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Le parquet général de Rouen sous la monarchie de Juillet (1830-1848)

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par Julien Vinuesa
Université de Rouen - Maîtrise d'histoire 2004
  

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B-L'affaire des avocats de Rouen ou comment lutter contre « l'anarchie en robes de palais ? »172(*).

L'affaire des avocats de Rouen, qui commence en avril 1835, fait suite au mouvement insurrectionnel lyonnais et parisien d'avril 1834, qui se solde par l'arrestation de nombreux républicains et la condamnation de la Société des Droits de l'homme (voir supra), responsable de la mobilisation. Conformément à une ordonnance du 15 avril 1834, les accusés d'avril sont traduits devant la Cour des Pairs, pour un « procès monstre », où doivent défiler plus de 2000 inculpés et 4000 témoins173(*). Devant la volonté affichée des accusés d'appeler pour leurs défenses des amis politiques et ainsi de transformer le prétoire de la Cour des Pairs en tribune républicaine, l'exécutif réagit et prend une ordonnance, à l'origine de la fronde des avocats rouennais. L'ordonnance du 30 mars 1835 confère au président de la Cour des Pairs, le soin de désigner d'office les avocats du barreau de Paris aux accusés qui voudraient prendre des avocats d'autres barreaux aux idées républicaines. Le 6 avril 1835, le barreau de Rouen, « avant même que le barreau de Paris, directement visé, se soit prononcé »174(*), délibère en conseil de l'Ordre, contre l'ordonnance et apporte son soutien à leurs confrères parisiens. Le parquet général de Rouen répond, le 18 avril, par une citation du bâtonnier Senard devant les chambres assemblées de la Cour d'appel. À huis-clos, dans la chambre du Conseil, Senard comparaît, sur le réquisitoire du procureur général du 17 avril, pour voir déclarer nulle et non avenue la délibération de l'Ordre des avocats du 6 avril et pour se voir appliquer des peines disciplinaires175(*). Plus de 26 avocats, dont Me Alfred Daviel, le rédacteur de la délibération du 6 avril176(*), son père et le doyen du collège Me Le Varlet, viennent soutenir le bâtonnier Senard et, par une requête, demandent à intervenir individuellement. Épaulé par le premier avocat général Gesbert, l'avocat général Paillart, et les substituts Leroy et Rouland, le procureur général Moyne refuse que les avocats soient reçus parties intervenantes et requiert contre la requête. Me Cheron, représentant des avocats signataires de la requête, développe « ses moyens à l'appui de la demande en intervention, s'attachant surtout à établir que chacun des avocats signataires [...] était individuellement intéressé dans la cause »177(*). Le bâtonnier, le seul investi pour défendre le barreau, fait tout de même un brillant exposé :

« Les avocats, sachez le bien, Monsieur le Procureur Général, ne connaissent pas ces distinctions de lieux et de barreaux. Tous les avocats n'ont-ils pas les mêmes droits et les mêmes devoirs ? Ne sont-ils pas soumis aux mêmes lois, aux mêmes règlements ? Ignorez-vous la confraternité qui les lie ? En tout temps, leur union a fait leur force et leur dignité ; en tout temps, quand un avocat a été frappé ou menacé d'une injustice, cette injustice a été sentie par tous, et tous se sont levés pour la repousser »178(*).

Peine perdue ! A 13h30, le procureur général Moyne clôture la séance extraordinaire du 29 avril en prononçant un réquisitoire, véritable rappel à l'ordre pour le barreau de Rouen : le procureur général reproche à l'Ordre des avocats d'avoir qualifié l'ordonnance du 30 mars 1835 d'illégale et déclaré « être prêt à s'associer à toutes les mesures qui seraient prises par l'Ordre des avocats de Paris »179(*). Considérant que le barreau a remis en cause la pertinence judiciaire de la Cour des Pairs, Moyne vocifère qu'« il y a eu une haute inconvenance à contester les pouvoirs judiciaires de la Cour des Pairs et à la qualifier de commission politique »180(*). Pour le procureur général, Me Senard, « en envoyant un extrait [de la délibération de l'Ordre du barreau de Rouen du 6 avril] au bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris [le bâtonnier] a manqué à ses devoirs »181(*). Pour toutes ses transgressions, Moyne demande à la Cour de déclarer illégale la délibération du 6 avril et la réunion de l'Ordre, ce dernier ne pouvant se réunir que pour l'élection du conseil de discipline et du bâtonnier. Le lendemain, les débats judiciaires continuent et c'est seulement le 4 mai que le barreau est fixé sur son sort. Dans ses premiers attendus, la Cour formule sa surprise au sujet des libertés prises par les avocats :

« il faudrait admettre cette nouvelle doctrine qui, par délibération, prise en nom collectif, un barreau quelconque pourrait, arbitrairement et sans frein possible s'élever contre les institutions du royaume, lutter en corps contre l'autorité royale, arguer ses ordonnances d'inconstitutionnalité, se soulever contre leur exécution, provoquer les autres barreaux à en agir de même, et, ainsi, faire de l'anarchie, en robes de palais »182(*).

La Cour souligne l'inconscience des frondeurs et leurs reproche de n'avoir pas évalué les conséquences de leurs actes : « Cela frappe tout d'abord, quand on voit les avocats du barreau de Rouen, par leur adhésion anticipée à des mesures dont ils ignorent la portée, se mettre à la discrétion d'un autre barreau, sans savoir, jusqu'où cet abandon pourra les conduire ». Surtout, la Cour ne veut pas créer un précédent préjudiciable aux institutions du régime : en effet, la Cour considère la délibération du 6 avril et le soutien apporté aux avocats parisiens comme un retour aux corporations : la Cour rappelle que l'Ordre des avocats, supprimé comme toutes les corporations par l'Assemblée Constituante et réapparaissant après la loi du 22 ventôse an XII, n'a pas été rétabli « en corporation délibérante sur les affaires de l'État »183(*). Conformément aux voeux du parquet général, la Cour annule la délibération de l'Ordre des avocats de Rouen car il s'« impose à la magistrature le devoir d'anéantir un acte aussi contraire à la démarcation des pouvoirs, qui est un des pivots de l'ordre social »184(*). Quant au bâtonnier Senard, il est condamné à rembourser les frais entraînés par l'affaire. En 1896, le bâtonnier Vermont du barreau de Rouen, revenant sur l'affaire des avocats de Rouen, saisit bien le sens de l'événement : « Il s'agissait d'un procès politique, Senard le perdit devant la Cour, il le gagna devant ses confrères et devant l'opinion publique »185(*). L'agitation du barreau de Rouen n'est pas isolée : les conseils de l'Ordre de Nancy et de Marseille contestent également l'ordonnance. Comme pour Rouen, les Cours royales de Paris et de Nancy, mais pas celle d'Aix, condamnent les décisions des barreaux. Le 5 avril 1841, la Cour de cassation rejette le pourvoi contre l'arrêt du 4 mai 1835, confirmant ainsi la position des juges de la Cour royale de Rouen186(*). Le procès des insurgés d'avril qui s'ouvre en mai 1835 qui devait être le procès du régime met, en réalité, un terme à l'activisme publique des républicains.

En interne, si le parquet juge souvent sur l'étiquette politique les contrevenants, les parquetiers, eux, sont jugés par leurs supérieurs pour leur assiduité aux règles de l'usage et du protocole.

* 172 Arrêt de la Cour dans l'affaire des avocats de Rouen, le 4 mai 1835, 2U 103.

* 173 Cf. Pascal Vielfaure, op. cit., p. 302.

* 174 Articles du bâtonnier Brière et de Me Georges Mac Grath, in (Collectif), Le palais de Justice de Rouen, Rouen, Ministère de la Justice et du département de la Seine-Maritime, 1977, p. 186.

* 175 Délibération du 29 avril 1835 sur l'affaire des avocats de Rouen, 2U 103.

* 176 Discours de Me Vermont, bâtonnier, lors de la séance d'ouverture de la Conférence des avocats stagiaires, le mardi 24 novembre 1896, dossier de presse Senard, N 92.

* 177 Délibération du 29 avril 1835 sur l'affaire des avocats de Rouen, 2U 103.

* 178 Articles du bâtonnier Brière et de Me Georges Mac Grath, in (Collectif), Le palais de Justice de Rouen, op. cit., p. 186.

* 179 Réquisitoire du procureur général Moyne du 29 avril 1835 in délibération du 29 avril 1835 sur l'affaire des avocats de Rouen, 2U 103.

* 180 Ibid.

* 181 Ibid.

* 182 Arrêt de la Cour dans l'affaire des avocats de Rouen, le 4 mai 1835, 2U 103.

* 183 Ibid.

* 184 Ibid.

* 185 Discours de Me Vermont, bâtonnier, lors de la séance d'ouverture de la Conférence des avocats stagiaires, op. cit.

* 186 Cf. Vielfaure Pascal, op. cit., p. 304.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams