CHAPITRE II LA PRECARITE DE LA SITUATION DU
CONTRIBUABLE DANS L'ADMINISTRATION DE LA PREUVE
« S'agissant de l'administration de la preuve, on
remarque une très grande inégalité entre les contribuables
et l'administration, dès lors qu'on demande, à ce dernier, une
véritable preuve pour renverser les présomptions de
l'administration >>1.
Le renversement de la charge de la preuve place le
contribuable dans une situation d'infériorité certaine. En effet,
ce renversement rend aléatoire le recours contentieux2, car
le contribuable rencontre des difficultés dans l'administration de la
preuve ( SECTION I ).
Or, pour être efficace, le droit à la preuve
doit concilier les exigences du rendement fiscal et de la justice fiscale,
c'est à dire permettre à l'administration de rectifier les
impositions des dissimulateurs, mais aussi au contribuable loyal
d'échapper à la surtaxation en pouvant se défendre
utilement3. D'où la nécessité de correctifs
pour effacer, ou du moins réduire, le déséquilibre entre
les deux parties ( SECTION II ).
Section I : les difficultés dans l'administration
de la preuve
Il convient de préciser que le fardeau de la preuve
s'allège sensiblement si les faits à prouver sont faciles
à établir dans leur réalité tangible. En revanche,
il devient insupportable si les réalités concrètes
d'établissement de la preuve sont difficiles.
Or, pour le contribuable taxé d'office la
nécessité d'apporter la preuve présente des
difficultés indéniables. Ainsi, le fardeau de la preuve se
révèle, à certains égards, lourd. Ces
difficultés tiennent à l'objet de la preuve ( Paragraphe
I ), au problème de la preuve par la comptabilité
(Paragraphe II ) et à la longévité des
délais de la prescription (Paragraphe III ).
Paragraphe I : L'objet de la preuve
Selon l'article 65 du C.D.P.F. : « Le contribuable
taxé d'office ne peut obtenir la décharge ou la réduction
de l'impôt porté à sa charge qu'en apportant la preuve de
la sincérité de ses déclarations, de ses ressources
réelles ou du caractère exagéré de son imposition
>>. Cet article appelle Plusieurs observations.
D'abord, il convient de préciser que le C.D.P.F. a
procédé, par rapport à la législation
antérieure4, à une extension regrettable de l'objet de
la preuve incombant au contribuable. Outre la charge de la preuve des
ressources réelles ou de l'exagération de l'imposition, le
C.D.P.F. ajoute une obligation de preuve de la sincérité des
déclarations.
Cette nouvelle obligation de preuve est, pour le moins qu'on
puisse dire, surprenante. Elle met en échec la présomption
d'exactitude de la déclaration. La déclaration, étant
présumée exacte, c'est en principe l'administration fiscale qui
doit prouver son inexactitude et non pas l'inverse. Ainsi, on ne peut donc que
regretter la récente modification législative, qui ruine la
présomption d'exactitude de la déclaration. La rédaction
l'article 65 n'est pas très heureuse, et il serait souhaitable si l'on
venait à en modifier le contenu.
1 H. AYADI, << Droit fiscal, Impôt sur le revenu des
personnes physiques et impôt sur les sociétés >>,
C.E.R.P., Tunis 1996, p. 33.
2 G.TIXIER, << Manuel de droit fiscal >>, L.G.D.J.
1986, p.193.
3 Daniel RICHER, << Les droits du contribuable dans le
contentieux fiscal >>, L.G.D.J. 1997, p. 329.
4 L'article 67 §5 du C.I.R. abrogé disposait que
<< Le contribuable taxé d'office en application de l'article 66 du
présent code, ne peut obtenir la décharge ou la réduction
de l'impôt qui lui a été assigné qu'en apportant la
preuve, soit de ses ressources réelles, soit de l 'exagé
ration de son imposition ».
Malheureusement, la chambre fiscale au sein du T.P.I. 1
exige la preuve de la sincérité des
déclarations2. Quoique juridiquement défendable, la
position de chambres fiscales se concilie mal avec la logique du système
déclaratif et son corollaire la présomption d'exactitude de la
déclaration.
En tout cas, et pour donner un sens à la
présomption d'exactitude de la déclaration, l'obligation mise
à la charge du contribuable de « prouver la sincérité
de ses déclarations >> devrait entendu être entendue dans le
sens d'une preuve de la régularité formelle de la
déclaration3. Le contribuable doit prouver le respect de
l'obligation déclarative, tel que la preuve du dépôt de la
déclaration dans le délai imparti4.
Ensuite, le contribuable taxé d'office voulant obtenir
une décharge ou une réduction de l'impôt est tenu, selon
l'article 65 du C.D.P.F., de prouver ses ressources réelles ou
l'exagération de son imposition5. Ainsi, la charge de la
preuve qui lui incombe est lourde. « Alors qu'on demande à
l'administration pour asseoir sa taxation de simples présomptions de
fait ou de droit, on exige du contribuable une véritable preuve pour
renverser ces présomptions >>6.
Bien plus, pratiquement, les contribuables sont tenus dans la
plupart des cas d'apporter la preuve d'un fait négatif 7 :
absence de ressources autres que celles-mentionnées dans la
déclaration, absence de mise à la disposition de revenus,
défaut de réalisation de certaines dépenses,
etc.1.
1 Ces chambres fiscales au sein des tribunaux de
1ère instance sont crées en l'année 2002 dans
le cadre de la mise en oeuvre des dispositions du code des droits et
procédures fiscaux qui a instauré le principe du double
degré de juridiction en matière fiscale. Les tribunaux de 1
ère instance sont compétents en tant que juge de fond
de 1 er degré et les cours d'appel en tant que juge de fond
de second degré. Les commissions spéciales de taxation d'office
sont supprimées par le C.D.P.F.
- L'article 54 du C.D.P.F. dispose que : << les tribunaux
de première instance sont compétents pour statuer, en premier
ressort, sur les recours portant oppositions contre les arrêtés de
taxation d'office... ».
- L'article 67 du C.D.P.F. dispose que : << les
jugements du tribunal de première instance rendus dans les recours
prévus par l'article 54 du présent code, sont susceptibles
d'appel devant la cour d'appel territorialement compétente... ».
2 jugement fiscal, chambre fiscale T.P.I. de Sfax, n°59 du
29 mai 2002 :
"
...
"
3 Sur la question voir :
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:
Site Internet de Abderraouf YAICH
www.profiscal.com sous la
rubrique colloque.
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4 Il s'agit de la charge de la preuve préliminaire
incombant au contribuable qu'on a déjà analysé dans la
1ère partie de ce mémoire. Voir supra, partie I,
Chapitre II, section II.
5 Le T.A. casse la décision du juge du fond qui modifie
l'arrêté de taxation d'office alors que le contribuable n'a pas
prouvé l'exagération de l'imposition ou ses ressources
réelles.
A titre d'exemple T.A., 28 janvier 2002, req. n°32214.
6 H.AYADI, << Un cas de confusion administration-
contentieux la taxation d'office en Tunisie », in Mélanges
R.Chapus.Droit Administratif. Montchrestien, Paris 1992, p.1 67.
7 En principe, la preuve d'un fait négatif est quasiment
impossible à rapporter.
Compte tenu de cette réalité, on recourt
dès lors à un palliatif : le fait négatif comporte une
antithèse immédiate et le problème de sa preuve ne
soulève pas d'autre difficulté que la preuve d'un fait positif.
Prouver que je
Ainsi, en droit fiscal, l'objet de la preuve ménage
certaines difficultés qui risquent de déboucher à terme
sur une paralysie de l'action contentieuse de
l'administré2.
En France, le conseil d'Etat vient au secours du
contribuable. En effet, une jurisprudence constante3 affirme la
possibilité pour le contribuable de s'abstenir d'apporter une preuve
purement négative en s'attachant à la contestation
quasi-exclusive des méthodes de reconstitution de la matière
imposable. Le conseil d'Etat intervient pour sauvegarder les droits des
contribuables en déplaçant l'objet de la preuve4.
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