Plusieurs justifications peuvent être avancées
à l'appui de la charge de la preuve par nature reposant sur le
contribuable.
La première raison, généralement
avancée, est l'aptitude à la preuve. En effet, le contribuable
est « le mieux placé >> pour justifier les
éléments venant en déduction de la base imposable. «
Le fisc n'a jamais en mains toutes les données de la situation exacte du
contribuable >>3.
Comme l'a affirmé, très justement, un
commissaire du gouvernement, il est dans la nature des choses que le
contribuable fournisse a priori les justifications que lui seul peut apporter.
En effet, il est logique que le contribuable s'explique, comme lui seul peut le
faire, sur l'inscription dans sa comptabilité d'une somme qui a une
incidence négative sur la base de l'impôt4.
Par ailleurs, on ne doit pas perdre de vue que les faits qui
doivent être prouvés sont seulement ceux qui sont
allégués5. Le fisc n'a aucune raison d'alléguer
qu'il y a des éléments déductibles. Il a d'ailleurs
intérêt à en nier l'existence. Or, selon le principe «
Ei incumbit probatio qui dicit non qui negat : la preuve incombe à celui
qui allègue, non à celui qui nie >>6. Donc, le
contribuable, qui allègue des éléments entraînant un
allègement de l'impôt, assume la charge de la preuve.
Enfin, l'argument de texte s'allie à ces
justifications, pour expliquer la charge de la preuve par nature incombant au
contribuable. En effet, il y a une obligation légale qui incombe aux
contribuables de pouvoir produire à l'appui des chiffres qu'ils
déclarent, et en particulier les charges déductibles, des
pièces justificatives7. Comme l'a affirmé, Cilles
AMEDEE MANESME, « il y a glissement de la charge de la preuve sur le
terrain de la justification >>1.
1 Cet arrêt, selon le commissaire du gouvernement J.
Arrighi de Casanova, n'a fait qu'appliquer la jurisprudence issue de
l'arrêt de plénière Renfort Service du 27 juillet 1984,
précisé et confirmé par plusieurs décisions du 13
mai 1992 ( req. n° 71496, D.F. 1994, n°23, comm. 1089, concl. Ph.
Martin; req. n° 71497, Sté << Nouvelles Editions Musicales
Caravelle >>, D.F. 1994, n°23, comm. 1087, concl. Ph. Martin.)
2 Expression constamment utilisée par le C.E. Elle
signifie que même lorsque l'administration supporte la charge de la
preuve.
3 Jean WILMART, << Réflexions sur la
décomposition et le déplacement de la preuve en droit fiscal
>>, mélanges en hommage à Léon Graulich,
Liège 1957, p.1 62.
4 M. le commissaire du gouvernement J. ARRIGHI DE CASANOVA,
Conclusions sur C.E. 20 mai 1998, req. n°159877, Sté Veticlam, D.F.
1998, n°44, comm. 979, p.1390.
5 Th. AFSCHRIFT, << Traité de la preuve en droit
fiscal >>, Larcier 1998, p.68.
6 Boyer Laurent, Roland, << Adages du droit
français >>, p.197.
D'ailleurs, en vertu de ce même principe, la charge de
la preuve de << revenus >> incombe à l'administration
fiscale. << Le contribuable n'a aucune raison d'alléguer qu'il a
perçu des revenus : dès le moment où c'est
l'administration qui entend procéder à une imposition, il lui
revient d'alléguer que des revenus ont été perçus.
Si la preuve incombait au contribuable, il devrait alléguer qu'il n'a
pas perçu de revenu ou du moins qu'il n'en a pas perçu
au-delà d'un certain montant, et quelle que soit la connaissance des
faits que le contribuable peut en avoir, il faut bien reconnaître qu'une
telle preuve serait impossible >>.Th. AFSCHRIFT, << Traité
de la preuve en droit fiscal >>, Larcier 1998, p.68.
7 - L'article 59 C.I.R. §2 cite une liste de pièces
justificatives que les contribuables doivent fournir à l'appui de leur
déclaration annuelle (relevé détaillé des
amortissements, des provisions, des dons et subventions...).
- L'article 8 §3 C.I.R. dispose que << Le revenu
ainsi constitué tient compte du déficit... justifié
par la tenue d'une comptabilité >> ;
- L'article 12 C.I.R. relatif aux charges déductibles,
conditionne le bénéfice de ces déductions à la
production de pièces justificatives. Ex. §5 << dans la mesure
où ils sont justifiés... >>.
- L'article 38 C.I.R. relatif aux exonérations : <<
... dans la mesure où elles sont justifiées >>.
Si l'on peut comprendre et trouver logique la charge de la
preuve par nature incombant au contribuable, il n'en demeure pas moins vrai
qu'elle affirme le déséquilibre entre le fisc et le contribuable.
En effet, le législateur tunisien ne s'intéresse à la
charge de la preuve que lorsqu'il s'agit du contribuable. Ce dernier se trouve
toujours dans l'obligation de se justifier.
Certes, le fait que le contribuable supporte une charge de la
preuve par nature ne constitue pas un renversement de la preuve à son
détriment. Cette charge lui incombe «d'emblée
>,2 . Néanmoins, il convient d'avoir présent
à l'esprit que cette charge de la preuve par nature constitue une
atténuation qui vient « nuancer la rigueur et le caractère
automatique des principes d'attribution du risque de la preuve et donc
alléger le fardeau de la preuve qui pèse sur l'Etat
>,3.
Le contribuable se sent dominé, écrasé
par l'administration et dans l'obligation de se justifier4. Il doit
prouver les éléments déductibles. Mais aussi il doit
apporter la preuve qu'il s'est acquitté de son devoir fiscal. Il s'agit
là d'une charge de la preuve préliminaire incombant au
contribuable, pour pouvoir bénéficier de la présomption
d'exactitude de la déclaration.