Politique fiscale et Investissement: le cas de Madagascar( Télécharger le fichier original )par Vola Marielle RAJAONARISON Université Paul Cézanne - Aix Marseille 3 - DEA Finances Publiques et Fiscalité 2004 |
§ 2 - Les conséquences économiques et socialesInitialement politique, la crise de 2002 a pris une ampleur sans précédent. Les barrages anti-économiques, les dynamitages de ponts, les pénuries de toutes natures que nous avons évoqués ont littéralement asphyxié l'économie malgache. En mai 2002, le coût direct de la crise a été estimé à 600 millions de dollars par la Banque Mondiale33(*), estimation qui ne tient même pas encore compte des coûts de reconstruction pour les infrastructures détruites et sabotées. Le PNUD34(*) quant à lui, évalue dans son étude les pertes de recettes fiscales à 450 Md FMG.Touchant la quasi- totalité de la population et des activités, ces évènements de 2002 ont plongé le pays dans la énième nouvelle bataille de reconstruction économique. A - Les conséquences économiques de la criseD'une manière générale, la crise s'est manifestée par la pénurie des biens, la fermeture d'entreprises, les pertes d'emploi, la hausse générale des prix, le blocage de l'administration, la fermeture du Marché Interbancaire de Devises (MID), l'arrêt de l'émission de bons du trésor, le gel des avoirs extérieurs, la suspension des relations commerciales et financières avec le reste du monde et la diminution des revenus. Sur le plan économique, les conséquences peuvent se résumer par le ralentissement sinon la cessation des activités en général. En six mois de troubles, les impacts sont ressentis non seulement au niveau des trois secteurs d'activités mais encore et surtout sur l `ensemble du pays. 1. Les impacts sectoriels de la crise Aucun secteur n'a été épargné par la crise. Certes, de par la nature même des activités relevant de chaque secteur, l'intensité des pertes n'est pas la même car certains secteurs sont obligatoirement plus touchés que d'autres mais les effets sont ressentis aussi bien dans le secteur primaire que secondaire et tertiaire35(*).
Le secteur primaire touche l'agriculture, l'élevage, la pêche et la sylviculture36(*). Le secteur agricole aurait été le moins touché directement par la crise. Ceci s'explique sans doute par le fait que la crise a été postérieure à la saison culturale des paysans. Néanmoins, le monde rural a été touché au niveau de la commercialisation et de l'écoulement des produits. En effet, les troubles de la circulation causés par les ponts et routes dynamités, par les barrages anti-économiques combinés avec la pénurie de carburants permettent péniblement aux collecteurs de venir auprès des producteurs. Pour compenser la hausse des coûts de collecte, les collecteurs diminuent forcément les prix aux producteurs. Ces derniers n'ont pas vraiment le choix dans ce cas car soit ils imposaient leur prix au risque de ne pas écouler et de perdre ainsi leurs produits (fruits, légumes...), soit ils étaient obligés de vendre à des prix très bas voire à perte. L'impact indirect de la crise se ressent également surtout au niveau du pouvoir d'achat des paysans car parallèlement à la baisse des prix à la production37(*), les prix à la consommation des produits de première nécessité (huile alimentaire, savon, sucre, sel, pétrole lampant...) ont tendance à augmenter. Face à ces situations, le revenu des paysans se dégrade38(*) aggravant davantage la pauvreté rurale.
Le secteur secondaire est le secteur des industries qui regroupe entre autres l'agro-industrie, l'industrie du tabac, l'industrie de corps gras, l'industrie extractive, l'industrie textile, l'industrie métallique, l'industrie du papier etc. Une distinction peut être aussi faite entre Zones Franches Industrielles et secteur secondaire hors Zones Franches Industrielles. Toujours selon la même étude, de la Banque Mondiale citée ci-dessus, le secteur secondaire a été le plus (pm : environ -25% de baisse d'activité). Le secteur industriel en général a été profondément affecté mais il convient d'accorder une attention particulière au secteur de la zone franche. Les entreprises franches ont été plus sensibles à la crise du fait que c'est au cours du premier trimestre que se déroulent les livraisons de la saison de production et les négociations des commandes de l'année suivante. A ce problème de calendrier s'ajoutent les problèmes de libre circulation aussi bien en amont39(*) qu'en aval40(*). Face à ces situations, de nombreuses entreprises ont dû fermer leurs portes et certains opérateurs ont ainsi pris la décision de quitter Madagascar du fait de l'accumulation de difficultés irrésolues depuis la crise. Une perte significative d'emplois s'en est suivie : pour l'ensemble des industries manufacturières locales, environ 50.000 emplois ont été supprimés41(*). Concernant les entreprises franches, sur les 156 entreprises répertoriées, 50 ont été en chômage technique42(*). En terme d'emplois, sur les 100 000 emplois référencés, 40 000 auraient été supprimés, et 40 000 seraient en chômage technique conduisant à une baisse de la valeur ajoutée et des exportations de -30 %43(*). c) Le secteur tertiaire Le secteur tertiaire est celui des services. Il englobe le transport, les télécommunications, les banques, l'assurance, le commerce etc. Ce secteur n'a pas non plus été épargné et certaines activités ont même subi des pertes massives. Vu le contexte dans lequel a évolué la crise, le secteur transport a été le plus sévèrement touché. Concernant le transport routier, la hausse du prix des carburants44(*) à laquelle s'est greffée la destruction de ponts45(*) et la dégradation des réseaux routiers a réduit le trafic routier à 10%46(*) de sa capacité. Par ailleurs, l'annulation de vols intérieurs et internationaux a baissé l'activité aérienne et partant, a entraîné une baisse de 60%47(*) du nombre de touristes enregistrés jusqu'au mois de juillet 2002 par rapport à la même période de l'année précédente. Le transport et le tourisme ont été les plus fortement atteints dans le secteur tertiaire avec une diminution des chiffres d'affaires atteignant 82%48(*) dans le tourisme49(*). Néanmoins, une baisse généralisée du taux d'activité a été enregistrée dans les banques (40%50(*)) et dans les BTP et les télécommunications(75%51(*)). Concernant le secteur bancaire, les banques ont vu leurs portefeuilles se détériorer puisque les entreprises qui ont subi les débâcles financières de la crise n'ont pas pu honorer leurs échéances bancaires. La fermeture du MID ainsi que le gel des avoirs extérieurs ont ralenti les activités d'exportation de l'ensemble du secteur (-63%52(*)). S'il est démontré que la crise n'a épargné aucun secteur, il est tout aussi vrai qu'elle n'a épargné aucune province. 2. Les impacts de la crise au niveau de chaque province Sur le plan de l'organisation administrative, Madagascar est composée de six Provinces53(*) : la capitale, Antananarivo (Tananarive) sur les hauts plateaux du centre et les 5 autres autour : Fianarantsoa au Centre Sud, Toamasina ( Tamatave) à l'Est, Toliara (Tuléar) qui s'étend du Sud à la moitié Ouest, Mahajanga (Majunga) au Nord Ouest et Antsiranana (Diégo-Suarez) au Nord. Les données de l'étude du PSUE54(*) montrent que les entreprises de Toamasina ont subi les plus grosses pertes en terme de chiffres d'affaires, une baisse de près de 100%. Cette situation s'explique par le fait que le barrage anti-économique le plus virulent se situait à la frontière de cette province et de la capitale. Les produits ne pouvaient pas s'acheminer librement vers Antananarivo et l'absorption par les autres provinces ne représentait pas une grande partie de la production. Cette situation de disproportion entre l'offre et la demande y a entraîné une inflation galopante, réduisant considérablement le pouvoir d'achat de la population locale. Fianarantsoa n'échappe pas à la crise car toute transaction doit passer par la capitale du fait de l'enclavement de la ville. Elle a subi un recul des chiffres d'affaires de 72% et une baisse des taux d'activité de 75%. Concernant Antananarivo, elle a été confrontée à une hausse exorbitante des coûts de production que les ventes effectuées n'arrivèrent pas à combler, ce qui engendra une proportion relativement élevée des pertes (environ 17%). Tuléar était confronté aux mêmes problèmes et a subi, quant à lui, une perte de 37%. Cette hausse se répercuta inévitablement sur les prix du marché, engendrant des abus de la part de certains commerçants.
Les entreprises de la ville de Mahajanga et d'Antsiranana furent les moins atteintes car les barrages y étaient plus souples et les produits ont pu passer moyennant des « péages » négociables. Particulièrement pour Mahajanga, les chiffres d'affaires n'ont subi aucune baisse et la proportion des pertes était la moins sévère (4% contre 38% pour Toamasina ou 37% pour Toliara). B- Les conséquences sociales de la crise Au delà des impacts économiques, la crise a eu inévitablement des effets négatifs sur la vie quotidienne de la population en général et sur la capacité de cette dernière à satisfaire ses besoins les plus élémentaires en particulier. Les conséquences néfastes du chômage et de la baisse de revenu ont influencé les domaines de la vie sociale entre autre l'emploi, l'éducation et la santé ainsi que le bien être de la population. A cela s'ajoute un autre problème de société. 1. La crise et l'emploi Des pertes d'emploi considérables ont été enregistrées dans la plupart des régions de l'île. Par ordre d'importance, les provinces les plus frappées sont Toliara (-50%), Fianarantsoa (33%) et Antananarivo (30%). En milieu rural, la crise frappait surtout les petits producteurs qui, implantés loin des points d'écoulement notamment des marchés ou points de collecte, se voyaient victimes des problèmes de barrages et de circulation. Cette situation a considérablement diminué leur revenu et aggravait la pauvreté qui touche 85% des ruraux. Le problème d'emploi en milieu urbain ajoute à son paysage les nouveaux chômeurs victimes de la fermeture massive d'usines notamment d'entreprises franches. En situation de « chômage technique », ces personnes viennent augmenter le nombre des plus démunis avant la crise. 2. La crise, l'éducation et la santé Au niveau de l'éducation, les impacts se manifestent essentiellement par la hausse de l'abandon scolaire due aux difficultés financières engendrées par la baisse des activités pendant la période de crise. Un autre problème plus grave se passe en milieu rural. Puisque les parents d'élèves ne peuvent plus se permettre de payer le salaire des enseignants, ces derniers n'ont d'issue que de s'adonner à des activités plus rémunératrices pour vivre au détriment de leurs missions pédagogiques. L'on ne peut porter de jugement sur ces choix étant donné qu'eux même n'ont pas vraiment le choix. Seulement, les conséquences qui en résulteraient à long terme seraient davantage d'affaiblissement dans le niveau d'instruction rurale qui n'est déjà pas élevé55(*) et donc davantage moins de chance de sortir de la pauvreté pour les générations futures. Dans le domaine de la santé, l'impact de la crise fut une aggravation de la situation existante déjà peu reluisante et s'est traduit par la prévalence des maladies endémiques, la diminution alarmante de la fréquentation des centres de santé notamment par la population des régions éloignées de la province. 3. La crise et le bien être La conséquence la plus manifeste est sans doute la diminution croissante du pouvoir d'achat de la population. Pour illustration, la part de la population qui ne pouvait pas se procurer les produits alimentaires de base est passée de 32% avant la crise à environ 42% après. La satisfaction des besoins fondamentaux est devenue un luxe. Par ailleurs, faute d'entretien et de réhabilitation, la détérioration déjà avancée des infrastructures socioéconomiques a été aggravée par les actes de barbaries perpétrés ici et là. A tout cela s'ajoute l'insécurité surtout en milieu rural où le vol de boeufs a connu une recrudescence accentuée durant le premier semestre 2002. En conclusion de cette section préliminaire, il convient d'évoquer une autre conséquence déplorable de cette crise : l'incitation au tribalisme. Les questions ethniques toujours sensibles dans l'île servent souvent d'instrument de propagande à certains politiciens véreux pour défendre leurs intérêts personnels vides de patriotisme. Les gouverneurs des régions et les supposés notables des provinces se livraient à une chasse à l'homme jamais vue pour des questions de divergence d'opinions ou pire par simple différence d'origine56(*). Par ailleurs, cette crise a vu se perpétrer une série de bafouages sans précédent de la démocratie et des droits de l'homme57(*) sans parler des violations incessantes de la constitution. Cette incursion au contexte politique est nécessaire pour avoir des éléments d'explication sur la situation récente qui prévaut dans le pays. La conjoncture économique des deux dernières années, qui s'inscrit dans le registre de la relance économique, de la reconstruction (des infrastructures du pays notamment) et de la réduction de la pauvreté renvoie une image du paysage dans lequel évoluent les investissements privés à Madagascar. * 33 D.Randriamanampisoa et J.Hentschel, Madagascar en crise, Contribution à l'évaluation de l'impact de la crise économique, Banque mondiale, mai 2002. * 34 PNUD, Développements économiques récents et conséquences de la crise politique actuelle sur l'économie et les conditions de vie des malgaches, Document de travail n°4, mai 2002. * 35 Le secteur secondaire est le plus affecté avec une baisse de -25%, suivi par celui du tertiaire avec -12,5%. Quant à la production agricole, elle a enregistré un taux de croissance de -1,4%. Chiffres relevées dans la version officielle du DSRP, juillet 2003. * 36 La sylviculture est l'exploitation des forêts. * 37 Baisse substantielle d'environ 62,5 % pour l'agriculture et 43,2 % dans l'élevage. Source : Revue d'information économique, Ministère de l'Economie, des Finances et du Budget, n°11, décembre 2002. * 38 Baisse significative des revenus agricole et de l'élevage, respectivement de 37,6 % et 31,2 % par rapport à l'année 2001. Source : Revue d'information économique, Ministère de l'Economie, des Finances et du Budget, n°11, décembre 2002. * 39 Comme la pénurie de matières premières locales et importées. * 40Comme les problèmes d'écoulement des produits sur le marché intérieur, l'impossibilité d'exporter ainsi que la réduction de la demande intérieure. * 41 Chiffre tiré de l' Etude diagnostique sur l'intégration du commerce, Draft Madagascar, juin 2003. * 42 ibid. * 43 Emmanuel Fourmann, op.cit, janvier 2003. * 44 Hausse estimée à 500% * 45 23 ponts détruits au total. * 46 Chiffre donné par la Banque Mondiale, étude citée. * 47 idem * 48 idem * 49 La chute de l'activité a atteint - 90 % au moment fort de la crise. * 50 idem * 51 idem * 52 idem * 53 Voir Annexe 1 - Carte de Madagascar * 54 Plan de Sauvetage d'Urgence des Entreprises (PSUE), étude d'assistance effectuée à la demande des Syndicats des Industriels de Madagascar (SIM). * 55 En milieu rural, 64% des enfants les plus pauvres ne sont pas scolarisés. La majorité des pauvres n'arrive même pas à avoir accès à l'éducation publique gratuite. Source : INSTAT : Pauvreté à Madagascar : défi public et stratégie des ménages, juin 2000. * 56 Ce terme ne s'avère pas trop adéquat si on prend en compte la Constitution qui dispose en son article premier que « Le peuple Malgache constitue une Nation organisée en Etat souverain fondé sur un système de province autonome ». Mais ce problème existe à Madagascar, il faut le dire. * 57 Cf.H. Duclos, La déchirure : Madagascar 2002, Ed. Les Alizés, mars 2004. |
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