Le parquet général de Rouen sous la monarchie de Juillet (1830-1848)( Télécharger le fichier original )par Julien Vinuesa Université de Rouen - Maîtrise d'histoire 2004 |
D-Le magistrat doit être dénué d'esprit partisan.Le palais de Justice n'est pas un temple inviolable. Au contraire, il est sans cesse l'objet d'intrusions du politique. Alfred Daviel regrette cet état de fait et rend responsable la Restauration d'avoir créer un précédent, préjudiciable au fonctionnement même de la Justice : « L'invasion des passions politiques dans le sanctuaire de la Justice est un des caractères qui ont signalé la période de restauration ou plutôt de perturbation que nous venons de parcourir »124(*). Mais celui qui se plaint le plus de cette invitation gênante du politique est le procureur général Moyne : dans son discours de rentrée de 1834, Moyne, encore révulsé par l'affaire Aroux et Tranchard d'août 1833 (voir infra), condamne « fermement »125(*) les immixtions des convictions politiques dans le domaine judiciaire et prévient la magistrature : « le magistrat doit dépouiller l'homme privé ; oublier ses engagements de parti, s'il en a eu, pour se vouer au culte de la loi »126(*). Pour Moyne, les prétentions des partis sur le judiciaire sont dangereuses et seul le concours de la loi est un rempart efficace contre elles : « la force morale ne suffit pas pour résister aux violences des partis, il faut la jouissance des lois et la ferme volonté de les exécuter pour calmer la fièvre des passions politiques »127(*). Moyne montre du doigt deux partis : le parti républicain et celui des légitimistes, ces « deux partis extrêmes et toujours ennemis, emploient des efforts simultanés pour ruiner l'édifice glorieux de Juillet ». Le procureur général Moyne reprend comme principe ce que le procureur général Thil, avait dit en 1830 : « le procureur général, sentinelle avancée, veille constamment au maintien de l'ordre public ; il n'agit, il ne parle que pour le triomphe de la Justice »128(*). Se voulant au dessus des partis, Moyne est en réalité le défenseur officiel du régime : Dans l'affaire Aroux et Tranchard, il combat les républicains et les bonapartistes ; en août 1834, il s'en prend à la Société des Droits de l'homme et du citoyen de Rouen, accusée de républicanisme (voir supra) ; il poursuit la presse d'opposition légitimiste et républicaine (la gazette de Normandie, le National de 1834 : voir supra). Toutes ces initiatives dirigées pour raffermir le pouvoir renforcent l'idée que la position de procureur général est une fonction partisane puisqu'elle permet de réduire les oppositions politiques au profit du pouvoir politique en place. Mais Moyne rejette cette vision complaisante et s'en défend : « Ces partis vous attaquent dès que vous leur résistez, ils s'insurgent contre les lois et traitent en adversaires et en ennemis ceux qui les appliquent à leurs méfaits ; tel fut toujours leur langage et leur partialité ; leur exigence ne peut être satisfaite [...]. La loi est-elle claire, rendez-là obscure, vous serez absous ; qu'en vos mains elle devienne une arme qui les protège, la renommée n'aura pas assez de bouches pour exalter votre indépendance [...]. Si les yeux fixés sur la loi, vous osez la leur appliquer, tout est changé, vous n'êtes plus que des hommes vendus au pouvoir »129(*). Pour Moyne, le magistrat doit être impartial et faire fi des critiques des partis : « Ils voudront vous classer, vous diviser, en scrutant vos opinions judiciaires [...], acceptez comme un éloge ce qu'ils vous adressent comme une injure »130(*). Au contraire, se retrouver seul contre tous est une preuve d'indépendance, voire un honneur. Conspué par le barreau de Rouen et désavoué par la démission de son premier avocat général Alfred Daviel, le procureur général Moyne se fait gloire de sa constance, de son indépendance de caractère, et persiste et signe dans la voie de l'ordre. * 124 Cf. Alfred Daviel, Discours prononcé par M. Daviel, premier avocat général devant la Cour royale de Rouen (audience solennelle du 3 novembre 1830), Rouen, E. Beaudry, 1830, 22 p. * 125 L'idée de fermeté est assené pendant tout le discours. M. Moyne, Discours prononcé par M. Moyne, procureur général près la Cour royale de Rouen, à l'audience solennelle de rentrée, le 4 novembre 1834, Rouen, Impr. F. Marie, n. d., 20 p. * 126 Ibid. * 127 Ibid. * 128 Journal de Rouen, numéro 244, du mercredi 1er septembre 1830. * 129 Cf. M. Moyne, Discours prononcé par M. Moyne, procureur général près la Cour royale de Rouen, à l'audience solennelle de rentrée, le 4 novembre 1834, Rouen, Impr. F. Marie, n. d., 20 p. * 130 Ibid. |
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