Normalement, le recours à la procédure de
taxation d'office devrait entraîner des conséquences
spécifiques selon que le contribuable a fait ou non sa
déclaration1. Le contribuable ayant déposé sa
déclaration, celle-ci étant présumée
sincère, la charge de la preuve contraire doit incomber à
l'administration. En revanche, s'il a omis de déposer sa
déclaration, il supportera la charge de la preuve à titre de
sanction. Plusieurs raisons militent en faveur d'une telle différence de
traitement.
D'abord, il est choquant qu'un contribuable qui n'a pas fait
de déclaration soit traité de la même manière que
celui qui a produit sa déclaration. D'ailleurs, comme l'a affirmé
Aristote « l'égalité est plus parfaite si l'on traite
inégalement les choses inégales >>.
Ensuite, le respect volontaire et spontané de la loi
fiscale implique une nette distinction entre les contribuables qui respectent
la loi fiscale et ceux qui ne la respectent pas2.
En plus, l'adéquation entre le manquement et la
sanction exige une telle distinction. Selon l'heureuse expression de Maurice
COZIAN : « la meilleure fraude, c'est encore la fraude par
abstention3. L'individu qui envoie une déclaration biscornue,
cela saute aux yeux. Il en va tout différemment avec l'individu qui, au
contraire, reste dans l'ombre, qui ne bouge pas une année, deux
années, trois années ; de temps en temps, évidemment, il y
a un réveil, mais je crois que la fraude la plus difficile à
déceler reste l'abstention >>4. Ainsi, « le
défaut de déclaration constitue une faute plus grave que le fait
de tromper le fisc dans sa déclaration ! Dans ce dernier cas, en effet,
la bonne foi reste présumée >>5 et c'est
à l'administration fiscale de prouver l'inexactitude de la
déclaration.
1 Habib AYADI, << Droit fiscal >>, 1989, p. 488.
2 << Analyse comparative des administrations fiscales,
rapport de l'inspection générale des finances, in les notes
bleues de Bercy, n°167, 1999, p.2. >> ; Néji Baccouche,
<< L'environnement fiscal de l'entreprise à l'heure de
l'internationalisation de l'économie : Le cas tunisien >>, in
journées de l'entreprise 9 et 10 novembre 2001, Port El Kantaoui,
édition préliminaire p.96 et s.
3 D'ailleurs, le droit fiscal belge limite le recours à
la taxation d'office aux cas d'abstention. Selon l'article 351
du code belge des impôts sur les revenus de 1992 : <<
l'administration peut procéder à la taxation
d'office...dans les cas oh le contribuable s 'est abstenu
:
- Soit de remettre une déclaration dans les délais
prévus par les articles 307 à 311 ou par les dispositions prises
en exécution de l'article 312 ;
- Soit d'éliminer, dans le délai consenti à
cette fin, le ou les vices de forme dont serait entachée sa
déclaration ;
- Soit de communiquer les livres, documents ou registres
visés à l'article 315
- Soit de fournir dans le délai les renseignements qui
lui ont été demandés en vertu de l'article 316 ;
- Soit de répondre dans le délai fixé
à l'article 346 à l'avis dont il y est question.>>.
Voir en annexe n°1 de ce mémoire, extraits du code
belge des impôts sur les revenus ( C.I.R. 92 ).
4 M. COZIAN, discussion in << La taxation d'office
à l'impôt sur le revenu >>, op. cit, p.75.
5 Vincent NOUZILLE, << Comment éviter les nouveaux
pièges du fisc ? >>, L'express du 17/02/2000,
www.lexpress.fr/info/economie/dossier/fisc/dossier.asp.
Par ailleurs, l'esprit de la législation fiscale
tunisienne conforte la distinction préconisée. A plusieurs
reprises, le législateur consacre un traitement différentiel
selon que le contribuable a ou non déposé sa déclaration.
Un régime plus rigoureux est réservé au contribuable qui
n'a pas fait de déclaration. Ainsi en est-il concernant les
délais de la prescription1, les sanctions
fiscales2, etc. Faut-il aussi rappeler l'avis du conseil
économique et social qui a insisté sur la nécessité
« d'encourager les contribuables transparents et qui déposent leurs
déclarations dans les délais >>3.
Enfin, la raison principale -d'une distinction, au niveau de
la charge de la preuve, entre le contribuable qui a respecté ses
obligations déclaratives et le contribuable défaillant- demeure
le respect de la présomption d'exactitude de la déclaration. Une
telle présomption devrait commander l'attribution de la charge de la
preuve. La logique du système déclaratif, qui repose sur la
confiance, impose une telle solution. A cet égard, « il n'est pas
sain d'entretenir une suspicion constante envers le citoyen, ni surtout de lui
faire entendre qu'il serait digne de confiance alors que les règles de
l'impôt démontrent le contraire >>4.