Malgré son intérêt indiscutable, la
question de la preuve en droit fiscal n'a pas eu, en Tunisie, l'attention
qu'elle mérite. Le législateur ne semble pas l'avoir
considéré parmi ses grandes priorités. La preuve n'a pas
suscité l'intérêt du législateur alors même
qu'elle est au coeur des relations entre l'administration fiscale et le
contribuable. Alors qu'en droit civil, la question de la preuve a fait l'objet
d'une réglementation minutieuse dans le titre VIII du C.O.C.,
intitulé « de la preuve des obligations et de celle de la
libération >>, articles 420 à 512 relatifs à la
charge et à l'administration de la preuve, les textes fiscaux n'abordent
la question de la preuve qu'à titre accidentel.
-En droit belge, le Commissaire du Gouvernement, Alain ZENNER
développe et réalise d'importantes réformes qui ont pour
but l'instauration d'une nouvelle éthique et culture dans les rapports
entre le citoyen (le client comme il désire qu'il soit
appelé) et l'administration fiscale.
Alain ZENNER, << Pour une nouvelle culture fiscale,
simplification des procédures fiscales et lutte contre la grande fraude
fiscale >>, Plan d'action du commissaire du gouvernement Alain ZENNER,
mars 2001, p.5.
http://www.juristax.be/jsp/index.html
1 Th. AFSCHRIFT, << Traité de la preuve en droit
fiscal >>, Larcier 1998, p.5. Voir des extraits de ces articles à
l'annexe n°1 de ce mémoire.
2 Jacques ARRIGHI DE CASANOVA, << Champ d'application de
l'impôt et charge de la preuve, à propos de la preuve du lieu
d'utilisation du service pour les règles de territorialité de la
TVA >>, conclusions sur l'arrêt du C.E. du 29 juillet 1994,
n°1 11884, section, SA Prodes International, R.J.F. 10/94, p. 590.
3 Concernant les textes régissant la charge et
l'administration de la preuve en droit fiscal français, voir en annexe
n° 1 de ce mémoire.
4 CHRISTIAN PROU-GAILLARD, << Preuve comptable et
preuve extra-comptable >>, in << Le contrôle fiscal :
principes et pratiques >>, Thierry Lambert, Economica, paris, 1988,
p.177.
5 La commission AICARDI avait constaté que
l'équilibre entre les droits de l'administration et ceux des
contribuables n'était pas respecté en matière de preuve.
Un système déclaratif, en effet, implique que l'administration
apporte la preuve des insuffisances.
6 L'article L. 192 est relatif à la charge de la
preuve en cas de procédure de redressement contradictoire.
7 Bâtonnier A. VIALA, << Le nouveau régime de
la preuve dans les rapports entre le contribuable et l'administration fiscale,
Lois des 30 décembre 1986 et 9 juillet 1987 >>, Gaz. Pal. 1987,
2ème sem., p.808.
Les règles régissant la preuve sont
éparpillées dans les différents textes fiscaux et
s'articulent autour d'une attribution de la charge de la preuve au
contribuable. Les racines qui font peser sur le contribuable la charge de la
preuve sont des racines anciennes. Le décret organique sur
l'enregistrement du 19 avril 1912 consacre un renversement de la charge de la
preuve au détriment du contribuable en matière des droits
d'enregistrement1. L'article 24 du décret du 29 mars 1945,
relatif à l'impôt sur les traitements publics et privés,
indemnités et émoluments, salaires, pensions et rentes
viagères, énonce une charge de la preuve reposant sur le
contribuable2. Un autre exemple illustratif est l'article 59 du code
de la patente du 30 mars 1954 qui attribue la charge de la preuve au
contribuable taxé d'office. Cet article a été repris par
le code de l'impôt sur le revenu des personnes physiques et de
l'impôt sur les sociétés dans son article 67 et par le code
des droits et procédures fiscaux. Dans le code des droits et
procédures fiscaux entrée en vigueur le 1er janvier
2002, deux articles sont consacrés à la preuve, l'article 65
relatif à la charge de la preuve et l'article 64 relatif aux moyens de
preuve. L'objectif du C.D.P.F. est, aux dires des pouvoirs publics,
d'introduire plus d'équilibre entre les droits du contribuable et les
prérogatives de l'administration.
Face à l'évolution générale du
droit fiscal, qui « porte aujourd'hui la marque d'une recherche de
stabilisation, d'un équilibre accru entre l'existence du pouvoir fiscal
et les droits du contribuable »3 et face à
l'évolution du régime de la preuve en droit fiscal comparé
vers l'équilibre entre les parties en question, une interrogation
s'impose : le régime juridique de la preuve en droit fiscal tunisien
favorise-t-il la conciliation entre l'administration et le contribuable ?
L'amélioration du rapport administration-contribuable
ne passera-t-elle pas par une refonte du droit de la preuve ? Mais encore la
lutte contre la fraude fiscale ne nécessite-t-elle pas d'octroyer
à l'administration des prérogatives en matière de preuve
?
Devenue un instrument de réduction des
inégalités entre l'administration et les citoyens en droit
comparé4, la preuve constitue en droit fiscal tunisien le
domaine où se manifeste le déséquilibre entre les deux
parties en question. Les règles régissant actuellement la charge
et l'administration de la preuve, loin de favoriser la conciliation, consacrent
un régime plus protecteur des prérogatives de l'administration
que des droits des contribuables. Le déséquilibre au niveau de la
répartition de la charge de la preuve (PREMIERE PARTIE)
s'aggrave par le déséquilibre au niveau de
l'administration de la preuve (DEUXIEME PARTIE).
1 L'article 4 du décret organique sur l'enregistrement
du 19 avril 1912 dispose que : << sont suffisamment établis pour
la demande et la poursuite des droits d'enregistrement et amendes, sauf
preuve contraire :
1-La mutation d'un immeuble en propriété,
usufruit ou nue propriété, et la constitution ou la cession
d'enzel, soit par l'inscription du nouveau possesseur ou
débi-enzéliste au rôle des impôts directs
perçus au profit de l'Etat ou des communes et par des paiements faits
par lui d'après ce rôle, soit par le dépôt d'une
réquisition d'immatriculation faite en son nom personnel en
qualité de propriétaire ou de débi-enzéliste, soit
enfin par tous actes ou écrits révélant l'existence de la
mutation ou constatant son droit sur l'immeuble ;
2-La mutation de propriété du fonds de commerce
ou de clientèle par tous les actes et écrits en
révélant l'existence ou constatant le droit du nouveau
possesseur, ou par des paiements de contributions imposées aux
commerçants.
2 L'article 24 du décret du 29 mars 1945 dispose que :
<< La preuve de l'irrégularité ou de l'exagération
de l'amende devant dans tous les cas être apportée par
l'intéressé >>.
3 M.-C. ESCLSSAN, << A propos de la juridicisation du
droit fiscal, quelques éléments d'analyse >>, revue
française de finances publiques1993 n°41 p.74.
4 En droit administratif français << le
régime de la preuve a souvent été l'instrument d'une
réduction des inégalités entre l'administration et les
citoyens >>, voir Encyclopédie Dalloz, contentieux administratif
II, << Preuve >>, p.2. Il en est de même en droit fiscal
français.