De la manoeuvre des moeurs et du silence des mots dans le lexique françaispar Julie Mamejean Faculté des Chênes, Cergy-Pontoise - DEA Lettres et Sciences du langage 2006 |
B- L'HexagonalNotre brève étude chronologique des différents synonymes utilisés pour désigner la locution « politiquement correct », commence par la notion d'Hexagonal. La France étant représentée grossièrement par la forme géométrique de l'hexagone, il est apparu évident que la langue française pouvait, par métonymie, être appelé « l'hexagonal », comme le confirme l'une des entrées admises de ce mot41(*). Si le terme est peu utilisé (nous n'avons pu trouver de documents attestant la naissance de cet emploi), il correspond néanmoins à un fidèle synonyme de « politiquement correct ». Présenté comme un jargon à prétention bienséante, l'hexagonal est utilisé essentiellement dans les grandes villes au début des années 1990, et est désigné comme « pentagonal » dans certains de ses usages excessifs comme lorsque le politiquement correct use du franglais (l'américanisation étant constaté surtout pour les domaines économique et commercial). Inspirant notamment l'écrivain Robert Beauvais dans les années 1970, les procédés de l'hexagonal sont détaillés et mis en situation dans un manuel du même nom, au travers de véritables scénettes évoquant la vie quotidienne. Selon cet auteur, l'hexagonal est tout simplement en passe de devenir la langue officielle de la France : « Aujourd'hui la France on l'appelle l'Hexagone. Et j'appelle Hexagonal le langage nouveau qui est en train de s'élaborer à l'intérieur de l'Hexagone, et cela à une telle cadence que le français ne sera bientôt plus qu'une langue morte »42(*). C- La « soft-idéologie »C'est ensuite le terme volontairement marqué de « soft-idéologie » qui va lui succéder. L'adjectif « soft » qui n'est pas sans rappeler l'origine américaine insiste bien sur l'aspect modéré du phénomène. L'expression apparaît dans les années 1980 comme étant une vulgate intellectuelle qui offre du réel une représentation douce, morale, voir anesthésiante, et dont la légitimité repose bien évidemment sur la soif d'apaisement des luttes idéologiques « (...) charité spectaculaire. Le binôme indignation-compassion est la base de cette morale sourcilleuse »43(*). Et l'adjectif « soft » garantit la fidèle exécution de ce binôme. Cette nouvelle variante est puissante dans la mesure où elle ne dit rien, ne signifie rien. Son mot d'ordre c'est le souple, le soft, le neutre, le light, et il s'intègre parfaitement à la langue française, se démocratise, en entre dans le dictionnaire en tant qu'adjectif familier anglicisé, ainsi que le définit le Petit Larousse, « FAM. Qui est relativement édulcoré, qui ne peut choquer ». * 41 « Qui concerne l'Hexagone, la France », Petit Larousse 2003 * 42 R.Beauvais, L'hexagonal..., p.8 * 43 F-B.Huyghe, La soft-idéologie, introduction |
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