B- Les présomptions légales
irréfragables et la suppression la preuve
Les présomptions légales irréfragables
sont dangereuses car elles ne laissent pas une chance à la preuve
contraire. « Particulièrement la source des fictions se trouve dans
les présomptions irréfragables, praesumptiones iuris et de iure,
car elles ne peuvent être écartées, elles formulent donc
des assertions dont la fausseté n'est pas démontrable par une
référence à la réalité
>>5.
- L'article 48 III dispose que : << En outre,
sont admis en déduction pour la détermination du
bénéfice imposable les revenus distribués au sens des
dispositions de l'alinéa `a' du paragraphe II de l'article 29, du
paragraphe 3 de l'article 30 à l'exclusion des jetons de présence
et de l'article 31 du présent code >>.
1 Salma ABID, << L'imposition des revenus de valeurs et
capitaux mobiliers >>, mémoire précité, p. 33. Elle
ajoute << A cause d'un curieux mimétisme, le législateur
tunisien a crée un paradoxe au sein du régime fiscal des revenus
de valeurs mobilières >>, p.32.
2 Voir annexe n°3 de ce mémoire.
3 Salma ABID, << L'imposition des revenus de valeurs et
capitaux mobiliers >>, mémoire précité, p. 37.
4 Il faut noter que la position de l'administration n'est pas
en parfaite harmonie avec le texte, d'autant plus qu'on peut constater que le
législateur tunisien a banni le terme << dividende >> dans
les articles et suivants. En effet, l'administration opère la
distinction entre distributions régulières de dividendes et
distributions déguisées de bénéfices sociaux quant
à la détermination du champ d'application de
l'exonération. En revanche, la loi fiscale ne contient pas une telle
distinction. L'article 38-10 et l'article 48-III du C.I.R. visent les
distributions de l'article 29-II-a sans aucune distinction entre distributions
régulières et distributions irrégulières.
Pour pallier l'absence d'harmonie qui existe entre le texte
législatif et son interprétation administrative, une refonte des
dispositions définissant le régime fiscal des revenus de valeurs
mobilières s'impose. Le législateur tunisien peut
éventuellement limiter l'exonération aux seules distributions
régulières de dividendes. Les autres formes
déguisées de distribution de bénéfices telles que
définies par les articles 29-II-a et 29-III du C.I.R., devraient en
principe, être écartées du bénéfice de
l'exonération.
Salma ABID, mémoire précité, p. 38.
5 Jerzy WROBLEWSKI, << Structure et fonctions des
présomptions juridiques >>, in Etudes publiées par Ch.
PERELMAN et P. FORIERS : << Les présomptions et les fictions en
droit >>, Bruxelles 1974, p. 67.
L'exemple de présomptions irréfragables, qui
mérite d'être avancé, est la présomption de
transfert de bénéfices à l'étranger prévue
par l'article 29-II-c du C.I.R. Cet article dispose que : « II. sont
à ce titre considérés comme revenus distribués :
c- les bénéfices réalisés en
Tunisie par les entreprises visées à l'alinéa 3 du
paragraphe I du présent article1 qui sont
présumés être distribués au profit des
associés non domiciliés en Tunisie ».
Ainsi, les bénéfices réalisés en
Tunisie, par les établissements tunisiens de sociétés
étrangères sont soumis à une double présomption. La
première présomption conduit à supposer que les
bénéfices réalisés par ces établissements
sont distribués en totalité. La deuxième
présomption conduit à supposer que les distributions de
bénéfices sont faites au profit de personnes ayant leur domicile
réel ou leur siège social hors de Tunisie. Ainsi les
bénéfices réalisés en Tunisie sont
présumés transférés à l'étranger. Ces
bénéfices ne sont pas exonérés que le
bénéficiaire soit personne physique (article 38-10 C.I.R. tel que
modifié par la loi de finances de l'année 1995 ) ou personne
morale (article 48 III). Du coup, la présomption de transfert de
bénéfices à l'étranger présente un
intérêt du moment où le législateur prévoit
l'imposition desdits bénéfices2.
Certes, la présomption de transfert de
bénéfices à l'étranger présente l'avantage
d'être un moyen particulièrement drastique pour lutter contre
l'évasion et la fraude fiscale. Néanmoins, le caractère
irréfragable de la dite présomption place le contribuable dans
une situation périlleuse3, puisqu'il est privé de la
possibilité de rapporter la preuve contraire. Il s'agit d'une solution
sévère, pénalisante, rigoureuse.
Le caractère dissuasif de cette présomption
aurait pu être amoindri, si elle admettait la preuve
contraire4. D'ailleurs, en droit fiscal français, cette
présomption est simple, ce qui est plus équitable. En effet,
l'article 115 quinquies 2 C.G.I. prévoit la possibilité d'une
révision de l'imposition dans les deux cas suivants :
· La société justifie que les
bénéfices ne sont pas totalement distribués.
· La société justifie que tout ou partie des
distributions a bénéficié à des personnes
domiciliées ou établies en France.
Les présomptions légales irréfragables
avantagent l'administration fiscale en matière de preuve et constituent
un danger qui menace les droits des contribuables par leur privation d'un droit
fondamental : le droit à la preuve. Refuser au contribuable la preuve
contraire d'une présomption équivaut à laisser entrer dans
les caisses du trésor une imposition indue, ce qui est contraire au
statut constitutionnel de l'impôt5.
Par ailleurs, il convient de préciser qu'en droit
fiscal l'opposition présomption simple-présomption
irréfragable est largement théorique. En principe, seules les
présomptions irréfragables ne souffriraient pas de la preuve
contraire. En revanche, les présomptions simples pourraient être
combattues. Or, en droit fiscal, le caractère irréfragable de la
présomption est certes une notion juridique mais il est surtout un
élément de fait6. « Une présomption simple
peut se transformer de fait
1 C'est-à-dire par les établissements tunisiens de
sociétés étrangères.
2 Il s'agit d'une solution contraire à celle
consacrée concernant les bénéfices présumés
distribués. Voir supra, p. 97.
3 L'article 29-II-c n'a pas prévue la possibilité
de combattre la présomption par la preuve contraire.
4 Salma ABID, mémoire précité, p. 45, 46.
5 F.P. DERUEL, thèse précitée.
6 Maurice-Christian BERGERES, « quelques aspects du
fardeau de la preuve en droit fiscal », Gaz.Pal. 1983, n° 1, p.1 50,
151. Cet auteur cite l'exemple de la présomption d'intention
spéculative qui est établie à l'article 35 A 1 du code
général des impôts. Cette présomption est
parfaitement révélatrice de ces distorsions. Le contribuable peut
parfaitement combattre la présomption qui est établie mais il
doit se battre sur un terrain subjectif et rétablir une intention
passée qui a été démentie par les
évènements postérieurs. Comme l'a souligné Daniel
RICHER, cet article a été abrogé par la loi n°82-1
126 du 29 décembre 1982.
en présomption irréfragable devant
l'impossibilité concrète de la combattre >>1. Il
va sans dire que cette donnée accroît le
déséquilibre entre l'administration fiscale et le contribuable en
matière de preuve. « La multiplication des présomptions qui
ne souffrent pratiquement pas la preuve contraire hypothèque le
succès d'une instance devant le juge de l'impôt. N'est-ce pas
très largement encourager un contentieux stérile et frustratoire
? >>2.
On ne saurait, enfin, passer sous silence un des exemples les
plus flagrants des présomptions légales, il s'agit de la
présomption de fraude instituée par l'article 8 du C.D.P.F. qui
dispose que les agents de l'administration « sont habilités, en cas
d'existence de présomption d'exercice d'une activité soumise
à l'impôt et non déclarée ou de manoeuvres de fraude
fiscale, à procéder, conformément aux dispositions du code
de procédure pénale, à des visites et perquisitions dans
les locaux soupçonnés en vue de constater les infractions
commises et de recueillir les éléments de preuve y
afférents.
Les agents de l'administration fiscale peuvent procéder
à la saisie de tous documents ou objets prouvant l'exercice d'une
activité soumise à l'impôt et non déclarée ou
présumant une infraction fiscale >>. Cette présomption
légale de fraude est contraire à la constitution qui consacre
dans son article 12 la présomption d'innocence3. Comme on l'a
déjà évoqué, abolir la présomption
d'innocence ou la présomption de non-revenu, pour instituer exactement
la présomption inverse... c'est vraiment aller trop loin4.
Au total, si les présomptions légales
constituent un moyen efficace de lutte contre la fraude, «
l'efficacité est même parfois excessive car la présomption
est nécessairement aveugle. Elle enferme dans ses rets tous les
contribuables qu'ils soient de bonne ou de mauvaise foi >>5.
Elle paralyse le plus souvent les contribuables et plus particulièrement
les contribuables de bonne foi6.
Les présomptions légales permettent à
l'administration fiscale de réclamer l'impôt en étant
dispensée de prouver qu'il est réellement dû. Du coup, le
contribuable court le risque de devoir payer l'impôt non parce que cet
impôt est dû, mais parce qu'il n'arrive pas à prouver qu'il
ne l'est pas7.
Vu leur gravité, « les présomptions
légales, exceptions à la règle générale qui
confère à l'Etat la charge de la preuve, doivent être
interprétées aussi respectivement que possible
>>8.
1 Dalbies BERANGERE, << La preuve en matière fiscale
>>, thèse précitée, p. .317. Voir dans le même
sens Joël MOLINIER, << La preuve en droit fiscal français
>>, revue juridique et politique 1985, 1-2, p.140, 141.
2 Maurice-Christian BERGERES, << quelques aspects du
fardeau de la preuve en droit fiscal >>, article précité,
p. 154.
3 Cet article dispose que : << Tout prévenu est
présumé innocent jusqu'à l'établissement de sa
culpabilité à la suite d'une procédure lui offrant les
garanties indispensables à sa défense >>.
4 Jean Foyer, Rapport final de synthèse in << La
taxation d'office à l'impôt sur le revenu >>, op. Cit.,
p.160.
5 Maurice-Christian BERGERES, << quelques aspects du
fardeau de la preuve en droit fiscal >>, article précité,
p.150, 151.
6 Maurice-Christian BERGERES, ibid, p. 153.
7 Marc BALTUS: << Morale fiscale et renversement du fardeau
de la preuve >>, article précité, p. 130.
8 F.P. DERUEL, << La preuve en matière fiscale
>>, thèse précitée, p. 368.
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