2) La nécessité des mesures
dérogatoires
Les mesures dérogatoires doivent revêtir un
caractère de nécessité absolue et être
strictement
indispensables pour faire face au danger public, elles doivent
être prises dans la stricte mesure où
la situation l'exige.
L'Etat ne peut, au titre de l'article 15, suspendre les droits et
libertés garantis que dans la mesure
où l'exercice de ceux-ci serait de nature à
l'empêcher de faire face audit danger public.
Un lien concret doit exister entre la mesure
dérogatoire et la menace pesant sur la vie de la nation.
Toutefois, le contrôle exercé par les organes de
la Convention n'exclut pas que l'Etat concerné puisse conserver une
certaine marge d'appréciation quant à la stricte mesure
exigée par la situation.
La cour l'affirme très nettement dans son arrêt du
18 janvier 1978, « Irlande c/ Royaume-Uni »
(132).
« Les autorités nationales se trouvent en principe
mieux placées que le juge international pour se prononcer sur la
présence de pareil danger comme sur la nature et
l'étendue des dérogations nécessaire pour le conjurer
» (133).
La cour européenne opère un contrôle
particulièrement poussé comme le montre l'affaire
« Brannigan et McBride c. Royaume-Uni » du 28
mai 1993 (134).
M. Peter Branningan réside en Irlande du Nord. Il est
appréhendé le 9 janvier 1989 puis conduit
au centre d'interrogatoire de la caserne de Gough (Armagh).
Son arrestation se fonde sur l'article 12 § 1-b de la loi de
1984 portant dispositions provisoires
sur la prévention du terrorisme, qui permet l'arrestation
sans mandat d'une personne soupçonner d'être ou d'avoir
été impliquée dans l'accomplissement d'actes
terroristes.
Le 10 janvier, le ministre autorise une prolongation de deux
jours de la détention. Le 12 janvier intervient une nouvelle
prolongation, de trois jours. L'intéressé est
libéré le 15 janvier, après
avoir été gardé à vue pendant six
jours, quatorze heures et trente minutes au total.
132) Affaire « Irlande c/ Royaume-Uni » du 18
janvier 1978, in Les Grands arrêts de la Cour européenne des
droits de l'homme, op cit., pp.17-
20.
133) Ibidem, § 207.
134) Affaire « Branningan et McBride c. Royaume-Uni
» du 28 mai 1993, in Les Grands arrêts de la Cour
européenne des droits de l'homme,
op cit., pp 99-101.
M. Patrick McBride, lui, est appréhendé le 5
janvier 1989 en vertu de la même disposition de la
loi de 1984, puis conduit au centre d'interrogatoire de
Castlereagh.
Le 6 janvier, le Ministre autorise une prolongation de trois
jours de cette détention. L'intéressé
est relâché le 9 janvier, après une garde
à vue de quatre jours, six heures et vingt-cinq minutes en tout.
Il est tué le 4 février 1992 à Belfast par
un policier devenu fou furieux et qui avait attaqué le siège du
Sinn Fein.
Le 23 décembre 1988, le Royaume-Uni informe le
secrétaire général du Conseil de l'Europe que son
gouvernement se prévaut du droit de dérogation prévu
à l'article 15 § 1 de la Convention, dans la mesure où
l'exercice des pouvoirs définis à l'article 5 § 3 de la
Convention.
L'un des problèmes de droit qui se posait dans cette
affaire, était celui de savoir si les mesures prises par le Royaume-Uni
étaient strictement exigées par la situation.
La cour constate que depuis 1974 le gouvernement britannique
estime avoir besoin du pouvoir d'arrestation et de détention
prolongée pour combattre la menace du terrorisme.
Comme le pouvoir de détention prolongée sans
contrôle judiciaire et l'avis du 23 décembre 1988 étaient
nettement liés à la persistance due l'état d'urgence, rien
ne montre que la dérogation fût autre chose qu'une riposte
véritable à celle-ci.
La cour apprécie suivant le cas qui lui est soumis la
nécessité ou non pour un Etat de recourir aux mesures
dérogatoires.
Avec la montée du terrorisme international, il est
à craindre que les Etats usent et abusent de la faculté de
dérogations prévues dans les instruments pertinents en
matière de droits de l'homme.
Afin de lutter contre le terrorisme, il est bien
évidemment parfois nécessaire de déroger à
l'application de certaines règles.
Cependant la suspension du droit par les Etats durant la
période de dérogations n'est pas sans risque.
En effet, certains Etats risquent de profiter de cette
période pour museler les droits de l'homme et museler l'opposition
démocratique.
Les mesures adoptées par un Etat partie à la
Convention sous couvert de la dérogation doivent être conformes
aux autres obligations qu'il assume en droit international.
Les Etats ne doivent pas oublier que s'il est vrai
que le régime dérogatoire peut suspendre l'application d'une
règle de droit, ce dernier ne peut suspendre l'Etat de droit car c'est
en vue de protéger ce dernier que ce régime a été
instauré.
Il est regrettable qu'un contrôle très poussé
ne soit pas effectué sur les mesures de dérogations une fois que
la dérogation a été obtenue par l'Etat.
L'absence d'un contrôle des mesures
employées sous couvert de dérogations est
très
préjudiciable à l'Etat de droit, à
fortiori dans un domaine aussi sensible que celui de la lutte contre
le terrorisme.
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