II) Les approches factuelles et
statistiques.
II.1) Employabilité et
niveau d'éducation.
Parler d'employabilité et de niveau d'éducation
c'est faire référence à la théorie du capital
humain citée précédemment. Pour cette théorie et
son pionnier BECKER, les individus sur le marché du travail ne sont pas
tous identiques et possèdent des qualités intrinsèques,
cognitives et éducationnelles différentes. L'éducation de
l'individu constitue un gain futur pour lui. En investissant il espère
un emploi et un rendement futur (encore faudrait-il que les formations suivies
soient de qualité ?)
. Qu'en est-il des jeunes instruits et sans instructions
en Côte d'Ivoire?
Tableau 1 : Taux de chômage des jeunes selon le
niveau d'éducation.
Niveaux d'éducation
|
Années
|
1993
|
1995
|
1998
|
2002
|
Abidjan
|
Autres villes
|
Abidjan
|
Autres villes
|
Abidjan
|
Autres villes
|
Abidjan
|
Autres villes
|
Aucun
|
14,8
|
4,6
|
15,7
|
7,9
|
11
|
2,5
|
13,2
|
5,5
|
Primaire
|
20,8
|
11,8
|
30,5
|
7
|
18,9
|
4,6
|
19,1
|
9,6
|
Secondaire1
|
48,9
|
27,4
|
42,2
|
15,8
|
30,1
|
17,8
|
31,1
|
13,3
|
Secondaire2
|
53,4
|
40,4
|
45
|
32,9
|
39,9
|
19,1
|
37,6
|
16
|
Supérieur
|
30,9
|
10,3
|
35
|
|
38
|
12,9
|
48,9
|
45,2
|
Total
|
29,6
|
11,7
|
31,1
|
10,4
|
22
|
7
|
25,5
|
10,1
|
Source :Kouakou K.Clément / AGEPE.
L'analyse du tableau montre qu'à part les sans
instructions et les élèves du primaire dont les taux de
chômage pour les quatre années sont très variables, on
remarque pour le secondaire 2 une baisse du taux de chômage.
Le secondaire 1 quant à lui connaît
également un taux de chômage en baisse depuis 1993 mais qui
croîtra légèrement en 2002. Ce qui constitue un paradoxe
à tous égards, c'est le taux de chômage dans le
supérieur. En effet ce taux va croissant, de 30,9% à 48,9%
respectivement pour les années 1993 et 2002 et pour la seule ville
d'Abidjan; soit une moyenne de croissance de 4,5% par année.
Pourquoi un tel paradoxe ?
Pourquoi, pour ceux ayant investi en
éducation le taux d'employabilité est si faible comparativement
à ceux qui en ont très peu investi ?
La théorie du capital humain serait-elle
un leurre ?
Introduite dans les années 60, la théorie du
capital humain pourrait se résumer ainsi : l'investissement en
éducation procure des bénéfices considérables en
termes de connaissances et de rémunérations pour l'investisseur.
Même si la théorie du capital humain s'est vérifiée
sous d'autres cieux cela ne saurait être totalement le cas pour la
Côte d'ivoire notamment pour les jeunes ayant investi dans le
système éducatif et surtout pour ceux qui ont achevé une
scolarité très élevée. Cette situation grandissante
dans la sous-population des diplômés du supérieur pourrait
trouver son explication dans le fait que ceux-ci ayant parcouru un niveau
d'étude élevé ne soient pas prêts à accepter
un emploi ne reflétant pas selon eux, leur aptitude et ne correspondant
pas à leur salaire de réservation (salaire minimum auquel un
offreur de travail accepterait pour louer ses services). Ces derniers
(diplômés du supérieur) préfèrent prendre du
temps dans la recherche d'un emploi (quand ils en cherchent
véritablement) qui reflèterait leurs aptitudes et connaissances
acquises au cours de leur cursus. C'est en cela que Lippman et Mc Call font
allusion à ce qu'on appellerait le « chômage de recherche
». A cause de leur connaissance incomplète de leurs
intérêts et aptitudes, les jeunes tâtent du marché du
travail pour acquérir de l'information et se livrer à des
expériences, ce qui est l'occasion de préciser ou réviser
leurs attentes. Ainsi les jeunes se chercheraient, tout autant qu'ils
chercheraient un emploi (Osterman, 1980, cité par François
Stankiewicz).
La rémunération proposée par les
employeurs eu égard au niveau d'étude des demandeurs d'emploi du
supérieur et à leur recherche d'emploi par un mode particulier
pourrait quelque part expliquer le faible niveau d'employabilité de ces
derniers. Cette situation pourrait également trouver réponse dans
le fort taux de diplômes du supérieur ces dernières
années (BTS, DEUG, Licence,...). Ce nombre pléthorique de
diplômes entraîne une certaine dévalorisation de ces
derniers (diplômes) et ne sont plus vus par les employeurs comme des
indicateurs de rareté et des critères de filtre (Spence).
En outre, les formations offertes par le système
éducatif et de formation ne sont pas toujours celles voulues par les
offreurs d'emploi (introduction de nouvelles filières de formations
importées des pays développés où les
réalités économiques ne coïncident pas avec les
nôtres.
Il s'agit donc d'une inadéquation entre les produits du
système éducatif et les attentes du système productif.
Il faut également noter, c'est que le taux de
chômage des catégories de jeunes autres que celui du
supérieure pourrait cacher quelques insuffisances; et c'est là
qu'il faut re-préciser la notion de chômeur.
Pour le BIT, est chômeur celui qui est d'abord sans
emploi, désireux de travailler et enfin qui a activement cherché
un emploi au cours des semaines ayant précédé
l'enquête. Nous imaginons combien cette définition du
chômeur peut prêter à confusion. En effet, s'il est
aisé de savoir celui qui est sans emploi et celui qui est
désireux de travailler (et là, rien ne nous prouve qu'un individu
désire réellement travailler), il n'est pas moins difficile de
connaître avec exactitude celui qui a activement cherché un emploi
au cours des semaines ayant précédé l'enquête.
L'équivoque étant levée, il est
nécessaire de prendre avec circonspection et mesure les chiffres
avancés. Les taux d'inemployabilité des jeunes issus du
secondaire et du primaire peuvent cacher des insuffisances liées au fait
que ceux-ci dans leur grande majorité n'aient pas été pris
en compte dans les enquêtes et n'aient jamais été l'objet
d'enregistrement dans une quelconque agence de placements ou de conseils.
La deuxième remarque à faire est celle
de la notion de sous-emploi. Les jeunes issus de l'enseignement secondaire et
du primaire figurent parmi les plus employés, mais faut-il là
encore préciser quels genres d'emplois ces derniers occupent ;
puisque l'objet de notre étude n'est pas de confiner la jeunesse dans
des emplois précaires, mal rémunérés avec des
perspectives de carrières quasi-inexistantes, mais de leur redonner
espoir à travers des stratégies d'insertion professionnelle
décentes.
En raison de tous ce qui précédent, nous pouvons
avancer ce qui suit : la situation de la jeunesse sur le marché du
travail ivoirien est précaire. Certes, comme nous l'avons constater les
mieux diplômés sont les plus inemployés, ce qui est en
contradiction avec la théorie du capital humain, mais cela ne saurait
nullement mettre en cause le fait que l'éducation et la formation sont
plus que nécessaires aujourd'hui, dans un monde et un marché du
travail gagnés par une concurrence farouche des entreprises dans le
recrutement d'une main d'oeuvre qualifiée, pragmatique et flexible.
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