En matière d'administration de la preuve, le
contribuable se trouve « piégé »5. Le
piège se referme lorsque le contribuable voulant administrer cette
preuve au moyen de sa comptabilité6 se voit opposer
l'irrégularité de celle- ci7.
Le contribuable taxé d'office suite à un rejet
de comptabilité se voit privé d'un moyen de preuve
pertinent8. Le scandale est d'autant plus sensible, écrivait
un commissaire de gouvernement, que le seul élément dont le
contribuable puisse faire état au soutien de son point de vue - sa
comptabilité- est a priori réputé tendancieux :
l'administration objecte, la plupart du temps, qu'elle n'a pas
enregistré la totalité des recettes9.
La situation du contribuable est précaire au niveau de
l'administration de la preuve. Quand il n'a pas la charge de la preuve car sa
comptabilité est régulière, il peut théoriquement
prouver. Or, quand il a la charge de la preuve suite à une taxation
d'office par rejet de comptabilité, il ne peut pas prouver. « Il
n'étais pas à un endroit revient à prouver
que j'étais autre
part. la preuve négative est donc
transformée en preuve positive.
Bien différente la situation lorsque le fait
négatif invoqué ne comporte pas d'antithèse. Exemple si je
prétends que je ne devais rien à cette personne parce que j'ai
jamais contracté avec elle, il m'est pratiquement impossible de prouver
ce que j'avance car ma prétention se fonde sur ce que l'on appelle une
proposition négative indéfinie.
M.-C. BERGERES, << Contrôle fiscal :
prérogatives du fisc et droits du contribuable >>, Masson-
Encyclopédie Delmas, Paris, 1988, p. 119.
Sur la preuve d'un fait négatif voir
1 M.-C. BERGERES, << Contrôle fiscal :
prérogatives du fisc et droits du contribuable >>, op.cit., p.
119.
2 M.-C. BERGERES, << Contrôle fiscal :
prérogatives du fisc et droits du contribuable >>, Masson-
Encyclopédie Delmas, Paris, 1988, p. 119.
3 - C.E. 19 décembre 1973, plén. n°87649,
D.F. 1974, n°11, comm. N°314, concl. Madame Latournerie ;
- C.E. 4 avril 1979, req. n°6673 et 8675, D.F., n°51
comm. 2513 ;
- C.E. 21 novembre 1980, req. n°13329 et 13330, D.F. 1981,
n°17 comm. 922 et 923.
4 Sur la question du déplacement de l'objet de la
preuve voir aussi : B. DELIGNIERES, << Comment un déplacement de
l'objet de la preuve a conduit à l'érosion des pouvoirs de
l'administration en matière de taxation d'office des revenus ( L.P.F.,
art. l. 69 ) >>, D.F. 1993, n°7, p.336-339.
5 Conclusions sur l'arrêt du CE, 25 mars 1983, req. n.34,
D.F. 1984, n°14, comm. 694.
6 En pratique, c'est essentiellement par sa comptabilité
que le contribuable va tenter de prouver l'exagération de
l'imposition.
7 J. BOULOUIS, << Procès du juge fiscal >>,
RSF 1957, n°4, p.645.
8 En France, l'exemple de la << Pizza Vittori >>,
est très illustratif. En effet, non seulement elle s'est mise dans le
cas de l'imposition d'office, mais elle ne peut pas faire la preuve à
partir de sa comptabilité puisque celle-ci est inutilisable. Il faut
donc qu'elle fasse des `raisonnements extra-comptables'. C'est toujours plus ou
moins sujet à caution. Et elle n'est arrivée, en l'espèce,
à convaincre le juge que sur cette affaire de vin et d'apéritifs
qui e exposé dans l'arrêt. Michel Rougevin-Baville, Renaud Denoix
de Saint Marc, Daniel Labetoulle, << Leçons de droit administratif
>>, Paris 1989, p.529.
9 Conclusions sur l'arrêt du CE, 25 mars 1983, req. n.34,
D.F. 1984, n°14, comm. 694.
existe en la matière un véritable paradoxe :
quand le contribuable n'a pas à prouver, il peut prouver ; en revanche,
quand il doit prouver, il ne dispose pas de preuve préconstituée
>>1.
En France, le juge fiscal applique les règles de
preuve avec une certaine souplesse. Il vient quelquefois au secours du
contribuable taxé d'office en allégeant le fardeau de la preuve
qui lui incombe2.
D'une part, la jurisprudence a fait preuve d'un certain
libéralisme. Elle considère que certains éléments
de la comptabilité peuvent être retenus malgré des
erreurs3. Cette jurisprudence se traduit donc par la fourniture
d'éléments de preuve préconstituées qui avaient
été écartées par la procédure de taxation
d'office4.
D'autre part, le conseil d'Etat, par un arrêt
très important du 19 décembre 1973, a décidé que le
contribuable « peut s'il n'est pas en mesure d'établir le montant
exact de ses revenus en s'appuyant sur une comptabilité
régulière et probante, soit critiquer la méthode
d'évaluation que l'administration a suivie en vue de démontrer
que cette méthode aboutit, au moins sur certains points et pour un
certain montant, à une exagération des bases d'imposition, soit
encore, aux mêmes fins, soumettre à l'appréciation du juge
une nouvelle méthode d'évaluation permettent de déterminer
les bases d'imposition avec une précision meilleure que celle qui
pouvait être atteinte par la méthode primitivement utilisée
par l'administration >>5.
Ainsi le conseil d'Etat intervient pour sauvegarder les
droits des contribuables qui ne peuvent s'appuyer sur une comptabilité
régulière et probante. Cette jurisprudence permet au contribuable
taxé d'office d'apporter la preuve qui lui incombe en présentant
une critique de la méthode de l'administration. La critique de la
méthode d'imposition dans son principe suffit à décharger
le contribuable sans qu'il ait à établir l'exagération de
l'imposition.
Ainsi, selon le conseil d'Etat, la preuve incombant au
contribuable est considérée, dans certaines hypothèses,
comme apportée même si le contribuable n'établit pas
l'exagération de l'imposition, dès lors que l'administration
utilise une méthode radicalement viciée ou excessivement
sommaire6.
Depuis l'arrêt du conseil d'Etat du 19 décembre
1973, les possibilités de contestation juridictionnelles des bases
d'imposition arrêtées d'office se sont sensiblement ouvertes sous
la condition du respect de certaines règles de preuve7.
Par ailleurs, il faut noter que « les chausse-trappes de
la charge de la preuve sont surtout préjudiciables aux contribuables
qui, sans être tous et toujours parfaitement honnêtes - il ne faut
pas rêver, sont néanmoins, pour la plupart d'entre eux, des
naïfs qui ne savent pas se mettre en situation de force devant le fisc.
Alors que d'autres, beaucoup plus avisés et souvent plus
malhonnêtes savent
1 M.-C. BERGERES, << Contrôle fiscal :
prérogatives du fisc et droits du contribuable >>, Masson-
Encyclopédie Delmas, Paris, 1988, p. 120.
M.-C. BERGERES, << Le principe des droits de la
défense en droit fiscal >>, thèse, Bordeaux, 1975, p.
325.
2 Voir sur la question Jean-Pierre MAUBLANC, <<
L'interprétation de la loi fiscale par le juge de l'impôt
>>, thèse, université de Bordeaux I, faculté de
droit des sciences sociales et politiques, 1984, p.278.
3 Maurice-Christian BERGERES, << quelques aspects du
fardeau de la preuve en droit fiscal >>, Gaz. Pal. 1983, n°1,
p.149.
4 M.-C. BERGERES, << Le principe des droits de la
défense en droit fiscal >>, thèse, Bordeaux, 1975, p.
326.
5 C.E. 19 décembre 1973, plén. n°87649, D.F.
1974, n°11, comm. N°314, concl. Madame Latournerie ; Lebon p.734 ;
Dupont 1974 p.90.
On lira avec profit la chronique de Philippe CROUZET,
<< Administration de la preuve >>, R.J.F. 1986, n°6,
p.347-350. Et DELIGNIERES (B.), << Preuve fiscale >>, (impositions
établies sur la base de données comptables, preuve comptable et
extra-comptable), juris-classeurs, Proc. Fisc., Fasc. 382, 1994.
6 La notion de méthode excessivement sommaire est apparue
pour la 1ère fois dans la décision du C.E. 21-10- 1981
puis sa décision du 22-12-1982.
7 Alain FRENKEL, in << La taxation d'office à
l'impôt sur le revenu >>, ( actes des journées
d'études organisées par la société française
de droit fiscal à Strasbourg 3 et 4 mai 1979), Annales de la
faculté de Droit et des Sciences Politiques et de l'institut de
recherches juridiques, politiques et sociales de Strasbourg, Tome XXXI,
L.G.D.J. 1980, p.95.
se mettre en bonne situation par la pratique des montages
juridiques, des structures apparentes et, surtout, des preuves
préalables autant que préfabriquées que tout contribuable
conscient et organisé peut se créer à soi-même,
nanti de bons conseils >>1.