L'administration fiscale dispose du pouvoir de
contrôler les déclarations des contribuables dans les
délais fixés par la loi. Or, selon le C.D.P.F, le délai
peut atteindre dix ans 2.
Le délai de la prescription, extrêmement long,
n'accroît-il pas, pour le contribuable, les difficultés dans
l'administration de la preuve ?
A priori, le problème n'est qu'apparent, puisque le
contribuable est soumis à une obligation de conservation des documents
comptables et autres, dont le délai coïncide avec le délai
de la prescription. Ainsi, l'article 25 de la loi n°96-1 12 du 30
décembre 1996, relative au système comptable des entreprises,
dispose que : « Les états financiers relatifs à un exercice
comptable ainsi que les documents, les livres, les balances et les
pièces justificatives y afférentes sont conservés pendant
dix ans au moins >>.
L'article 62 § IV du C.I.R. dispose que : « Les
livres de commerce et autres documents comptables, et d'une façon
générale, tous documents dont la tenue et la production sont
prescrites en exécution du présent code doivent être
conservés pendant dix ans >>3.
Certes, l'obligation de conservation des documents doit en
principe permettre au contribuable d'avoir ses moyens de preuve.
Néanmoins, la longévité du délai (10 ans), n'est
pas de nature à faciliter la tâche du contribuable.
L'écoulement du temps peut favoriser un dépérissement des
preuves. Comme l'a précisé un commissaire de gouvernement, «
cette lenteur rompt l'égalité des armes entre l'administration et
le contribuable aux détriments de ce dernier >>4.
Par ailleurs, il convient de préciser que les
redressements sont envoyés au contribuable au dernier moment, à
la limite de la prescription. Le fisc multiplie ses relances en fin
d'année dans le but d'interrompre la prescription5. Une fois
la prescription interrompue, un nouveau délai commence à courir
pour une nouvelle période. Cela réduit les droits des
contribuables et donne un délai supplémentaire au
contrôleur pour qu'il passe au peigne fin le dossier du contribuable.
Il faut noter que la longévité des
délais est à sens unique. A la longévité des
délais octroyés à l'administration correspond une
brièveté des délais réservés au contribuable
pour répondre, généralement 30 jours 6.
La brièveté du délai ne permet pas au contribuable
de préparer ses moyens de défense dans de bonnes conditions.
Ainsi, la preuve s'avère souvent difficile à apporter, notamment
pour les contribuables qui n'ont pu se constituer à temps des preuves
préétablies du bienfondé de leur position.
La prorogation des délais de réponse
paraît nécessaire pour donner au contribuable le temps
nécessaire pour réunir ses éléments de preuve et
préparer une réplique solide. Cette prorogation est d'autant plus
urgente que l'administration demande au contribuable des justifications
concernant des opérations remontant à plusieurs années. Il
serait souhaitable que le législateur procède à une
unification des délais de réponse et des délais de
recours7 pour faciliter la tâche du contribuable.
Les difficultés que le contribuable rencontre sont loin
de le sécuriser et accroîent le déséquilibre entre
les deux parties en faveur du fisc, d'où la nécessité de
correctifs.
1 Conclusions sur l'arrêt du CE, 25 mars 1983, req. n.34,
D.F. 1984, n°14, comm. 694.
2 Article 19 et 20 du C.D.P.F.
3 Selon l'article 18 du C.T.V.A cet article est applicable aussi
en matière de T.V.A.
4 Fouquet Olivier, << Le temps fiscal >>, in
journées d'études du 23 novembre 1999 << Le temps
administratif >>, la Revue Administrative 2000, numéro
spécial, p.49.
5 L'interruption de la prescription est prévue par
l'article 27 du C.D.P.F.
6 Par exemple, les délais de réponse
octroyés au contribuable, lors du déroulement de la
vérification ainsi que lors de la notification des résultats de
la vérification, sont courts.
7 Un délai de soixante jours pourrait être
réservé.
Section II : l'insuffisance des correctifs aux
difficultés dans l'administration de la preuve
Les correctifs consistent dans le principe de la
liberté de la preuve (paragrapheI), et dans le
rôle du juge fiscal (paragrapheII). Mais ces correctifs
restent imparfaits et ne permettent pas de favoriser une confrontation
équitable entre le contribuable et le fisc.
Paragraphe I : Le principe de la liberté de la
preuve en droit fiscal
La solution pour les contribuables, rencontrant des
difficultés dans l'administration de la preuve, peut être
recherchée dans le principe de la liberté de la preuve. Ce
principe leur permet de recourir à tous les moyens de preuve
prévus par la loi. Le conseil d'Etat a consacré le principe de la
liberté de la preuve1. En droit fiscal tunisien, le principe
de la liberté de la preuve est reconnu expressément par la
jurisprudence2.
Quoique important le principe de la liberté de la
preuve en matière fiscale ne permet pas de rééquilibrer la
situation entre l'administration et le contribuable en matière
d'administration de la preuve pour deux raisons.
D'une part, certains moyens de preuve jouent parfois au
détriment du contribuable. Ainsi, en est-il de l'aveu. En effet, le
tribunal administratif a considéré que l'aveu du contribuable
constitue une présomption à son encontre3.
D'autre part, les parties sont parfois privées
d'apporter certains types de preuve parce que le législateur les a
expressément exclues. En effet, « le droit fiscal n'accepte pas
toujours les institutions du droit civil ou de droit commercial, telles
qu'elles sont réglées par la loi civile ou la loi commerciale. Il
y déroge parfois, en ce sens qu'il supprime, sur le plan fiscal
exclusivement, certains de leurs effets, ou éventuellement, les modifie
»4.
Ainsi, en droit fiscal tunisien, L'article 64 du code des
droits et des procédures fiscaux dispose que « les moyens de preuve
prévus par les numéros 3 et 5 de l'article 427 COC ne peuvent
être admis par le tribunal pour prouver les allégations des
parties relatives à l'affaire »5. Le droit fiscal
intervient pour exclure le témoignage et le serment.
L'exclusion du serment était déjà
prévue par le C.D.E.T.6 La généralisation par
le C.D.P.F. de l'interdiction du serment ne peut qu'être
approuvée7. En effet, « l'ordre public interdit que le
serment
"
1 C.E. plénière 7 novembre 1975, n°90786, D.F.
1976 n° 11, comm. 420, conclusions Mme LATOURNERIE.
2 -T.A. 18 octobre 1999, req. n°3 1503 (inédit ).
- T.A., 30 octobre 2000, req. n°32169 ( inédit ).
- T.A., 5 février 2001, req. n°32134 (
inédit).
3 -T.A. 1 mars 1979, req. n°48, recueil des arrêts du
T.A., Tunis, ENA, 1980.
- T.A. 8 juin 1992, req. N° 999 :
" .
4 J.E. KRINGS, << Fictions et présomptions en droit
fiscal >>, in Etudes publiées par Ch. PERELMAN et P. FORIERS :
<< Les présomptions et les fictions en droit >>, Bruxelles
1974, p. 163.
5 Les moyens de preuve de droit commun sont prévus par
l'article 427 du C.O.C. sont au nombre de cinq : l'aveu, l'écrit, la
preuve testimoniale, la présomption et le serment.
6 L'article 80 du C.D.E.T. disposait que : << Pour
l'établissement de la preuve de l'existence des dettes se rapportant
à une succession, le mode de preuve par serment n'est pas recevable
>>.
7 D'ailleurs, Le T.A. a dans son arrêt n°835 du
30/04/1987 défini les moyens de preuve en matière fiscale en
écartant notamment le serment. T.A. 30 avril 1987 , req. n°835,
recueil des arrêts du T.A. 1985-1986-1987, p.