b) Le droit au respect de la vie privée
La notion de vie privée ne peut être définie
avec précision. Il s'agit d'une notion contingente dont
le contenu varie en fonction de l'époque, du milieu et de
la société dans lequel l'individu vit.
Il existe néanmoins une conception commune de la
vie privée que la doctrine a contribué à mettre en
lumière.
C'est ainsi que Thierry Garé définit la vie
privée comme étant : « Le domaine réservé
à l'individu, et protégé contre l'action et la
connaissance d'autrui » (127).
Une fois que l'on a pu la définir, la notion de vie
privée pose un autre problème, qui est celui de savoir si au nom
de la lutte contre le terrorisme, l'Etat peut s'ingérer dans la
sphère d'intimité d'une personne ?
La cour européenne des droits de l'homme a
répondu par l'affirmative à cette question dans l'affaire
« Klass et autres c. Allemagne » du 6 septembre 1978
(128).
Dans cette affaire, les requérants (juges et
avocats de Heidelberg et Mannheim) mettaient en cause la
compatibilité avec la Convention d'une modification apportée en
1968 à l'article 10 de
la Loi fondamentale ainsi que d'une loi sur les restrictions au
secret de la correspondance et des télécommunications.
L'amendement constitutionnel visait à permettre des
mesures d'interdiction des communications sans notification à
l'intéressé et sans contrôle juridictionnel si ces
mesures « visent à protéger l'ordre fondamental
libéral et démocratique, ou l'existence et la
sécurité du Pays. »
Bien qu'ils eussent obtenu de la Cour constitutionnelle, un
arrêt dans lequel celle-ci limitait la possibilité d'une absence
de toute notification à l'intéressé des mesures de
surveillance dont il faisait l'objet dans le cas où la notification
pouvait compromettre le but de la surveillance, ils
restèrent insatisfaits.
125) Vroom (C), op cit., p.187
126) Aldrich (G), « The taliban, Al Quaeda, and the
determination of illegal combatants », in AJIL, 2002-4 volume 96,
p.894.
127) Garé (T), Le droit des personnes (Connaissance du
droit), Dalloz, Paris, 2e édition, 2003, p.76.
128) Affaire « Klass et autres c. Royaume-Uni
», du 6 septembre 1978, in Jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l'homme, op cit., pp.452-455.
Les requérants contestaient la possibilité
même de mesures de surveillance secrètes adoptées sans
notification à l'intéressé, ainsi que
la substitution à un contrôle par le juge d'un
contrôle parlementaire.
La cour européenne fit néanmoins le constat
suivant : « Les sociétés démocratiques se trouvent
menacées de nos jours par des formes très complexes d'espionnage
et par le terrorisme, de sorte que l'Etat doit être capable, pour
combattre efficacement ces menaces, de surveiller en secret les
éléments subversifs opérant sur son territoire.
La cour doit donc admettre que l'existence de dispositions
législatives accordant des pouvoirs de surveillance discrète de
la correspondance, des envois postaux et de
télécommunications est, devant une situation exceptionnelle,
nécessaire dans une société démocratique
à la sécurité nationale, à la défense de
l'ordre et à la prévention des infractions pénales »
(129).
La cour conclut à l'absence de violation du droit au
respect de la vie privée. Cette jurisprudence évoque la
nécessité d'une « conciliation entre les
impératifs de la défense de la société
démocratique et ceux de la sauvegarde des droits individuels ».
La cour dans cette affaire a fait preuve d'un réalisme
salutaire car il était impératif d'admettre des restrictions afin
de lutter efficacement contre le terrorisme.
Cependant il ne faut pas perdre de vue que ces restrictions
doivent toujours se faire dans le cadre
du respect des droits fondamentaux.
Certaines lois par leurs dispositions violent
impunément ce droit à la vie privée, la loi
USA Patriot Act » constitue en la matière l'exemple le
plus frappant.
Cette loi permet d'élargir la portée des
mandats de perquisition pour les communications électroniques des
abonnés à un Service Internet.
Avant, on pouvait obtenir le nom et les coordonnées de
l'abonné. « Le Patriot Act » y ajoute des
renseignements sur la durée des visites à des sites
Internet, et sur la source et le moyen de paiement de l'abonnement.
Le projet « Patriot II », s'il est
adopté, permettra de donner au gouvernement fédéral
la possibilité de contrôler les abonnements à des revues,
l'emprunt de livres et bien d'autres choses (130).
Il est donc admis de déroger à certains droits dans
le cadre de la lutte contre le terrorisme, encore
faut-il le faire en respectant certaines conditions.
129) Ibidem, § 58.
130) Foillard (P), Droit constitutionnel et institutions
politiques, Paradigme, Orléans, 10e édition, 2004, p.97
B) Les Conditions de dérogation
aux droits fondamentaux
Le PIDCP (article 4), la CEDH (article 15, alinéa 1), la
CADH (article 27, alinéa 1) contiennent
une disposition similaire autorisant l'Etat partie à
suspendre la jouissance et l'exercice des droits proclamés en cas de
circonstances exceptionnelles.
La clause dérogatoire, qui confie à l'Etat le soin
d'apprécier les circonstances en cause et donc de
se libérer des obligations relatives aux droits de
l'homme, n'est pas sans risque.
En effet, c'est dans les circonstances exceptionnelles que
les droits de l'homme sont les plus menacés.
Toutefois, l'Etat ne dispose pas de pouvoirs arbitraires en la
matière, et les textes internationaux stipulent que le recours à
la clause dérogatoire par un Etat n'a pour effet de supprimer pour ce
dernier toutes les obligations découlant de la Convention pertinente.
La clause dérogatoire substitue à la
légalité normale une légalité exceptionnelle
adaptée aux circonstances.
Le recours à la clause dérogatoire est
subordonné à des conditions formelles (obligations
d'informer l'organe administratif compétent) et à des conditions
de fond.
Afin de pouvoir invoquer l'état d'urgence et pouvoir
ainsi déroger à certains droits de l'homme, l'Etat doit
démontrer qu'il existe un danger public menaçant la vie
de la nation (1), il doit démontrer la nécessité
de l'utilisation de ses mesures dérogatoires (2) pour mettre
fin à cette menace.
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