L'acte juridique de taxation d'office,
concrétisé par un arrêté, réunit les
caractéristiques de l'acte administratif unilatéral
1, dont la plus essentielle le privilège du
préalable2. En vertu de ce privilège l'administration,
à la différence des particuliers, n'est pas tenue de s'adresser
au juge pour faire valoir les droits qu'elle prétend avoir sur les
contribuables. Elle a le pouvoir de prendre des décisions qui sont
obligatoires pour ces derniers et c'est à eux qu'il appartient de saisir
le juge, s'ils contestent les prétentions de
l'administration3.
Le privilège du préalable a
nécessairement comme corollaire que l'administré doit intenter
une action pour contester l'acte administratif. C'est ce qui explique que
l'administration n'apparaisse que très exceptionnellement comme
demanderesse sur le plan de la procédure et que ce soit
l'administré qui supporte presque toujours l'initiative de celle-ci.
Le fondement de l'effet obligatoire de l'acte administratif
réside dans la présomption de légalité qui y est
attachée4. Cette présomption de légalité
justifie l'obéissance des particuliers à tout acte administratif.
La conséquence la plus remarquable de l'effet obligatoire est de «
fixer d'une manière quasi-intangible les positions de demandeur et de
défendeur à l'instance >>5. Le contribuable,
pour combattre la présomption d'exactitude de l'arrêté de
taxation d'office, est dans l'obligation de prendre l'initiative du
procès. En revanche, l'administration pourra se contenter de combattre
les prétentions du requérant. Ainsi, « l'arrêté
de taxation d'office transforme le contribuable en demandeur, l'administration
occupe la place confortable de défendeur >>6. La
taxation d'office constitue alors un bel artifice qui permet à
l'administration de se débarrasser de « sa position fondamentale de
demandeur >>7.
L'inégalité des parties au niveau de
l'attribution de la charge de la preuve est flagrante puisque le demandeur
à l'action8, donc le demandeur à la preuve,
apparaît être systématiquement le contribuable. « La
preuve par le demandeur apparaît sans doute comme la continuation du
privilège de la décision exécutoire9, elle en
est aussi le renfort et aboutit à reconnaître à
l'administration un privilège supplémentaire
>>10.
1 Néji BACCOUCHE, << Pour une réforme du
contentieux fiscal tunisien >>, op. cit., p.24.
Sur la question voir Georges DUPUIS, << Définition
de l'acte unilatéral >>, in recueil d'études en hommage
à Charles EISENMANN, 19, p.205 ; << Notion d'acte administratif
>>, Juris-classeur administratif, Fasc. 106-10.
2 C'est ce que les auteurs appellent le privilège du
préalable ou le privilège d'action d'office ou encore le
privilège de la décision exécutoire >>. M.-C.
BERGERES, << Le principe des droits de la défense en droit fiscal
>>, thèse, Bordeaux, 1975, p. 61, 62.
3 Si l'administration ne disposait pas du privilège du
préalable, elle devait comme tout créancier saisir le juge du
différend qui l'oppose au contribuable, et agirait alors en position de
demanderesse.
4 Voir sur la question : -François BELLANGER, << La
présomption de sincérité des actes administratifs
>>, R.D.P.1968, p. 583.
-Encyclopédie Dalloz, contentieux administratif II,
<< Preuve >>, p.3.
Le privilège de la décision exécutoire
emporte naturellement le principe de `la présomption de
conformité au droit' des actes administratifs.
5 M.-C. BERGERES, ibid., p. 62.
6 H. AYADI, op. Cit., p. 215.
7 F.-P DERUEL, << Quelques aspects du problème de
la preuve en matière fiscale >>, D.F., 1962, n°37, p. 44.
8 << L'action est le pouvoir reconnu aux particuliers de
s'adresser à la justice pour obtenir le respect de leurs droits
>>, J. Vincent et Serge Guinchard, << Procédure civile
>>, 20ème édition, précis DALLOZ n°
18.
9 Sur la question de la décision exécutoire, on
consultera avec profit Gilles DARCY, << La décision
exécutoire : Esquisse méthodologique >>, A.J.D.A. 20
octobre 1994, p.663-678.
10 Encyclopédie Dalloz, contentieux administratif II,
<< Preuve >>, p.3.
<< Le système de la décision
exécutoire rend en fait parfois très difficile l'administration
de la preuve >> Encyclopédie Dalloz, contentieux administratif II,
<< Preuve >>, p.3.
A priori, la qualité de demandeur, que le contribuable
est le plus souvent contraint d'adopter en justice est déterminante dans
l'attribution de la charge de la preuve. Toutefois, cette analyse est largement
formelle car elle ignore la notion de demandeur effectif à la preuve. En
effet, l'effet obligatoire de l'acte administratif permet seulement d'expliquer
pourquoi le demandeur à l'instance est le contribuable, mais il
n'apporte que des réponses très partielles aux règles
régissant le régime de la charge effective de la
preuve1.