Le législateur tunisien, gardant le silence concernant
la charge de la preuve incombant à l'administration fiscale, a en plus
doté celle-ci de mécanismes lui permettant de renverser la charge
de la preuve au détriment du contribuable1. « C'est
là qu'apparaît le machiavélisme de la procédure
fiscale >>2 . Il s'agit du piège de la taxation
d'office (SECTION I) et du jeu des présomptions
légales (SECTION II).
« Introduire la taxation d'office, c'est prendre le
risque de présenter une institution particulièrement antipathique
du droit fiscal, dont la seule appellation suscite immédiatement des
évocations fort désagréables à la conscience des
contribuables que nous sommes >>3. « Cette expression
même `taxation d'office', cette locution d'office traduit bien la
passivité de l'intéressé >>4.
1 La volonté législative de renverser la charge de
la preuve au détriment du contribuable apparaît aussi dans le
contentieux fiscal pénal :
Il faut noter que la force probante particulière qui
s'attache à ces procès-verbaux << porte atteinte à
la présomption d'innocence en opérant un renversement de la
charge de la preuve au détriment du prévenu >> G. Klein,
<< La répression de la fraude fiscale : Etude sur le
particularisme du droit pénal des impôts >>, thèse,
Nancy II, 1975, p.415.
Ces deux articles entraînent un renversement de la
charge de la preuve qui incombe en fait au contribuable, alors
même que l'article 108 du C.D.P.F attribue la charge de la preuve
à l'administration fiscale. Il s'agit d'une subtile dialectique du
législateur qui accorde d'un côté et qui retire de
l'autre.
- Voir sur la question de la force probante attachée aux
procès-verbaux des agents des impôts :
G. KLEIN, << La répression de la fraude fiscale :
Etude sur le particularisme du droit pénal des impôts >>,
thèse, Nancy II, 1975, p.407 à 418 ; Th. AFSCHRIFT, op. cit,
p.267-285 et p.407- 418 ; Y. MESTAOUI, << Le contentieux fiscal >>,
juin 1998, p1 14, 118, 120, 162.
. 1990 19/18/17 - " "
2 Conclusions sur l'arrêt du CE, 25 mars 1983, req. n.34,
D.F. 1984, n°14, comm. 694.
3 Paul AMSELEK, rapport général introductif, in
<< La taxation d'office à l'impôt sur le revenu >>,
op. cit, p.19.
4 Ibid., p. 22.
- l'imposition est établie par l'administration en
marge de toute procédure contradictoire2 ;
- le contribuable perd le bénéfice de la
présomption d'exactitude attachée à sa
déclaration. Il lui appartient, s'il veut contester les bases
d'imposition, de faire la preuve de son exagération devant le juge de
l'impôt >>3.
Ainsi, en matière de taxation d'office, il y a
renversement de la charge de la preuve. << La preuve qui lors du
contrôle, incombait à l'administration4 pèse
désormais sur le contribuable >>5. Il s'agit bien, ici,
d'une charge de la preuve devant le juge6.
La doctrine est unanime à présenter la taxation
d'office comme une institution du droit fiscal jouant le rôle de <<
sanction >> du non-respect par le contribuable de l'obligation de
coopérer avec l'administration à laquelle il est tenu dans le
cadre du système de la déclaration
contrôlée7.
Une procédure aussi << antipathique >>, vu
son caractère unilatéral, ses conséquences rigoureuses et
son rôle de << sanction >>, devrait normalement être
exceptionnelle. Or, en droit tunisien, la taxation d'office, par la
généralité de ses cas d'ouverture, entraîne la
généralisation du renversement de la charge de la preuve et la
mise en échec injustifiable de la présomption d'exactitude de la
déclaration (paragraphe I). Par ailleurs, la taxation
d'office, par son caractère d'acte
administratif8exclusivement unilatéral, place automatiquement
le contribuable qui la conteste en position de demandeur ce qui entraîne
la méconnaissance de la notion de demandeur effectif (
paragraphe II ).
1 La taxation d'office est régie par les articles 47
à 52 du C.D.P.F..
2 Cela signifie que la taxation d'office << exclut
toute obligation pour l'administration de dialoguer avec le contribuable, de
prendre son avis >>. P. AMSELEK, ibid., p.21.
Le commissaire du gouvernement MANDELKERN, à partir
d'une analyse de la notion d'<< action d'office >>, a montré
que le terme taxation d'office vise la situation dans laquelle un droit
d'action unilatérale, exclusif de la procédure contradictoire,
est ouvert à l 'administration.
C.E. 23 janvier 1974, req. 84802, concl. MANDELKERN, D.F.
1974, n°16, comm. 478.
3 Habib AYADI, << Droit fiscal >>, C.E.R.P.,
Tunis, 1989, p.488.
4 << L'on sait que, puisque la déclaration du
contribuable bénéficie d'une présomption d'exactitude, il
appartient à l'administration de prouver son inexactitude >>. H.
AYADI, << Droit fiscal, Taxe sur la Valeur Ajoutée, Droits de
consommation et contentieux fiscal >>, op. cit, p.243. Voir sur ce point,
supra, Partie I, Chap.I., Sect.I et II.
5 H.AYADI, ibid., p.243
6 Aux termes de l'article 65 du C.D.P.F. : << le
contribuable taxé d'office ne peut obtenir la décharge ou la
réduction de l'impôt porté à sa charge qu'en
apportant la preuve de la sincérité de ses déclarations,
de ses ressources réelles ou du caractère exagéré
de son imposition >>. Cet article 65 règle la question de la
charge de la preuve au niveau juridictionnel. En effet, il figure dans le titre
II du C.D.P.F. intitulé << droits de recours juridictionnels en
matière fiscale >>, au sein du chapitre 1er
consacré au << contentieux de l'assiette de l'impôt
>>.
7 Voir dans ce sens Paul AMSELEK, rapport
général introductif, in << La taxation d'office à
l'impôt sur le revenu >>, op. cit, p.32. Voir dans le Même
sens, M.-C. BERGERES, << Le principe des droits de la défense en
droit fiscal >>, thèse précitée, p. 51.
8 La taxation d'office est prise sous la forme d'un
arrêté ministériel. La taxation d'office est établie
au moyen d'un arrêté motivé par le ministre des finances ou
par la personne déléguée par ledit ministre à cet
effet.
Que la taxation d'office, en droit tunisien, entraîne
un renversement de la charge de la preuve et une perte du
bénéfice de la présomption d'exactitude de la
déclaration, cela n'a en soi rien d'étonnant et rien d'original.
D'ailleurs, la solution est retenue dans plusieurs pays2. Mais, le
danger en droit tunisien réside dans la notion même de «
contribuable taxé d'office ». La délimitation de cette
notion est très importante puisqu'elle conditionne le renversement de la
charge de la preuve. Toute extension de cette notion entraîne une
extension du renversement et vice versa.
La dévolution de la charge de la preuve résulte
de la seule circonstance que le contribuable se trouve taxé d'office.
Or, en droit fiscal tunisien, les cas de recours à la taxation d'office
sont très généraux (A), de sorte que le
renversement de la charge de la preuve devient général, et
constitue le principe. A cela s'ajoute le fait que le rejet de
comptabilité -dont l'utilisation est étroitement liée
à la procédure de taxation d'office3- demeure une
notion ambiguë (B).
A- La généralité des cas
d'ouverture de la taxation d'office
Si en droit fiscal français la taxation d'office se
caractérise par son caractère exceptionnel4, il n'en
est pas ainsi en droit tunisien. Conformément aux dispositions de
l'article 47 du C.D.P.F., l'administration peut recourir à la taxation
d'office non seulement en cas de défaut de dépôt de
déclaration (a), mais aussi en cas de désaccord entre
l'administration fiscale et le contribuable sur les résultats de la
vérification fiscale préliminaire ou approfondie5
(b).
a- La taxation d'office en cas de défaut de
dépôt de déclaration6
Selon l'article 47 §2 du C.D.P.F. : « La taxation est
également établie d'office, en cas de défaut de
dépôt par le contribuable, des déclarations fiscales et des
actes prescrits par la loi pour
1 La perte du bénéfice de la présomption
d'exactitude de la déclaration et le renversement de la charge de la
preuve -conséquences inhérentes à la taxation d'office-
sont liées normalement au non-respect par le contribuable de ses
obligations déclaratives et comptables. Toutefois, en droit tunisien la
taxation d'office peut atteindre des contribuables en situation
régulière. D'où une mise en échec injustifiable de
la présomption d'exactitude de la déclaration.
2 La France : selon l'article L.193 du livre des
procédures fiscales << Dans tous les cas où une imposition
a été établie d'office, la charge de la preuve incombe au
contribuable qui demande la décharge ou la réduction de
l'imposition >>.
La Belgique : l'article 352 du code des impôts
sur les revenus de 1992 dispose que << Lorsque le contribuable est
taxé d'office, la preuve du chiffre exact de ses revenus imposables et
des autres éléments à envisager dans son chef lui incombe
>>.
3 Habib AYADI, << Droit fiscal >>, C.E.R.P.,
Tunis, 1989, p.489.
4 << L'article 65 du L.P.F., crée pour
introduire la section V réservée aux procédures
d'imposition d'office, présente l'intérêt de rappeler que
ces procédures, dérogatoires au droit commun, sont
limitativement énumérées par la loi >> LPF
annoté p.160.
La charte du contribuable française, p.15
prévoit que << dans le cas général, il s'agit de la
procédure de redressement contradictoire....
Dans des cas très limités, des
procédures d'office ou exceptionnelles peuvent être
utilisées >>.
5 L'article 47 cite aussi le cas de défaut de
réponse aux résultats de la vérification fiscale.
6 Ce type de manquement a en Tunisie une ampleur relativement
importante, ce qui dénote à la fois d'une incompréhension
du contribuable de ses obligations fiscales, et d'une certaine
résistance des contribuables à l'impôt. Voir les chiffres
avancés par le ministre des finances dans le cadre des débats
parlementaires relatifs au projet du code des droits et des obligations
fiscales, J.O.R.T. débats de la chambre des députés, 26
juillet 2000, n°39, p.1 889. Voir Slim KAMOUN, << La taxation
d'office >>, in Colloque, << Le code des droits et des
procédures fiscaux >>, colloque organisé par l'A.T.D.F., la
faculté de droit de Sfax et le conseil régional de l'ordre des
avocats de Sfax, le 18 et 19 avril 2001 à Syphax, Sfax, p.12. R.J.L.
2002, n°2, spécial fiscal, p. 9-50.
Le ministre des finances, dans les discussions de la loi de
finances 2002 a estimé que plus de 40% des contribuables ne payent pas
leur impôt ou ne le font pas dans les délais requis.
l'établissement de l'impôt, et ce, dans un
délai maximum de trente jours à compter de la date de sa mise en
demeure, conformément aux procédures prévues par l'Article
10 du présent code >>. La taxation d'office sanctionne dans ce cas
un contribuable défaillant qui n'a pas respecté ses obligations
de dépôt de déclaration ou de tenue de
comptabilité1. Ce cas de taxation d'office appelle deux
observations.
D'une part, la taxation d'office est justifiable dans ce cas.
Elle joue ici son rôle naturel, celui de sanctionner le non-respect par
le contribuable de ses obligations déclaratives2. En effet,
dans un système fiscal essentiellement fondé sur la participation
active du contribuable à la détermination de la base imposable,
il est fondamental de sanctionner le défaut ou le retard dans le
dépôt de la déclaration3. « L'absence de
toute sanction enlèverait une partie de son efficacité au
système de la déclaration contrôlée et pourrait
conduire à une situation dans laquelle il serait particulièrement
délicat pour l'administration de prouver l'exactitude des bases retenues
pour l'imposition faute de déclaration >>4. Le
défaut de dépôt de déclaration constitue une «
défaillance manifeste >>.
D'autre part, ce cas de taxation d'office correspond bien
à la notion de taxation d'office. La taxation d'office est
établie, unilatéralement, en marge de toute procédure
contradictoire5. Selon l'article 49 du C.D.P.F.: « Dans le cas
prévu par le deuxième paragraphe de l'Article 47 du
présent code, la taxation est établie nonobstant les
procédures prévues par les Articles 43 et 44 du présent
code >>6.
1 Selon le texte : la taxation est également
établie d'office, en cas de défaut de dépôt par le
contribuable, des déclarations fiscales et des actes prescrits par la
loi pour l'établissement de l'impôt.
2 Cette taxation d'office « sanctionne une faute du
contribuable, et plus précisément une défaillance dans
l'accomplissement de son devoir de collaborer avec l'administration
».
P. AMSELEK, rapport général introductif, in
<< La taxation d'office à l'impôt sur le revenu >>,
op. cit., p.32.
3 Le retard dans le dépôt d'une déclaration
est assimilé à un défaut de déclaration.
4 Sophie LAMBERT-WIBER, thèse précitée,
p.247.
5 Selon la note commune 10/2002, la taxation d'office
prévue par le §2 de l'article 47 est établie selon des
<< procédures simplifiées >>,
c'est-à-dire << sans respecter les procédures relatives
à la notification des résultats de la vérification et
à la discussion de ces résultats avec le contribuable >> ;
Note commune n° 10/2002 relative au commentaire des dispositions des
articles 47 à 52 du code des droits et procédures fiscaux
relatives à la taxation d'office. Voir annexe n°3 de ce
mémoire.
Il convient de préciser que la privation de la
procédure contradictoire est logique dans ce cas. En effet, la doctrine
est unanime sur le fait que l'utilisation d'une procédure de
redressement contradictoire suppose le dépôt préalable
d'une déclaration. Voir dans ce sens Dalbies BERANGERE, thèse
précitée, p.1 89.
La jurisprudence française a eu souvent l'occasion de
rappeler que les garanties de la procédure contradictoire ne
s'appliquent pas aux contribuables qui font l'objet d'une procédure
d'office. A titre d'exemple : C.E. 24/07/1981, n°16888, 16889 et 16890,
D.F. 1981, n°51, comm.2309, conclusions RIVIERE ; C.E. 26/06/1987,
n°49407, R.J.F. 8-9/87, n°877.
6 Ces deux articles concernent la procédure
contradictoire :
- Article 43 : L'administration fiscale notifie au contribuable,
par écrit, les redressements relatifs à sa situation fiscale. La
notification s'effectue conformément aux procédures
prévues par l'Article 10 du présent code. La notification
comporte notamment :
- la nature de la vérification fiscale dont a fait
l'objet le contribuable ;
- les chefs de redressements et la méthode retenue pour
l'établissement des nouvelles bases d'imposition ;
- le montant de l'impôt exigible ou les rectifications du
crédit d'impôt, du report déficitaire et des amortissements
régulièrement différés ;
- les pénalités exigibles ;
- l'invitation du contribuable à formuler ses
observations, oppositions et réserves relatives aux résultats de
la vérification, dans un délai de trente jours à compter
de la date de la notification.
- Article 44 : Le contribuable doit répondre par
écrit aux résultats de la vérification fiscale, dans un
délai de trente jours à compter de la date de la notification.
b- La taxation d'office en cas de désaccord sur
les résultats de la vérification fiscale
Selon l'article 47 §1 du C.D.P.F. < La taxation est
établie d'office en cas de désaccord entre l'administration
fiscale et le contribuable sur les résultats de la vérification
fiscale préliminaire ou approfondie prévues par l'Article 36 du
présent code, ou lorsque ces résultats n'ont pas fait l'objet
d'une réponse écrite dans le délai prévu par
l'Article 44 du présent code >>. Dans ce cas, la taxation d'office
est infligée à l'encontre d'un contribuable qui a
déposé sa déclaration et qui a fait l'objet d'une
vérification fiscale au terme de laquelle il y a eu un <
désaccord >> entre l'administration et le contribuable. Il s'agit
d'une taxation d'office précédée d'une procédure de
redressement contradictoire. Ce cas de taxation d'office appelle trois
observations :
La première observation est d'ordre terminologique. La
qualification de taxation d'office dans ce cas est inadéquate et jette
la confusion sur le concept même de taxation d'office. En effet, comme on
l'a déjà précisé, ce qui caractérise la
taxation d'office c'est qu'elle est établie en marge de toute
procédure contradictoire. Un commissaire du gouvernement, à
partir d'une analyse de la notion d'< action d'office >>, a
montré que le terme taxation d'office vise la situation dans laquelle un
droit d'action unilatérale, exclusif de la procédure
contradictoire, est ouvert à l'administration1.
A cet égard, on ne peut que condamner l'usage
terminologique équivoque de la notion de taxation d'office. Le
législateur tunisien emploie le terme taxation d'office pour
désigner deux sortes de redressements. Le redressement
contradictoire2 et le redressement unilatéral3.
Cette confusion terminologique entre la procédure contradictoire et
celle d'office est dangereuse pour les droits des contribuables. Il ne s'agit
pas d'une simple querelle de mots. En réalité, l'emploi du terme
taxation d'office dans ce cas fonctionne comme un < piège >>
qui sert à étendre les conséquences sévères
de cette procédure unilatérale4 à des
contribuables qui bénéficiaient normalement de la
procédure de redressement contradictoire.
En droit fiscal français, le contribuable qui a
déposé sa déclaration bénéficie de la
présomption d'exactitude de la déclaration et de la mise en
oeuvre d'une procédure de redressement contradictoire5. Cette
procédure offre une garantie précieuse au profit du contribuable
: il s'agit de l'attribution de la charge de la preuve à
l'administration fiscale, en cas de contentieux
ultérieur6.
1 CE 23 janvier 1974, req. 84802, concl. MANDELKERN, D.F. 1974,
n°16, comm. 478.
D'ailleurs, en droit fiscal français, l'article L.56 du
L.P.F. dispose clairement que << la procédure de redressement
contradictoire n'est pas applicable :
4 - Dans les cas de taxation ou évaluation d'office des
bases d'imposition >>.
2 Le cas prévu par l'aricle 47 § 1 du C.D.P.F.
3 Le cas prévu par l'article 47§2 du C.D.P.F.
4 Faut-il rappeler que ces conséquences
sévères sont : la perte du bénéfice de la
présomption d'exactitude de la déclaration et le renversement de
la charge de la preuve.
5 Selon l'article L.55 du L.P.F. << sous réserve
des dispositions de l'article L56, lorsque l'administration des impôts
constate une insuffisance, une inexactitude, une omission ou une dissimulation
dans les éléments servant de base au calcul des impôts,
droits, taxes, redevances ou sommes quelconques dues en vertu du code
général des impôts, les redressements correspondants
sont effectués suivant la procédure de redressement
contradictoire définie aux articles L57 à L 61A >>.
6 Selon l'article L.192 du L.P.F. << lorsque l'une des
commissions visées à l'article L.59 est saisie d'un litige ou
d'un redressement, l 'administration supporte la charge de la preuve en
cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la
commission >>.
Il convient de souligner que l'article L. 192 du L.P.F.
<< ne concerne a priori que le cas où la commission
départementale a été saisie. Mais il est vrai que cet
article peut se lire comme exprimant la règle, plus
générale, suivant laquelle la preuve du bien-fondé d'un
redressement incombe en principe à l'administration dès lors que
ce redressement est contesté. >> M. le commissaire du gouvernement
J. Arrighi de Casanova, Conclusions sur C.E. 20 mai 1998, req. n°159877,
Sté Veticlam, D.F. 1998, n°44, comm. 979, p.1390.
Malheureusement, la législation tunisienne,
contrairement au droit français, ne consacre pas une distinction claire
entre la procédure de redressement contradictoire et celle de la
taxation d'office en réservant à chacune des caractères
propres et des conséquences différentes au niveau de la charge de
la preuve1. En droit tunisien, on peut parler d'une <<
consécration amputée >> 2 de la procédure
contradictoire.
La deuxième observation concerne le motif du recours
à la taxation d'office. Selon l'article 47 §1 du C.D.P.F., la
taxation d'office est établie << en cas de désaccord
>> entre le contribuable et l'administration sur les résultats de
la vérification fiscale. Le terme << en cas de désaccord
>> est très général, << c'est en fait un
fourre-tout, on peut tout y mettre >>3. Est-il
nécessaire de rappeler que les dispositions trop générales
et imprécises doivent être évitées du moment
où elles ne font que conférer à l'administration un
pouvoir discrétionnaire trop large4. En effet, il serait
facile à l'administration fiscale de provoquer la taxation d'office et
le renversement de la charge de la preuve au nom d'un désaccord sur les
résultats de la vérification. Or, comme l'a précisé
un auteur français, depuis 1962, << la taxation d'office,
fondée sur une évaluation indirecte de la matière
imposable, ne saurait être appliquée de façon
générale : son rôle est tout naturellement celui d'une
sanction contre les contribuables défaillants >>5.
<< La taxation d'office est une procédure d'exception6
à l'intérieur du droit fiscal qui lui-même un droit
d'exception, un `droit odieux' >>7.
La troisième observation concerne le rôle de la
taxation d'office en droit fiscal tunisien. Celle-ci ne joue pas son rôle
naturel, celui d'une sanction contre un contribuable défaillant. Mais
elle pèse comme une << menace >> contre un contribuable qui
n'aurait pas abouti à un accord avec l'administration au terme de la
procédure contradictoire. A cet égard, elle peut conduire
à sanctionner un contribuable << honnête >>, en
situation régulière vis à vis de ses obligations
déclaratives et comptables, mais qui a eu << le tort >> de
ne pas accepter les résultats de la vérification fiscale
préliminaire8 ou approfondie.
Il est regrettable que le législateur tunisien ait
conféré à l'administration fiscale << l'arme
>> de la taxation d'office, << sans se préoccuper de savoir
si, à l'image d'une arme chimique ou d'une bombe atomique, l'arme ne
détruit pas des innocents en même temps que les coupables. La fin
justifie-t-elle les moyens ? La lutte contre la fraude fiscale doit-elle
détruire, en même temps, le bon grain et l'ivraie >>
9?
Il regrettable aussi que le législateur -à
travers l'article 65 du C.D.P.F.- consacre une solution générale
selon laquelle le contribuable taxé d'office supporte la charge de la
preuve en cas de contestation. Le législateur tunisien, et aussi
étonnant que cela puisse paraître, n'a pas réservé
un traitement différentiel selon que le contribuable a ou non
respecté ses obligations déclaratives. Il
1 Voir le tableau précité résumant les
règles d'attribution de la charge de la preuve en droit fiscal
français, annexe n°4 de ce mémoire.
2 Rym BEJAOUI, << Les apports du code des droits et des
procédures fiscaux en matière des procédures de
contrôle et d'imposition >>, mémoire D.E.A. en droit des
affaires, Faculté des Sciences Juridiques, politiques et sociales Tunis
II, 2000-2001, p.112 et s.
3 Mahmoud MTIR, << La taxation d'office en droit fiscal
tunisien : comparaison des dispositions du code de l'IRPP et du CDPF >>,
R.C.F., n°57, 2002, p. 71.
4 Fayçal DERBEL, << Comptabilité et
vérification fiscale >>, R.C.F., n°49, 2000, p.40.
5 F-P DERUEL, << Quelques aspects du problème de la
preuve en matière fiscale >>, D.F., 1962, n°37, p.48.
6 En droit français, l'article 65 du L.P.F.,
crée pour introduire la section V réservée aux
procédures d'imposition d'office, présente l'intérêt
de rappeler que ces procédures, dérogatoires au droit commun,
sont limitativement énumérées par la loi.
La charte du contribuable française, p.15 prévoit
que << dans le cas général, il s'agit de la
procédure de redressement contradictoire....
Dans des cas très limités, des
procédures d'office ou exceptionnelles peuvent être
utilisées.>>.
7 Paul AMSELEK, rapport général introductif, in
<< La taxation d'office à l'impôt sur le revenu >>,
op. cit.,
p.19.
8 Il convient de préciser que la taxation d'office suite
à une vérification préliminaire, qui est une
nouveauté apportée par le C.D.P.F., constitue un
élargissement dangereux des cas d'ouverture de la taxation d'office. 9
Patrick SERLOOTEN, << Etude critique du statut fiscal du conjoint
salarié du commerçant >>, in mélanges offerts
à André COLOMER, p.443, 444.
n'est pas exagéré d'affirmer que si le
renversement de la charge de la preuve au contribuable se justifie en cas de
défaut de dépôt de déclaration, il demeure, à
notre sens, critiquable en cas d'existence d'une déclaration.
La généralisation du renversement
présente le désavantage de traiter à parité les
contribuables remplissant correctement leurs obligations fiscales et ceux qui
sont défaillants. L'alignement des régimes est critiquable.
Le remède à cette situation critiquable
reposerait sur deux axes essentiels : d'une part, la nécessité
d'une distinction, au niveau de la charge de la preuve, entre le défaut
de déclaration et l'existence de la déclaration (1)
; et d'autre part, la nécessité de la reconnaissance
d'une charge de la preuve incombant à l'administration fiscale devant le
juge (2).