux connaissent des taux records d'acquittements. », in Vielfaure, op. cit., pp. 52-53. * 372 Cf. Journal de Rouen, supplément au numéro 112, du dimanche 10 juillet 1836. * 373 Second alinéa de l'article 7 de la Charte constitutionnelle de 1830 : « La censure ne pourra jamais être rétablie», J.Godechot, op. cit., p. 247. |
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