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Le parquet général de Rouen sous la monarchie de Juillet (1830-1848)

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par Julien Vinuesa
Université de Rouen - Maîtrise d'histoire 2004
  

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B-Le parquet général de mauvaise foi ?

Devant la Cour d'assises de Rouen, Armand Carrel est le seul à comparaître, Conseil étant au seuil de la mort, et se trouve défendu par les deux grands avocats de la Cour, Me Daviel et Me Senard, spécialistes des procès politiques mêlant des républicains. Armand Carrel présente par écrit les moyens de sa défense à Me Daviel, que ce dernier expose oralement devant la Cour : Armand Carrel dément être toujours éditeur ou gérant du National, qualités qui sont à l'origine des poursuites du ministère public devant la Cour d'assises de Rouen, « sa seule qualité étant celle de gérant du National de 1834, comme il résulte de la déclaration par lui passée le 31 décembre 1833 au ministère de l'Intérieur »340(*). Le procureur général Moyne, moins complaisant que la Cour de cassation, estime qu'Armand Carrel a essayé de tromper les autorités, en faisant croire à la création d'un nouveau journal, Le National de 1834 ayant pour but « de voiler, par un changement de titre, par le changement des gérants responsables [...] la continuation de l'ancien journal »341(*). Pour le ministère public, Le National n'a jamais cessé d'exister. C'est pour cette raison que le procureur général veut que soit confirmée l'arrêt de la Cour royale de Paris du 14 février 1834 et les peines de deux mois de prison ainsi que l'amende de deux mille francs. Le ministère public voit dans la création du National de 1834 une manière dérobée d'échapper à l'interdiction de rendre compte des débats judiciaires. Des échanges vifs sont notés dans le procès entre l'avocat Senard et le procureur général :

« Me Senard, avocat, autre conseil du prévenu a observé que d'après ce que venait de dire son confrère, Me Daviel, il ne pouvait faire que des répétitions fastidieuses et qu'il ne se proposait de prendre la parole que dans le cas où M. le procureur général répliquerait [...]. Le procureur général s'est levé et a dit que son intention n'était pas de répliquer, sans que pour cela il fallut en induire qu'il acquiesçait aux moyens qui avaient été présentés dans l'intérêt du prévenu et il a persisté dans sa réquisition »342(*).

La Cour donne raison au procureur général et confirme les peines pour Carrel et Conseil. Mais peu de temps après, Mme Conseil forme opposition contre l'arrêt par défaut visant son mari, décédé entre temps. C'est là l'occasion pour le Journal de Rouen de commenter l'affaire du National de 1834 et de régler des comptes avec le parquet général : « Le procureur général avait tranché d'avance contre Mme Conseil en ne faisant pas revenir les pièces qui eussent été indispensables pour discuter le fond du procès »343(*). En charge du ministère public lors de l'audience de Mme Conseil, l'avocat général Le Tendre de Tourville est l'objet d'attaques du journal. On rappelle notamment son passé judiciaire sous la Restauration : « A pareil jour, en effet, il y a quatre ans, M. l'avocat général de Tourville était substitut du procureur général qui, à la tête de son parquet, venait assurer main-forte aux ordonnances »344(*). Le Journal de Rouen fait un parallèle saisissant entre la situation de la presse au crépuscule de la Restauration et sous la monarchie de Juillet. Rien n'a changé, ni ses défenseurs, ni ses détracteurs : « MM. Daviel et Senard, qui défendaient le 29 juillet 1830, la propriété du Journal de Rouen contre les lois de la Restauration, défendaient le 30 juillet 1834, la propriété du National de 1834 contre les mêmes lois, contre les mêmes adversaires ! [...]. Qui dirait qu'une révolution faite au nom de la liberté de la presse a passé entre ces deux procès ? »345(*). Le Tendre de Tourville, trouvant la prétention de l'opposante « étrange, sans convenance, sans loyauté »346(*), fait rejeter la demande de Mme Conseil. Le National de 1834 porte, de nouveau, l'affaire devant la Cour de cassation, qui confirme, définitivement, l'analyse du procureur général et les conclusions de la Cour d'assises de Rouen : « Même interdit de publier des débats judiciaires, Le National de 1834 n'en continue pas moins d'exister et se mêle fréquemment de politique »347(*).

A travers Le National de 1834, c'est une nouvelle fois les républicains que l'on vise. Les répliques du procureur général Moyne et de l'avocat général De Tourville répondent naturellement à l'attente du gouvernement348(*) et confirment le retour des atteintes faites à la presse et aux organisations républicaines. Le Journal de Rouen illustre justement cette vision lors de l'affaire du National de 1834 : « Voilà comment on interprète aujourd'hui la révolution de Juillet dans les parquets : elle n'a renversé que Charles X ; tout l'entourage a été consolidé »349(*).

* 340 Conclusions prononcées par Me Daviel (mais signées Armand Carrel) lors de la séance du 17 juin 1834, 2U 1735.

* 341 Pascal Vielfaure, op. cit., p. 55.

* 342 Arrêt de la Cour d'assises de Rouen du 17 juin 1834, 2U 1735.

* 343 Journal de Rouen, numéro 213, du vendredi 1er août 1834.

* 344 Ibid.

* 345 Ibid.

* 346 Journal de Rouen, numéro 212, du jeudi 31 juillet 1834.

* 347 Pascal Vielfaure, op. cit., p. 55.

* 348 « Il est impossible, en effet, de voir les délégués de M. Persil défendre le gouvernement comme ils le défendent, et il est impossible de les voir développer les thèses de commande dont le programme leur est envoyé tout fait de Paris, sans prendre en profond dégoût toute cette politique officielle » : Journal de Rouen, numéro 212, du jeudi 31 juillet 1834.

* 349 Ibid.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault