1) L'existence d'un danger public menaçant la vie
de la nation
Le droit de dérogation existe seulement en cas de
guerre ou de danger public, que la Cour à
définit lors de l'affaire « Lawless »
du 7 avril 1961.
M. Richard Lawless est manoeuvre dans une entreprise de
bâtiment et réside à Dublin. Le 21
septembre 1956, il est arrêté, avec trois hommes,
dans une grange désaffectée où la police trouve des
armes.
Traduits devant la Cour criminelle du circuit de Dublin, les
quatre inculpés sont acquittés le 23
novembre 1956.
Soupçonné d'activités illégales,
M. Lawless est de nouveau arrêté le 14 mai 1957. Au
cours d'une perquisition à son domicile, on découvre un document
manuscrit sur la guérilla.
Le 16 mai, la Cour criminelle du circuit de Dublin le condamne
à un mois de prison pour ce fait,
mais l'acquitte du chef d'appartenance à l'IRA.
Le 5 juillet 1957 paraît au journal officiel une
proclamation du gouvernement irlandais mettant
en vigueur, à compter du 8 juillet, les pouvoirs
d'arrestation et de détention confiés aux ministres d'Etat par la
loi n°2 de 1940 qui modifie la loi de 1939 sur les atteintes à la
sûreté de l'Etat.
En application de cette législation, le ministre de la
justice prend, le 12 juillet 1956, un arrêté de détention
à l'encontre de M. Lawless, qui avait été
appréhendé la veille alors qu'il s'apprêtait à
s'embarquer pour l'Angleterre.
Le requérant est interné dans un camp militaire, en
compagnie d'environ 120 autres personnes, sans être traduit devant un
juge.
Le 10 décembre 1956, il comparaît devant la
commission de détention : il prend l'engagement verbal de ne se livrer
à aucune activité illégale au sens des lois de 1939 et
1940.
Le lendemain, le ministre de la justice ordonne sa
libération.
Entre-temps, le 11 octobre, la Haute cour avait rendu
un arrêt rejetant une requête d'Habeas Corpus introduite par
l'intéressé, lequel a alors interjeté appel sans
succès, devant la Cour suprême.
M. Lawless saisit la Commission européenne des
droits de l'homme le 8 novembre 1957. Il allègue une violation de
la Convention du fait de sa détention sans jugement depuis le 13
août
1957.
Celle-ci après avoir établi son rapport,
transmet l'affaire à la Cour européenne des droits de
l'homme.
L'un des problèmes de droit qui se posait dans cette
affaire, était celui de savoir si la détention de
M. Lawless se fondait-elle sur le droit de dérogation
reconnu aux Etats contractants par l'article
15 § 1.
La cour avant de se prononcer sur cette question,
commence par examiner si les conditions donnant lieu à une
dérogation étaient réunies.
En premier lieu, le gouvernement pouvait légitimement
déclarer qu'un danger public menaçait la vie de la nation pendant
la période en cause.
Il existait, sur le territoire de la République d'Irlande,
une armée secrète agissant en dehors de l'ordre constitutionnel
et usant de la violence pour atteindre ses objectifs.
Cette armée opérait également en dehors du
territoire de l'Etat, compromettant ainsi gravement
les relations de ce dernier avec le pays voisin.
Les activités terroristes avaient augmenté de
manière alarmante pendant tout le premier semestre
de 1957.
En deuxième lieu, la détention sans comparution
devant un juge apparaissait comme une mesure strictement limitée aux
exigences de la situation.
En effet, l'application de la législation ordinaire
n'avait pas permis en 1957 de freiner
l'accroissement du danger pesant sur la République.
Le fonctionnement des juridictions pénales ordinaires et
même des cours criminelles spéciales ou des tribunaux militaires
ne pouvait suffire à rétablir la paix et l'ordre public.
La réunion des preuves suffisantes pour convaincre les
personnes mêlées aux activités de l'IRA
se heurtait aux plus grandes difficultés en raison du
caractère militaire et secret de ceux-ci et de
la crainte qu'ils inspiraient parmi la population.
C'est pourquoi la détention administrative des individus
soupçonnés de vouloir participer à des entreprises
terroristes apparaissait justifiée.
Cet arrêt de la Cour européenne a permis de
clarifier les conditions qui permettent aux Etats de déroger aux droits
de l'homme.
D'une manière générale, l'Etat ne peut
exercer son droit de dérogation, dans un but autre que celui pour
lequel ce droit a été prévu auquel cas ce serait un
détournement de pouvoir.
La première question qui se pose dans le cadre
des dérogations et de savoir s'il existe véritablement un
danger public menaçant la vie de la nation.
Le problème s'est récemment posé
lorsque le Royaume-Uni à la suite des attentats du 11
septembre 2001, et au lendemain de l'adoption de la loi
« Antiterrorism, Crime and Security Act
2001 » a notifié son intention de recourir
à l'article 15 de la Convention européenne.
La détention de personnes suspectées de liens
avec des organisations terroristes telle que le prévoyait la loi
était incompatible avec l'article 5 § 1 de la convention
européenne.
Le problème, c'est qu'au moment de cette notification de
dérogation, il n'y avait pas de menace terroriste précise qui
menaçait la vie de la nation.
Il est vrai qu'au lendemain des attentats du 11
septembre, certains terroristes on formulé des menaces à
l'encontre des citoyens ou des intérêts britanniques, mais peut-on
considérer que cette menace constituait « une menace grave mettant
en péril la nation » ?
Le gouvernement n'avait fourni au moment de la
notification de sa dérogation, aucun indice tangible que cette
organisation faisait peser une menace imminente sur le Royaume-Uni (131).
La question ne se serait certainement pas posée si
cette dérogation avait été demandée au
lendemain des attentats du 7 juillet 2005.
Si tel est le cas une question mérite d'être
posée, celle de savoir si il faut attendre la survenance d'un attentat
terroriste pour que surgisse ce fameux « danger public
menaçant la vie de la
nation ? »
131) Avis du Commissaire aux droits de l'homme Alvaro Gil-robles
sur la dérogation à l'article 5 § 1, adoptée par le
Royaume-Uni, in RUDH
2002 volume 14 n° 1-4, pp 157-158.
Cependant on ne peut permettre que les Etats dérogent
facilement aux droits humains, car dans
une société démocratique, les droits de
l'homme bénéficient d'une priorité de principe, les Etats
doivent démontrer la nécessité de recourir à un
régime dérogatoire.
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