Le parquet général de Rouen sous la monarchie de Juillet (1830-1848)( Télécharger le fichier original )par Julien Vinuesa Université de Rouen - Maîtrise d'histoire 2004 |
3-3-3 : Les déboires du Journal de Rouen ou la ferme volonté de « nettoyer » la presse d'opposition.A-L'attentat d'Alibaud : un engagement un peu trop républicain du Journal de Rouen.A Rouen, le premier journal à faire l'objet d'un certain acharnement judiciaire est le Journal de Rouen, grand journal d'opposition. Centralisant les idées de toutes les gauches358(*), le journal est une cible facile et n'échappe plus aux poursuites du ministère public. L'attentat de Fieschi est l'occasion dramatique de la législation du 9 septembre, l'attentat suivant, celui d'Alibaud du 25 juin 1836, est le sujet qui met le feu aux poudres au parquet général de Rouen. Le procureur général Moyne, dirige lui-même l'opération et note consciencieusement les passages de divers numéros du Journal de Rouen, qui sont susceptibles de déférer le journal devant la Cour d'assises359(*). Dans le numéro 182, du 30 juin 1836, Moyne retient le délit d'attaque contre l'inviolabilité de la personne du roi, prévu par la loi du 17 mai 1819 et celle du 25 mars 1822360(*). Le tord de l'article est de faire de Louis-Philippe un citoyen comme les autres : « Moralement et politiquement parlant, aujourd'hui l'assassinat d'un Roi n'est pas une plus une plus grande monstruosité que l'assassinat de tout autre citoyen ; l'un et l'autre sont également exécrables et punissables, l'un et l'autre outragent la conscience publique et mériteront toujours la plus forte des peines que la raison humaine et sociale se croira le droit d'infliger ; mais l'un n'est pas un plus grand sacrilège que l'autre, et n'appelle pas d'appareil de réparation plus élevé et plus sonore »361(*). Les journalistes ont oublié que Louis-Philippe n'est pas qu'un citoyen : il est le « roi-citoyen » et ne tient pas à devenir « Louis-Philippe-Egalité ». Pour le même passage, le procureur réclame l'article 8 de la nouvelle loi du 9 septembre relatif au délit d'attaque contre le respect dû au lois. Mais, c'est le second passage incriminé qui requiert, de manière plus claire, l'application des lois de septembre : « Hier, à minuit, on savait dans Paris que la générosité du coeur du Roi n'avait pu avoir son cours, et que le droit de grâce, dont il peut user d'ailleurs sans consulter son conseil, ne serait pas exercer »362(*). Le procureur général considère ces propos comme relevant du quatrième article qui interdit que l'on fasse « remonter au Roi le blâme ou la responsabilité des actes de son Gouvernement ». Mais le droit de grâce ne relève pas du gouvernement mais exclusivement de Louis-Philippe : L'article 58 de la Charte constitutionnelle du 14 août 1830 prévoit que « le roi a le droit de faire grâce et celui de commuer les peines363(*) ». Le gouvernement n'a aucune responsabilité en matière de grâce364(*). Si Alibaud est exécuté, c'est que le roi a consenti à son exécution. L'application de cet article dédouane le roi mais ne se justifie pas. Le Journal de Rouen a placé l'autorité monarchique en face de ses responsabilités et de ses décisions, c'est ce pourquoi, sans doute, le procureur relève ce nouvel affront. Le dernier article, à être l'objet de poursuites365(*), est la chronique politique du 13 juillet qui critique l'exécution d'Alibaud et condamne la politique criminelle actuelle : « La tête d'Alibaud a roulé sur l'échafaud, presque la nuit, furtivement ; il semblait que ce fût un crime que l'on commit [...].Voilà donc les résultats de la civilisation qu'on disait si fort en progrès depuis 1830 ! En cinq mois, quatre têtes sont tombées sur l'échafaud ; le bourreau est aujourd'hui un personnage, et la guillotine ne se repose plus [...]. Il est mort courageusement, et on n'a pu le calomnier à son moment suprême, comme on l'a fait à la Cour des pairs »366(*). Alibaud est regardé comme une victime du système gouvernemental. Mort presque en martyr, Alibaud n'est pas un terroriste qui a tiré sur le chef de l'Etat, mais reste, pour le Journal de Rouen, un républicain qui a essayé de changer le cours des événements. Pour le chef du parquet, le Journal de Rouen accuse la monarchie de Juillet d'être un régime répressif et donne, scandaleusement, raison aux républicains. Le procureur général ne fait que suivre la volonté gouvernementale du duc de Broglie, dont les propos rapportés par Duvergier de Hauranne (dans son Histoire du gouvernement parlementaire en France de 1814 à 1848) sont simples et directifs : « Le président du conseil insiste sur les excès commis par les partis et lie l'attentat du 28 juillet «aux violentes agressions de la presse». Il convient donc «de ramener tous les partis à la religion de la charte, les ramener sous son joug... ». Quant à la liberté de la presse, il la veut «franche et complète, mais constitutionnelle», bref orléaniste ! »367(*). * 358 « le Journal de Rouen, jusqu'en 1848 au moins, résume pratiquement à lui seul tous les courants de gauche », in J.-P. Chaline, Les bourgeois de Rouen, op. cit., p. 341. * 359 Réquisitoire préparatoire du procureur général de Rouen du 30 juillet 1836, 2U 1753. * 360 « La première réprime, d'une part , la provocation à des crimes et délits par voie de presse, d'autre part, diverses offenses et attaques ; la seconde renforce la répression sur plusieurs points », Vielfaure Pascal, op. cit., p.121. * 361 Cf. Journal de Rouen, numéro 182, du 30 juin 1836. * 362 Cf. Journal de Rouen, numéro 194, du 12 juillet 1836. * 363 Cf. Godechot Jacques, op. cit., p. 251. * 364 « Le roi regarde le droit de grâce comme la plus précieuse des prérogatives de sa couronne. » Cf. Guy Antonetti, Louis-Philippe, Paris, Fayard, 1994, p. 682. * 365 Pour ce troisième article, le Journal de Rouen a, selon le procureur général, commis le délit d'excitation à la haine et au mépris du gouvernement du roi, prévu par l'article 4 de la loi du 22 mars 1822. * 366 Cf. Journal de Rouen, numéro 195, du 13 juillet 1836. * 367 Cf. P. Vielfaure, op. cit., p. 155 |
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