II.2) Employabilité et
expérience professionnelle.
Les offreurs d'emploi, outre les caractéristiques
intrinsèques et acquis des demandeurs d'emploi comme, le niveau
d'éducation dont nous avons parlé plus haut, utilisent des
critères de recrutement qui amènent à sélectionner
tendanciellement la main d'oeuvre. En raison de l'évolution rapide et de
la flexibilité du marché du travail, les offreurs d'emploi
discriminent et sont de plus en plus enclin à choisir une main d'oeuvre
qualifiée, flexible et jouissant d'une expérience professionnelle
allant de un (1) à cinq (5) ans, voire plus ; atout qui manque
crucialement à la population des jeunes, puisque la majorité est
primo demandeur.
L'une des raisons du choix des expérimentés
professionnels résiderait dans le coût de formation. En effet,
dès après l'embauche d'un nouvel entrant, l'entreprise se doit
d'amener celui-ci à la maîtrise du poste qu'elle a à
pourvoir. De ce fait, selon toute logique, il apparaîtra que l'entreprise
aura plus à investir dans l'individu n'ayant aucune expérience
professionnelle comparativement à celui qui en a une; d'où son
intérêt pour ce dernier.
A cause que les entreprises veulent réduire
ces coûts en atténuant autant que possible les coûts de
formation, elles sont amenées dans la plupart des cas à offrir
des emplois exigeant une expérience professionnelle. Cela ne va pas sans
nuire à la jeunesse majoritairement primo demandeur et n'ayant
bénéficié d'aucune expérience professionnelle
(stages, par exemple) au cours de leur scolarité, puisque le
système de formation n'en prévoit pas. Cela témoigne de la
non concordance entre système de production de la main d'ouvre
(système éducatif et de formation) et système d'absorption
de la main d'oeuvre (entreprises) et de la discrimination dont les jeunes sont
victimes à l'embauche.
De plus pour les entreprises, le recours à
l'expérience professionnelle peut-être le moyen d'atténuer
certaines incertitudes liées aux recrutements : CV, lettre de
motivation, entretiens individuels et collectifs, tests psychotechniques...
(François Stankiewicz ,1999). Sur le marché du travail ivoirien,
l'expérience professionnelle ne fait pas défaut comme en
témoigne le tableau ci-après.
Tableau 2 : Offres d'emploi selon l'expérience
professionnelle.
Offre d'emplois
|
Années
|
1996 1998 1999 2000
|
Offres exigeant une expérience
professionnelle
|
67%
|
61,5%
|
77,7%
|
82,5%
|
Offres n'exigeant aucune expérience
professionnelle
|
33%
|
38,4%
|
22,3%
|
17,5%
|
Source: AGEPE / Observatoire.
De l'analyse du tableau, il ressort dans l'ensemble
qu'à part 1998, les offres d'emploi exigeant une expérience
professionnelle vont croissantes. Entre 1996 et 1999, on observe une
augmentation de plus de 10% des offres exigeant une expérience
professionnelle. Entre temps, les offres n'exigeant aucune expérience
professionnelle vont décroissantes ; cela porte à croire que
les employeurs sont de plus en plus friands de main d'oeuvre ayant
déjà exercé. Ainsi, ce sont les primo demandeurs qui sont
à même de postuler pour la deuxième catégorie
d'emploi puisqu'ils ne bénéficient d'aucune expérience
professionnelle; leur faible employabilité serait donc liée
à leur inexpérience sur le marché du travail.
Cela est justifié comme en témoigne le tableau
suivant concernant les bénéficiaires d'une expérience
professionnelle (stages) sur plus d'un millier de jeunes à travers le
Programme d'Aide à l'Embauche (PAE) exécuté par l'AGEPE.
Il faut noter ici que le programme n'était que dans sa phase
expérimentale.
Tableau 3 : Mise en stage du PAE de
l'AGEPE
Nombre de jeunes bénéficiaires de
stages
|
Années
|
1998
|
1999
|
2000
|
2002
|
154
|
16
|
13
|
5
|
Source : Extrait du
PAE-AGEPE.
Sur plus d'un millier de jeunes demandeurs, seulement 154 ont
bénéficié d'une expérience professionnelle en 1998.
Pis encore, le nombre de bénéficiaires a décrut depuis
cette date jusqu'à atteindre 5 mises en stage en 2002. Pendant qu'en
2000, 82,5% des emplois exigeaient une expérience professionnelle,
seulement 13 jeunes avaient bénéficié d'une mise en stage.
Cela témoigne de l'ampleur du problème d'expérience dont
les jeunes paient le lourd tribut.
Face à cela, les théories de la discrimination
et du filtre trouvent tout leur sens.
Les offreurs d'emploi discriminent positivement les personnes
ayant une expérience professionnelle, expérience qui
apparaît comme un moyen de filtre pour eux.
II.3) Employabilité et
modes de recherche d'emploi.
La recherche d'emploi comporte un coût qui n'est rien
d'autre que la perte de revenu liée à la durée du temps de
recherche. De même, elle à un rendement qui est le gain
espéré qui résulte d'une meilleure prospection.
On retiendra que l'apport essentiel de la théorie du
job search, est que le chômage n'est plus interprété comme
le résultat d'un blocage sur le marché du travail. On peut
même y voir un chômage de recherche (pour les plus
diplômés), véritable investissement rentable pour tous les
agents économiques (individus, entreprises).
Voyons à présent ce qu'il en est sur le
marché du travail pour les jeunes en Côte d'Ivoire. Les
démarches pour la recherche d'un emploi par les jeunes sont multiples.
Elles vont des cabinets de placements privés aux structures de
placements publics en passant par les réseaux de solidarités
familiales, parentales et amicales.
Tableau 4 : Démarches de recherche
d'emploi.
Démarches de recherche d'emploi
|
AGEPE Cabinets
Contacts Réseaux
Autres
|
1998
|
4% 5% 14% 72%
10%
|
2002
|
3% 4% 30% 50%
8%
|
Source : Kouakou K. Clément.
Ce qu'il faut remarquer tout de suite, c'est le recours
très important vers les réseaux de solidarités parentales
et autres connaissances.
Les démarches de recherche d'emploi
via les réseaux enregistrent pour 1998 un taux de 72% et pour 2002 un
taux de 50%
Les démarches de recherche sont des
processus par lesquels ont recours les individus pour l'obtention d'un
emploi
L'analyse du tableau nous emmène
à nous poser la question suivante : Pourquoi une baisse en
pourcentage des démarches de recherche auprès des cabinets de
placements et de l'AGEPE ?
Une des raisons du faible taux de recours
aux agences de placement serait la méconnaissance de ces institutions
par les jeunes chômeurs ; l'enquête 1-2-3 effectué en 2002
montre que dans les principales agglomérations de sept Etats membres de
l'UEMOA (Abidjan, Bamako, Cotonou, Dakar, Lomé, Niamey et Ouagadougou),
56% des non-inscrits n'en ont jamais entendu parler. Une campagne d'envergure
doit donc être lancée dans les différentes
agglomérations suscitées pour que de plus en plus les jeunes
demandeurs s'y intéressent et s'y inscrivent.
Une autre raison résiderait dans une
perte de confiance progressive vis à vis de ces structures; cette baisse
de pourcentage proviendrait également d'une déstructuration et
d'un désagrégement des dites structures tant par la
précarité de leurs locaux que par une perte de qualité de
leurs services.
Par ailleurs, le manque de confiance semble
être dû à une asymétrie d'information entre cabinets
de placement et demandeurs d'emploi. Les derniers étant informés
tardivement ou pas de l'existence de besoins en main d'oeuvre exprimés
par les entreprises.
La perte de confiance est significative
d'autant plus qu'en 1998 et en 2002, seulement 4% et 3% des demandeurs d'emploi
ont entrepris des démarches de recherche d'emploi auprès de
l'AGEPE et des cabinets de placements.
De plus en plus, les réseaux de
connaissances sont sollicités en raison de l'accès à un
poste de travail rendu aisé par la présence d'une connaissance
dans une entreprise.
Cela nous montre clairement le manque de lien
qu'il y a entre le système de formation et le système
productif ; aujourd'hui, tout porte à croire que l'école ne
garantit pas un emploi ; puisque l'on peut être
diplômé, mais en manque de soutien, on se heurte à des
barrières (souvent non institutionnelles) à l'entrée des
entreprises ; or la situation aurait été plus aisée
si l'école créait des canaux de recommandations auprès des
entreprises ; cependant les jeunes, après leur scolarité
restent seuls dans la recherche d'emploi.
Des conséquences immédiates de
cet état semblent être la culture de l'insuccès, le manque
de compétition et la perpétuation des classes sociales.
Il ressort que la théorie de la
recherche d'emploi n'arrive pas à expliquer les principaux
déterminants tendanciels de chômage. L'emploi est tellement rare
et la main d'oeuvre abondante que la probabilité de trouver un meilleur
emploi à l'issue d'une prospection reste relativement faible. Ceci
suggère une dynamique de l'éducation et de l'emploi dont les
éléments sont à rechercher dans d'autres
théories.
A côté de l'inadéquation
entre le système de formation et le système productif,
inadéquation qui amoindri la probabilité des jeunes à
trouver un emploi, nous notons les difficultés et les lourdeurs des
systèmes d'insertion professionnelle qui devraient en principe faciliter
l'accession des jeunes sur le marché du travail.
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