De la manoeuvre des moeurs et du silence des mots dans le lexique françaispar Julie Mamejean Faculté des Chênes, Cergy-Pontoise - DEA Lettres et Sciences du langage 2006 |
D- Le multiculturalismeC'est durant les années 1990 que l'idéologie sous jacente résidant dans le concept philosophico-politique de « multiculturalisme », va émerger, forte de l'atmosphère ambiante. Ce terme tout d'abord employé au Canada où il illustre la mixité communautaire, se répand vite, et tend à passer pour un terme américain, ainsi que le confirme la seconde entrée de sa définition dans le dictionnaire du Petit Larousse : « Courant de pensée américain qui remet en cause l'hégémonie culturelle des couches blanches dirigeantes à l'égard des minorités (éthiques, sexuelles) et plaide en faveur d'une reconnaissance de ces dernières ». En France, lié au mouvement politiquement correct, il contribue à gratifier les minorités d'une image valorisante, et bien que l'usage du terme soit rare, il incarne la diversité érigée en dogme. Dès lors il contribue à un élargissement du public récepteur et par ce biais « rend explicite le caractère monoculturel et dévalorisant du langage »44(*) qui avait cours jusqu'alors. La mouvance politiquement correcte, forte de ce multiculturalisme, propose dorénavant un langage qui se veut universel. Et c'est au travers de cette variante que chaque individu va se reconnaître comme appartenant à un type de culture qui l'intègre à un ensemble promettant de le prémunir de l'exclusion : « Les caractéristiques physiques, mentales ou sociales sont ainsi promues au rang de culture, faisant de chaque individu le détenteur et le défenseur d'une quelconque spécificité culturelle. La culture est donc désacralisée pour ne plus être qu'un outil du multiculturalisme »45(*). E- La pensée uniqueEnfin, l'expression qui marquera certainement le plus le langage et les esprits, est celle de « pensée unique ». Si aujourd'hui cette expression entraîne de vives polémiques (nous y reviendrons ultérieurement), il nous faut la replacer dans son contexte de naissance, toute contemporaine qu'elle était /est au politiquement correct. Le terme de « pensée unique » apparaît fin des années 1980, début des années 1990. Désignée et nommée comme telle par J-F Kahn, la pensée unique n'est pas un concept inventé ou élaboré par une personne en particulier. Processus indépendant qu'on pourrait considérer comme auto-produit, la pensée unique (toujours au singulier puisque c'est la pensée dominante, majeure) est la représentation d'un socle d'idées communément admises et acquises, au travers duquel peut s'exprimer l'idéologie légitimée du politiquement correct. Et par un processus inverse, révélant tout le manichéisme de la situation, les pensées étrangères à la « pensée unique » sont présentées comme étant à supprimer. De fait, elle est précédée dans la plupart des dictionnaires (ici dans le Petit Larousse) de la mention « PEJ. » : « PEJ : L'ensemble des opinions dominantes, conventionnelles, des idées reçues, dans les domaines économique, politique et social ». Dès lors, la notion de pensée unique gagne certaines connotations : doit-on l'évoquer comme une simple intolérance linguistique ou faut-il plutôt y voir les prémisses d'un fascisme langagier ? : « Comment ne pas voir que (...) le nivellement des énoncés, recteur et facteur d'une pensée unique, s'en va (...) rejoindre les pires erreurs des régimes totalitaires ? »46(*). Cette rectitude linguistique qui ignore les sujets polémiques empêche donc de dire ce qui est. La pensée unique menace la liberté sous toutes ses formes. Pensée unique et politiquement correct engendrent les correspondances d'une liaison dangereuse au sein de laquelle la pensée unique adhère à la quête lexicale du politiquement correct. Pour reprendre le néologisme choisi par P. Merle, la pensée unique, mêlée au politiquement correct engage la tendance du « toutafisme », fait d'être systématiquement d'accord avec ce qu'on nous raconte47(*). Comme la définit J- P Chapon48(*) : « La pensée unique est la recherche frénétique d'un consensus sur les termes acceptables débouchant sur (...) une uniformité de pensée ». En usant de termes sans ambiguïtés, empruntés cela va de soi au vocable politiquement correct, la pensée unique permet de créer une pensée claire à l'abris de toute erreur d'interprétation ou de remise en cause. Son principal but est de traduire un énoncé, peu importe ce qu'il exprime, tant qu'il apparaît légitime et du goût de tous. Si toutes ces dénominations du politiquement correct français ont leur spécificité, elles se rejoignent néanmoins dans un esprit fédérateur, celui criant la volonté de taire certains mots pour ne plus dire que les bons. * 44 A.Semprini, Le multiculturalisme, p. 42 * 45 S.Desclous, Le politiquement correct, p.37-38 * 46J-F.Kahn, Dictionnaire..., p.32 * 47 P.Merle, Le dico du français..., p.218 * 48 Site Internet Agoravox |
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