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La preuve en droit fiscal

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par KAMOUN Fériel
Université de Sfax-Tunisie -  2003
  

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CHAPITRE II : LA GENERALISATION DU RENVERSEMENT DE LA CHARGE DE LA PREUVE AU DETRIMENT DU CONTRIBUABLE

Le législateur tunisien, gardant le silence concernant la charge de la preuve incombant à l'administration fiscale, a en plus doté celle-ci de mécanismes lui permettant de renverser la charge de la preuve au détriment du contribuable1. « C'est là qu'apparaît le machiavélisme de la procédure fiscale >>2 . Il s'agit du piège de la taxation d'office (SECTION I) et du jeu des présomptions légales (SECTION II).

Section I : Le piège de la taxation d'office

« Introduire la taxation d'office, c'est prendre le risque de présenter une institution particulièrement antipathique du droit fiscal, dont la seule appellation suscite immédiatement des évocations fort désagréables à la conscience des contribuables que nous sommes >>3. « Cette expression même `taxation d'office', cette locution d'office traduit bien la passivité de l'intéressé >>4.

1 La volonté législative de renverser la charge de la preuve au détriment du contribuable apparaît aussi dans le contentieux fiscal pénal :

*Article 108 : << La charge de la preuve incombe à l'administration pour les infractions prévues par les Articles 94, 98, 99 et 101 du présent code. >>

*Article 71 : << Les procès-verbaux relatifs aux infractions fiscales pénales sont établis par deux agents assermentés ayant constaté personnellement et directement les faits qui constituent l'infraction, ces procèsverbaux font foi jusqu'à preuve du contraire. >>

Il faut noter que la force probante particulière qui s'attache à ces procès-verbaux << porte atteinte à la présomption d'innocence en opérant un renversement de la charge de la preuve au détriment du prévenu >> G. Klein, << La répression de la fraude fiscale : Etude sur le particularisme du droit pénal des impôts >>, thèse, Nancy II, 1975, p.415.

*Article 72 : << Le procès-verbal constatant l'infraction doit mentionner les indications suivantes :

1- la date, l'heure et le lieu du procès-verbal ;

2- la nature de l'infraction commise ;

3- les nom, prénoms et profession du contrevenant lorsque celui-ci est une personne physique ou la raison sociale et l'adresse lorsque le contrevenant est une personne morale ;

4- les procédures afférentes aux saisies opérées avec description des documents, marchandises et objets saisis ;

5- la signature du contrevenant ou de son représentant ayant assisté à l'établissement du procès-verbal ou la mention, selon le cas, de son absence ou de son refus de signer ;

6- le cachet du service dont relèvent les agents verbalisateurs et les nom, prénoms et signature de ces agents. >> Cet article 72, qui fixe les indications que le procès-verbal doit mentionner, ne contient aucune mention qui concerne les preuves d'infractions dans le procès-verbal.

Ces deux articles entraînent un renversement de la charge de la preuve qui incombe en fait au contribuable, alors même que l'article 108 du C.D.P.F attribue la charge de la preuve à l'administration fiscale. Il s'agit d'une subtile dialectique du législateur qui accorde d'un côté et qui retire de l'autre.

- Voir sur la question de la force probante attachée aux procès-verbaux des agents des impôts :

G. KLEIN, << La répression de la fraude fiscale : Etude sur le particularisme du droit pénal des impôts >>, thèse, Nancy II, 1975, p.407 à 418 ; Th. AFSCHRIFT, op. cit, p.267-285 et p.407- 418 ; Y. MESTAOUI, << Le contentieux fiscal >>, juin 1998, p1 14, 118, 120, 162.

. 1990 19/18/17 - " "

2 Conclusions sur l'arrêt du CE, 25 mars 1983, req. n.34, D.F. 1984, n°14, comm. 694.

3 Paul AMSELEK, rapport général introductif, in << La taxation d'office à l'impôt sur le revenu >>, op. cit, p.19.

4 Ibid., p. 22.

La législation fiscale, tout en utilisant l'expression taxation d'office1, n'en donne aucune définition. En l'absence de définition législative, la doctrine définit la taxation d'office comme étant << une procédure qui permet à l'administration de fixer unilatéralement les bases de l'imposition. Elle se caractérise essentiellement par deux traits :

- l'imposition est établie par l'administration en marge de toute procédure contradictoire2 ;

- le contribuable perd le bénéfice de la présomption d'exactitude attachée à sa déclaration. Il lui appartient, s'il veut contester les bases d'imposition, de faire la preuve de son exagération devant le juge de l'impôt >>3.

Ainsi, en matière de taxation d'office, il y a renversement de la charge de la preuve. << La preuve qui lors du contrôle, incombait à l'administration4 pèse désormais sur le contribuable >>5. Il s'agit bien, ici, d'une charge de la preuve devant le juge6.

La doctrine est unanime à présenter la taxation d'office comme une institution du droit fiscal jouant le rôle de << sanction >> du non-respect par le contribuable de l'obligation de coopérer avec l'administration à laquelle il est tenu dans le cadre du système de la déclaration contrôlée7.

Une procédure aussi << antipathique >>, vu son caractère unilatéral, ses conséquences rigoureuses et son rôle de << sanction >>, devrait normalement être exceptionnelle. Or, en droit tunisien, la taxation d'office, par la généralité de ses cas d'ouverture, entraîne la généralisation du renversement de la charge de la preuve et la mise en échec injustifiable de la présomption d'exactitude de la déclaration (paragraphe I). Par ailleurs, la taxation d'office, par son caractère d'acte administratif8exclusivement unilatéral, place automatiquement le contribuable qui la conteste en position de demandeur ce qui entraîne la méconnaissance de la notion de demandeur effectif ( paragraphe II ).

1 La taxation d'office est régie par les articles 47 à 52 du C.D.P.F..

2 Cela signifie que la taxation d'office << exclut toute obligation pour l'administration de dialoguer avec le contribuable, de prendre son avis >>. P. AMSELEK, ibid., p.21.

Le commissaire du gouvernement MANDELKERN, à partir d'une analyse de la notion d'<< action d'office >>, a montré que le terme taxation d'office vise la situation dans laquelle un droit d'action unilatérale, exclusif de la procédure contradictoire, est ouvert à l 'administration.

C.E. 23 janvier 1974, req. 84802, concl. MANDELKERN, D.F. 1974, n°16, comm. 478.

3 Habib AYADI, << Droit fiscal >>, C.E.R.P., Tunis, 1989, p.488.

4 << L'on sait que, puisque la déclaration du contribuable bénéficie d'une présomption d'exactitude, il appartient à l'administration de prouver son inexactitude >>. H. AYADI, << Droit fiscal, Taxe sur la Valeur Ajoutée, Droits de consommation et contentieux fiscal >>, op. cit, p.243. Voir sur ce point, supra, Partie I, Chap.I., Sect.I et II.

5 H.AYADI, ibid., p.243

6 Aux termes de l'article 65 du C.D.P.F. : << le contribuable taxé d'office ne peut obtenir la décharge ou la réduction de l'impôt porté à sa charge qu'en apportant la preuve de la sincérité de ses déclarations, de ses ressources réelles ou du caractère exagéré de son imposition >>. Cet article 65 règle la question de la charge de la preuve au niveau juridictionnel. En effet, il figure dans le titre II du C.D.P.F. intitulé << droits de recours juridictionnels en matière fiscale >>, au sein du chapitre 1er consacré au << contentieux de l'assiette de l'impôt >>.

7 Voir dans ce sens Paul AMSELEK, rapport général introductif, in << La taxation d'office à l'impôt sur le revenu >>, op. cit, p.32. Voir dans le Même sens, M.-C. BERGERES, << Le principe des droits de la défense en droit fiscal >>, thèse précitée, p. 51.

8 La taxation d'office est prise sous la forme d'un arrêté ministériel. La taxation d'office est établie au moyen d'un arrêté motivé par le ministre des finances ou par la personne déléguée par ledit ministre à cet effet.

Paragraphe I : La taxation d'office et la mise en échec injustifiable de la présomption d'exactitude de la déclaration1

Que la taxation d'office, en droit tunisien, entraîne un renversement de la charge de la preuve et une perte du bénéfice de la présomption d'exactitude de la déclaration, cela n'a en soi rien d'étonnant et rien d'original. D'ailleurs, la solution est retenue dans plusieurs pays2. Mais, le danger en droit tunisien réside dans la notion même de « contribuable taxé d'office ». La délimitation de cette notion est très importante puisqu'elle conditionne le renversement de la charge de la preuve. Toute extension de cette notion entraîne une extension du renversement et vice versa.

La dévolution de la charge de la preuve résulte de la seule circonstance que le contribuable se trouve taxé d'office. Or, en droit fiscal tunisien, les cas de recours à la taxation d'office sont très généraux (A), de sorte que le renversement de la charge de la preuve devient général, et constitue le principe. A cela s'ajoute le fait que le rejet de comptabilité -dont l'utilisation est étroitement liée à la procédure de taxation d'office3- demeure une notion ambiguë (B).

A- La généralité des cas d'ouverture de la taxation d'office

Si en droit fiscal français la taxation d'office se caractérise par son caractère exceptionnel4, il n'en est pas ainsi en droit tunisien. Conformément aux dispositions de l'article 47 du C.D.P.F., l'administration peut recourir à la taxation d'office non seulement en cas de défaut de dépôt de déclaration (a), mais aussi en cas de désaccord entre l'administration fiscale et le contribuable sur les résultats de la vérification fiscale préliminaire ou approfondie5 (b).

a- La taxation d'office en cas de défaut de dépôt de déclaration6

Selon l'article 47 §2 du C.D.P.F. : « La taxation est également établie d'office, en cas de défaut de dépôt par le contribuable, des déclarations fiscales et des actes prescrits par la loi pour

1 La perte du bénéfice de la présomption d'exactitude de la déclaration et le renversement de la charge de la preuve -conséquences inhérentes à la taxation d'office- sont liées normalement au non-respect par le contribuable de ses obligations déclaratives et comptables. Toutefois, en droit tunisien la taxation d'office peut atteindre des contribuables en situation régulière. D'où une mise en échec injustifiable de la présomption d'exactitude de la déclaration.

2 La France : selon l'article L.193 du livre des procédures fiscales << Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office, la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition >>.

La Belgique : l'article 352 du code des impôts sur les revenus de 1992 dispose que << Lorsque le contribuable est taxé d'office, la preuve du chiffre exact de ses revenus imposables et des autres éléments à envisager dans son chef lui incombe >>.

3 Habib AYADI, << Droit fiscal >>, C.E.R.P., Tunis, 1989, p.489.

4 << L'article 65 du L.P.F., crée pour introduire la section V réservée aux procédures d'imposition d'office, présente l'intérêt de rappeler que ces procédures, dérogatoires au droit commun, sont limitativement énumérées par la loi >> LPF annoté p.160.

La charte du contribuable française, p.15 prévoit que << dans le cas général, il s'agit de la procédure de redressement contradictoire....

Dans des cas très limités, des procédures d'office ou exceptionnelles peuvent être utilisées >>.

5 L'article 47 cite aussi le cas de défaut de réponse aux résultats de la vérification fiscale.

6 Ce type de manquement a en Tunisie une ampleur relativement importante, ce qui dénote à la fois d'une incompréhension du contribuable de ses obligations fiscales, et d'une certaine résistance des contribuables à l'impôt. Voir les chiffres avancés par le ministre des finances dans le cadre des débats parlementaires relatifs au projet du code des droits et des obligations fiscales, J.O.R.T. débats de la chambre des députés, 26 juillet 2000, n°39, p.1 889. Voir Slim KAMOUN, << La taxation d'office >>, in Colloque, << Le code des droits et des procédures fiscaux >>, colloque organisé par l'A.T.D.F., la faculté de droit de Sfax et le conseil régional de l'ordre des avocats de Sfax, le 18 et 19 avril 2001 à Syphax, Sfax, p.12. R.J.L. 2002, n°2, spécial fiscal, p. 9-50.

Le ministre des finances, dans les discussions de la loi de finances 2002 a estimé que plus de 40% des contribuables ne payent pas leur impôt ou ne le font pas dans les délais requis.

l'établissement de l'impôt, et ce, dans un délai maximum de trente jours à compter de la date de sa mise en demeure, conformément aux procédures prévues par l'Article 10 du présent code >>. La taxation d'office sanctionne dans ce cas un contribuable défaillant qui n'a pas respecté ses obligations de dépôt de déclaration ou de tenue de comptabilité1. Ce cas de taxation d'office appelle deux observations.

D'une part, la taxation d'office est justifiable dans ce cas. Elle joue ici son rôle naturel, celui de sanctionner le non-respect par le contribuable de ses obligations déclaratives2. En effet, dans un système fiscal essentiellement fondé sur la participation active du contribuable à la détermination de la base imposable, il est fondamental de sanctionner le défaut ou le retard dans le dépôt de la déclaration3. « L'absence de toute sanction enlèverait une partie de son efficacité au système de la déclaration contrôlée et pourrait conduire à une situation dans laquelle il serait particulièrement délicat pour l'administration de prouver l'exactitude des bases retenues pour l'imposition faute de déclaration >>4. Le défaut de dépôt de déclaration constitue une « défaillance manifeste >>.

D'autre part, ce cas de taxation d'office correspond bien à la notion de taxation d'office. La taxation d'office est établie, unilatéralement, en marge de toute procédure contradictoire5. Selon l'article 49 du C.D.P.F.: « Dans le cas prévu par le deuxième paragraphe de l'Article 47 du présent code, la taxation est établie nonobstant les procédures prévues par les Articles 43 et 44 du présent code >>6.

1 Selon le texte : la taxation est également établie d'office, en cas de défaut de dépôt par le contribuable, des déclarations fiscales et des actes prescrits par la loi pour l'établissement de l'impôt.

2 Cette taxation d'office « sanctionne une faute du contribuable, et plus précisément une défaillance dans l'accomplissement de son devoir de collaborer avec l'administration ».

P. AMSELEK, rapport général introductif, in << La taxation d'office à l'impôt sur le revenu >>, op. cit., p.32.

3 Le retard dans le dépôt d'une déclaration est assimilé à un défaut de déclaration.

4 Sophie LAMBERT-WIBER, thèse précitée, p.247.

5 Selon la note commune 10/2002, la taxation d'office prévue par le §2 de l'article 47 est établie selon des << procédures simplifiées >>, c'est-à-dire << sans respecter les procédures relatives à la notification des résultats de la vérification et à la discussion de ces résultats avec le contribuable >> ; Note commune n° 10/2002 relative au commentaire des dispositions des articles 47 à 52 du code des droits et procédures fiscaux relatives à la taxation d'office. Voir annexe n°3 de ce mémoire.

Il convient de préciser que la privation de la procédure contradictoire est logique dans ce cas. En effet, la doctrine est unanime sur le fait que l'utilisation d'une procédure de redressement contradictoire suppose le dépôt préalable d'une déclaration. Voir dans ce sens Dalbies BERANGERE, thèse précitée, p.1 89.

La jurisprudence française a eu souvent l'occasion de rappeler que les garanties de la procédure contradictoire ne s'appliquent pas aux contribuables qui font l'objet d'une procédure d'office. A titre d'exemple : C.E. 24/07/1981, n°16888, 16889 et 16890, D.F. 1981, n°51, comm.2309, conclusions RIVIERE ; C.E. 26/06/1987, n°49407, R.J.F. 8-9/87, n°877.

6 Ces deux articles concernent la procédure contradictoire :

- Article 43 : L'administration fiscale notifie au contribuable, par écrit, les redressements relatifs à sa situation fiscale. La notification s'effectue conformément aux procédures prévues par l'Article 10 du présent code. La notification comporte notamment :

- la nature de la vérification fiscale dont a fait l'objet le contribuable ;

- les chefs de redressements et la méthode retenue pour l'établissement des nouvelles bases d'imposition ;

- le montant de l'impôt exigible ou les rectifications du crédit d'impôt, du report déficitaire et des amortissements régulièrement différés ;

- les pénalités exigibles ;

- l'invitation du contribuable à formuler ses observations, oppositions et réserves relatives aux résultats de la vérification, dans un délai de trente jours à compter de la date de la notification.

- Article 44 : Le contribuable doit répondre par écrit aux résultats de la vérification fiscale, dans un délai de trente jours à compter de la date de la notification.

b- La taxation d'office en cas de désaccord sur les résultats de la vérification fiscale

Selon l'article 47 §1 du C.D.P.F. < La taxation est établie d'office en cas de désaccord entre l'administration fiscale et le contribuable sur les résultats de la vérification fiscale préliminaire ou approfondie prévues par l'Article 36 du présent code, ou lorsque ces résultats n'ont pas fait l'objet d'une réponse écrite dans le délai prévu par l'Article 44 du présent code >>. Dans ce cas, la taxation d'office est infligée à l'encontre d'un contribuable qui a déposé sa déclaration et qui a fait l'objet d'une vérification fiscale au terme de laquelle il y a eu un < désaccord >> entre l'administration et le contribuable. Il s'agit d'une taxation d'office précédée d'une procédure de redressement contradictoire. Ce cas de taxation d'office appelle trois observations :

La première observation est d'ordre terminologique. La qualification de taxation d'office dans ce cas est inadéquate et jette la confusion sur le concept même de taxation d'office. En effet, comme on l'a déjà précisé, ce qui caractérise la taxation d'office c'est qu'elle est établie en marge de toute procédure contradictoire. Un commissaire du gouvernement, à partir d'une analyse de la notion d'< action d'office >>, a montré que le terme taxation d'office vise la situation dans laquelle un droit d'action unilatérale, exclusif de la procédure contradictoire, est ouvert à l'administration1.

A cet égard, on ne peut que condamner l'usage terminologique équivoque de la notion de taxation d'office. Le législateur tunisien emploie le terme taxation d'office pour désigner deux sortes de redressements. Le redressement contradictoire2 et le redressement unilatéral3. Cette confusion terminologique entre la procédure contradictoire et celle d'office est dangereuse pour les droits des contribuables. Il ne s'agit pas d'une simple querelle de mots. En réalité, l'emploi du terme taxation d'office dans ce cas fonctionne comme un < piège >> qui sert à étendre les conséquences sévères de cette procédure unilatérale4 à des contribuables qui bénéficiaient normalement de la procédure de redressement contradictoire.

En droit fiscal français, le contribuable qui a déposé sa déclaration bénéficie de la présomption d'exactitude de la déclaration et de la mise en oeuvre d'une procédure de redressement contradictoire5. Cette procédure offre une garantie précieuse au profit du contribuable : il s'agit de l'attribution de la charge de la preuve à l'administration fiscale, en cas de contentieux ultérieur6.

1 CE 23 janvier 1974, req. 84802, concl. MANDELKERN, D.F. 1974, n°16, comm. 478.

D'ailleurs, en droit fiscal français, l'article L.56 du L.P.F. dispose clairement que << la procédure de redressement contradictoire n'est pas applicable :

4 - Dans les cas de taxation ou évaluation d'office des bases d'imposition >>.

2 Le cas prévu par l'aricle 47 § 1 du C.D.P.F.

3 Le cas prévu par l'article 47§2 du C.D.P.F.

4 Faut-il rappeler que ces conséquences sévères sont : la perte du bénéfice de la présomption d'exactitude de la déclaration et le renversement de la charge de la preuve.

5 Selon l'article L.55 du L.P.F. << sous réserve des dispositions de l'article L56, lorsque l'administration des impôts constate une insuffisance, une inexactitude, une omission ou une dissimulation dans les éléments servant de base au calcul des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes quelconques dues en vertu du code général des impôts, les redressements correspondants sont effectués suivant la procédure de redressement contradictoire définie aux articles L57 à L 61A >>.

6 Selon l'article L.192 du L.P.F. << lorsque l'une des commissions visées à l'article L.59 est saisie d'un litige ou d'un redressement, l 'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission >>.

Il convient de souligner que l'article L. 192 du L.P.F. << ne concerne a priori que le cas où la commission départementale a été saisie. Mais il est vrai que cet article peut se lire comme exprimant la règle, plus générale, suivant laquelle la preuve du bien-fondé d'un redressement incombe en principe à l'administration dès lors que ce redressement est contesté. >> M. le commissaire du gouvernement J. Arrighi de Casanova, Conclusions sur C.E. 20 mai 1998, req. n°159877, Sté Veticlam, D.F. 1998, n°44, comm. 979, p.1390.

Malheureusement, la législation tunisienne, contrairement au droit français, ne consacre pas une distinction claire entre la procédure de redressement contradictoire et celle de la taxation d'office en réservant à chacune des caractères propres et des conséquences différentes au niveau de la charge de la preuve1. En droit tunisien, on peut parler d'une << consécration amputée >> 2 de la procédure contradictoire.

La deuxième observation concerne le motif du recours à la taxation d'office. Selon l'article 47 §1 du C.D.P.F., la taxation d'office est établie << en cas de désaccord >> entre le contribuable et l'administration sur les résultats de la vérification fiscale. Le terme << en cas de désaccord >> est très général, << c'est en fait un fourre-tout, on peut tout y mettre >>3. Est-il nécessaire de rappeler que les dispositions trop générales et imprécises doivent être évitées du moment où elles ne font que conférer à l'administration un pouvoir discrétionnaire trop large4. En effet, il serait facile à l'administration fiscale de provoquer la taxation d'office et le renversement de la charge de la preuve au nom d'un désaccord sur les résultats de la vérification. Or, comme l'a précisé un auteur français, depuis 1962, << la taxation d'office, fondée sur une évaluation indirecte de la matière imposable, ne saurait être appliquée de façon générale : son rôle est tout naturellement celui d'une sanction contre les contribuables défaillants >>5. << La taxation d'office est une procédure d'exception6 à l'intérieur du droit fiscal qui lui-même un droit d'exception, un `droit odieux' >>7.

La troisième observation concerne le rôle de la taxation d'office en droit fiscal tunisien. Celle-ci ne joue pas son rôle naturel, celui d'une sanction contre un contribuable défaillant. Mais elle pèse comme une << menace >> contre un contribuable qui n'aurait pas abouti à un accord avec l'administration au terme de la procédure contradictoire. A cet égard, elle peut conduire à sanctionner un contribuable << honnête >>, en situation régulière vis à vis de ses obligations déclaratives et comptables, mais qui a eu << le tort >> de ne pas accepter les résultats de la vérification fiscale préliminaire8 ou approfondie.

Il est regrettable que le législateur tunisien ait conféré à l'administration fiscale << l'arme >> de la taxation d'office, << sans se préoccuper de savoir si, à l'image d'une arme chimique ou d'une bombe atomique, l'arme ne détruit pas des innocents en même temps que les coupables. La fin justifie-t-elle les moyens ? La lutte contre la fraude fiscale doit-elle détruire, en même temps, le bon grain et l'ivraie >> 9?

Il regrettable aussi que le législateur -à travers l'article 65 du C.D.P.F.- consacre une solution générale selon laquelle le contribuable taxé d'office supporte la charge de la preuve en cas de contestation. Le législateur tunisien, et aussi étonnant que cela puisse paraître, n'a pas réservé un traitement différentiel selon que le contribuable a ou non respecté ses obligations déclaratives. Il

1 Voir le tableau précité résumant les règles d'attribution de la charge de la preuve en droit fiscal français, annexe n°4 de ce mémoire.

2 Rym BEJAOUI, << Les apports du code des droits et des procédures fiscaux en matière des procédures de contrôle et d'imposition >>, mémoire D.E.A. en droit des affaires, Faculté des Sciences Juridiques, politiques et sociales Tunis II, 2000-2001, p.112 et s.

3 Mahmoud MTIR, << La taxation d'office en droit fiscal tunisien : comparaison des dispositions du code de l'IRPP et du CDPF >>, R.C.F., n°57, 2002, p. 71.

4 Fayçal DERBEL, << Comptabilité et vérification fiscale >>, R.C.F., n°49, 2000, p.40.

5 F-P DERUEL, << Quelques aspects du problème de la preuve en matière fiscale >>, D.F., 1962, n°37, p.48.

6 En droit français, l'article 65 du L.P.F., crée pour introduire la section V réservée aux procédures d'imposition d'office, présente l'intérêt de rappeler que ces procédures, dérogatoires au droit commun, sont limitativement énumérées par la loi.

La charte du contribuable française, p.15 prévoit que << dans le cas général, il s'agit de la procédure de redressement contradictoire....

Dans des cas très limités, des procédures d'office ou exceptionnelles peuvent être utilisées.>>.

7 Paul AMSELEK, rapport général introductif, in << La taxation d'office à l'impôt sur le revenu >>, op. cit.,
p.19.

8 Il convient de préciser que la taxation d'office suite à une vérification préliminaire, qui est une nouveauté apportée par le C.D.P.F., constitue un élargissement dangereux des cas d'ouverture de la taxation d'office. 9 Patrick SERLOOTEN, << Etude critique du statut fiscal du conjoint salarié du commerçant >>, in mélanges offerts à André COLOMER, p.443, 444.

n'est pas exagéré d'affirmer que si le renversement de la charge de la preuve au contribuable se justifie en cas de défaut de dépôt de déclaration, il demeure, à notre sens, critiquable en cas d'existence d'une déclaration.

La généralisation du renversement présente le désavantage de traiter à parité les contribuables remplissant correctement leurs obligations fiscales et ceux qui sont défaillants. L'alignement des régimes est critiquable.

Le remède à cette situation critiquable reposerait sur deux axes essentiels : d'une part, la nécessité d'une distinction, au niveau de la charge de la preuve, entre le défaut de déclaration et l'existence de la déclaration (1) ; et d'autre part, la nécessité de la reconnaissance d'une charge de la preuve incombant à l'administration fiscale devant le juge (2).

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