Le parquet général de Rouen sous la monarchie de Juillet (1830-1848)( Télécharger le fichier original )par Julien Vinuesa Université de Rouen - Maîtrise d'histoire 2004 |
1-3-2 : La défense du sanctuaire judiciaire et du pouvoir en place.A-La critique du gouvernement précédent : une constante.Les discours du procureur général Thil114(*) et du premier avocat général Alfred Daviel115(*), prononcés respectivement les 31 août et 3 novembre 1830, célèbrent le nouveau régime de la monarchie de Juillet et le renouveau de la Justice, enterrant, de fait, l'ère arbitraire de la Restauration. Contrairement à l'habitude, ces deux discours font référence à la politique et constituent de véritables réquisitoires contre le régime précédent. Le procureur général Thil critique vivement les gouvernements de la Restauration : « Des hommes insensés ont méconnu l'opinion de la France : son calme était à leurs yeux de l'indifférence ; sa longue résignation de la faiblesse. Dans leur délire, ils ont pensé qu'ils pouvaient impunément offenser un peuple généreux et violer la foi des serments ». Mais c'est le discours d'Alfred Daviel, qui est le plus emblématique de cette période et le plus souvent cité comme témoignage de cette transition politique116(*). Tout d'abord, le premier avocat général dénonce le régime de la Restauration qui n'a pas tenu compte du progrès engendré par la Révolution française : « Quinze ans d'épreuve ont appris [à la France] que ni la liberté, ni la dignité, ni le bien-être du pays n'étaient compatibles avec une famille qui, élevée à l'école du pouvoir absolu, n'a jamais pu adopter sincèrement le régime constitutionnel, ni les grandes choses enfantées par le mouvement national qui l'avait jetée et si longtemps retenue sur la terre étrangère ». Pour Daviel, la restauration de « la vieille royauté féodale sortit des caveaux de Saint-Denis » , par obstination idéologique, n'a fait que s'opposer aux « institutions sociales » : le ministère public et plus généralement la magistrature ont perdu sous la Restauration leur indépendance et « ont été constamment livrées, sous ce prétendu régime constitutionnel aux atteintes, les plus oppressives ». La monarchie de Juillet leur rend donc cette liberté de fonctionnement que même « les gouvernements les plus absolus », ceux de l'Ancien Régime leur avaient garanti : « ce ministère auxiliaire de la magistrature qui, après avoir subi les funestes influences de la Restauration, va reprendre enfin son véritable caractère, sous un gouvernement vraiment national, sous un prince qui a juré de ne régner que par les lois et selon les lois ». Avocat sous la Restauration, Daviel déplore que l'institution du parquet se soit transformé en « saint-office d'inquisition politique » et invective les magistrats : « Pourquoi faut-il, Messieurs, qu'un grand nombre des officiers du ministère public se soient laissés entraîner dans cette nouvelle carrière ? Pourquoi faut-il que [...] les réquisitoires n'aient montré d'énergie que dans la défense des prétentions du droit divin et des doctrines de l'obéissance passive ? ». Alfred Daviel fait de nombreuses comparaisons avec la restauration des Stuarts et la Glorieuse Révolution de 1688 : « Jacques II, livré aux jésuites, avait tenté de renverser la constitution du pays, en rompant le contrat primitif d'entre le Roi et le Peuple ». Après la Glorieuse Révolution, sorte de Révolution de Juillet à l'anglaise, la Nation « contracta un nouveau pacte avec un Roi qui, avouant tenir d'elle tous ses droits devait respecter les siens ». Daviel prédit à la France de Louis-Philippe le même destin que l'Angleterre d'après la restauration de Jacques II avec Guillaume III : « Si la Restauration des Bourbons fut la trop fidèle image de la restauration des Stuarts, l'avenir qui s'ouvre devant nous, sous les auspices de la Maison d'Orléans et de la Charte du 7 août, promet désormais, à la France les bienfaits que, depuis un siècle et demi, l'Angleterre, libre au-dedans, puissante et respectée au-dehors, montre avec tant d'orgueil aux autres nations ». Après avoir céder à une certaine anglophilie, l'ancien avocat Daviel officieusement bonapartiste, fait une critique ambiguë et sans doute embarrassée du régime napoléonien : « C'était la France du dix-neuvième siècle, étourdie un instant par la catastrophe imprévue de l'Empire, mais couronnée encore de toutes ses gloires et reprenant courage aux cris de liberté ». * 114 Journal de Rouen, numéro 244, du mercredi 1er septembre 1830. * 115 Cf. Alfred Daviel, Discours prononcé par M. Daviel, premier avocat général devant la Cour royale de Rouen (audience solennelle du 3 novembre 1830), Rouen, E. Beaudry, 1830, 22 p. * 116 Cité dans Jean-Claude Farcy, Magistrats en majesté, op. cit., p. 417, dans l' article d'Elisabeth Ancenay-Chavoutier (avocat au barreau de Rouen), in Nicolas Plantrou (dir.), Du Parlement de Normandie à la Cour d'appel de Rouen 1499-1999, op. cit., p. 381 et par Christian Bruschi (dir.), op. cit., p. 109. |
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