L'article 65 du C.D.P.F. dispose que : « le contribuable
taxé d'office ne peut obtenir la décharge ou la réduction
de l'impôt porté à sa charge qu'en apportant la preuve de
la sincérité de ses déclarations, de ses ressources
réelles ou du caractère exagéré de son imposition
>>. Cet article laisse croire que devant le juge fiscal la charge de la
preuve incombe toujours au contribuable taxé d'office. En effet, il n'y
a aucune allusion législative à une quelconque obligation de
preuve reposant sur l'administration5. Néanmoins, plusieurs
raisons militent en faveur d'une reconnaissance d'une charge de la preuve
incombant à l'administration fiscale devant le juge (2-1),
ce d'autant que la jurisprudence tunisienne consacre une telle
solution (2-2).
2-1- Les justifications d'une charge de la preuve
incombant à l'administration devant le juge
La première raison est que l'attribution de la charge
de la preuve à l'administration fiscale, lors du contrôle, doit se
poursuivre lors de l'exercice d'un recours contentieux. En effet, « il
existe incontestablement une continuité dans la charge de la preuve,
continuité qui anime le contentieux fiscal >>6.
Celle-ci repose sur l'extension de la présomption d'exactitude de la
déclaration au niveau juridictionnel7.
L'arrêté de taxation d'office, établi en
cas de désaccord sur les résultats de la vérification
fiscale, ne doit pas créer une présomption d'inexactitude de la
déclaration au profit de l'administration. La déclaration du
contribuable est présumée exacte, c'est à l'administration
qui la conteste d'en prouver son inexactitude aussi bien lors du contrôle
que devant le juge. L'administration se trouve du point de
1 Voir les articles 19 et 20 du C.D.P.F.
Selon l'article 19, le délai de la prescription est de 4
ans pour les impôts déclarés.
Selon l'article 20 << le délai prévu par
l'article 19 est porté à dix ans pour les impôts non
déclarés... >>.
2 Voir à titre d'exemple les articles 89 et 91 du
C.D.P.F.
3 L'avis du conseil économique et social concernant le
projet de loi relatif à la promulgation du C.D.P.F. (1998 Inédit
), p.3. Avis précité, voir supra, p.24.
4 Christophe DE LA MARDIERE, << La déclaration
fiscale >>, R.F.F.P., 2000, n°71, p.144.
5 Ceci bien entendu mis à part l'article 108 du C.D.P.F.
attribuant la charge de la preuve à l'administration fiscale dans le
contentieux fiscal pénal et dont a précisé la
portée, voir supra, chapitre II.
6 M.-C. BERGERES, << Le principe des droits de la
défense en droit fiscal >>, thèse, Bordeaux, 1975, p.61.
7 Le législateur aurait dû étendre la
présomption d'exactitude de la déclaration au stade
juridictionnel, en faisant supporter à l'administration fiscale la
charge de la preuve, devant le juge, de l'inexactitude des déclarations.
Et ce par analogie à son attitude en matière de conciliation. En
effet, le législateur a introduit dans le C.D.P.F. (article 60) la
conciliation obligatoire dans le stade juridictionnel. Il a supprimé la
phase de conciliation qui était consacrée au niveau
pré-juridictionnel. (la commission de conciliation).
vue du régime de la preuve, dans la même
situation que s'il n'y avait pas eu d'arrêté de taxation
d'office1.
Ainsi, la preuve juridictionnelle devrait être
commandée par la présomption d'exactitude de la
déclaration. Devant le juge, la charge de la preuve devrait être
répartie en fonction de la présomption d'exactitude de la
déclaration. Ne perdrait le bénéfice de cette
présomption que le contribuable taxé d'office pour défaut
de déclaration. En revanche, le contribuable taxé d'office pour
simple désaccord avec l'administration fiscale sur les résultats
de la vérification, devrait continuer à bénéficier
de cette présomption.
Ensuite, le statut constitutionnel de l'impôt, qui a
comme corollaire pas d'imposition légale sans matière imposable,
sans fait générateur, rend indispensable la reconnaissance d'une
charge de la preuve incombant à l'administration fiscale. En effet, <
admettre que l'administration puisse taxer un contribuable sans être en
mesure d'établir avec certitude et objectivité l'existence et le
montant de la matière imposable serait admettre le risque d'une
imposition sans fait générateur, c'est-à-dire contraire
à la constitution et à la loi : entre le risque d'une imposition
illégale et celui d'un impôt non perçu, il faut courir le
second parce que personne n'a le droit de courir l'autre
>>2.
Par ailleurs, l'attribution de la charge de la preuve
à l'administration fiscale devant le juge aurait l'avantage de faire
respecter la règle fondamentale selon laquelle < le doute
bénéficie au contribuable et joue contre le fisc
>>3. Or, en attribuant la charge de la preuve au contribuable
< on aboutit pratiquement au renversement de la formule de Modestin -in
dubio contra fiscum -, puisqu'en cas de doute, le juge fiscal doit
débouter le contribuable à qui ce doute est imputable4
parce qu'il ne rapporte point la preuve requise par la législation
>>5.
D'un autre côté, l'article 554 du C.O.C. dispose
que : < Celui qui a les avantages a les charges et les risques >>. Par
application de ce principe, l'administration doit supporter la charge de la
preuve, puisqu'elle dispose des prérogatives de la puissance publique.
(Celles-ci sont des avantages).
Plus loin encore, les articles qui confèrent à
l'administration des moyens de preuve6 supposent d'une
manière implicite que celle-ci ait la charge de la preuve. En effet,
< on ne voit pas pourquoi un texte légal préciserait les modes
de preuve que doit utiliser une partie, si cette partie n'avait pas la charge
de celle-ci >>7.
A tout cela s'ajoute le fait que l'administration fiscale soit
le véritable demandeur8. Or, il y a un principe selon lequel
< la charge de la preuve incombe au demandeur >>1.
1 Cette solution est consacrée en droit fiscal
comparé :
- En droit français, Robert HERTZOG a
précisé qu' << en cas de désaccord sur les chiffres
retenus par l'administration, c'est à celle-ci de faire la preuve de
leur exactitude devant les organismes où sera porté ce
différent, commission administrative ou juridiction >>. R.
HERTZOG, << La réforme du contentieux fiscal : l'assouplissement
et la simplification des procédures contentieuses >>, article
précité, p. 241, 242.
- En droit belge, la cour de cassation a décidé
que : << l'envoi de l'avis rectificatif ne crée aucune
présomption d'inexactitude de la déclaration au profit du fisc.
Si l'administration établit l'imposition sur la base du chiffre
supérieur notifié au contribuable, malgré le
désaccord de celui ci, elle devra prouver le bien-fondé de la
cotisation en cas de réclamation >>. Cass. 20 mai 1958 ; C.L.
LOUVEAUX, << La preuve en matière d'impôts directs >>,
Bruylant, Bruxelles 1970, p. 55.
2 F.P. DERUEL, << Quelques aspects du problème de
la preuve en matière fiscale >>, D.F. 1962, n°37, p. 44.
3 D'ailleurs, le T.A. a consacré cette règle en
matière d'interprétation des textes fiscaux : T.A. 11
mars
1982, req. n°145 : << Tout texte fiscal ambigu ou
imprécis doit être interprété en faveur du
contribuable ».
4 C'est le risque de la preuve inhérent à la
charge de la preuve.
5 Jean WILMART, << Réflexions sur la
décomposition et le déplacement de la preuve en droit fiscal
>>, mélanges en hommage à Léon Graulich,
Liège 1957, p.1 85.
6 A titre d'exemple, l'article 6, 38 du C.D.P.F. Voir infra,
partie II, chapitre I, section II.
7 Thierry AFSCHRIFT, << Traité de la preuve en
droit fiscal >>, Bruxelles, Larcier 1998, p.69.
8 Voir infra, partie I, chapitre II, section I, paragraphe 2.
D'un autre côté, le respect de la
présomption d'innocence exige que l'administration supporte la charge de
la preuve de la < culpabilité >> du contribuable. < En
quelque sorte, quand c'est le contribuable qui supporte la charge de la preuve,
il ressemble à l'inculpé innocent, présumé
coupable, pour péché originel collectif de fraude sans la
grâce de l'intime conviction, et encore moins de la grâce
elle-même >>2.
Par ailleurs, < les faits qui doivent être
prouvés sont seulement ceux qui sont allégués >>.
< Le contribuable n'a aucune raison d'alléguer qu'il a perçu
des revenus >> 3, il a d'ailleurs
intérêt à en nier l'existence. Or, selon le principe <
Ei incumbit probatio qui dicit non qui negat : la preuve incombe à celui
qui allègue, non à celui qui nie >>4. Dès
le moment où c'est l'administration qui entend procéder à
une imposition, il lui revient d'alléguer que des revenus ont
été perçus. Si la preuve incombait au contribuable, il
devrait alléguer qu'il n'a pas perçu de revenu ou du moins qu'il
n'en a pas perçu audelà d'un certain montant5. Or, il
s'agit là de la preuve d'un fait négatif, difficile voire
impossible.