2. Du problème de l'interopérabilité
Dans l'univers analogique, l'accès à l'oeuvre ne
nécessitait aucune autorisation.
« L'efficacité de ces systèmes repose sur
un compromis entre la compatibilité avec les
lecteurs et la fiabilité de la protection ».
Or, il semble aujourd'hui que ce compromis soit mis en cause
par bons nombres de consommateurs mécontents. En effet, alors
que ces mesures techniques de protection avaient été
crée pour empêcher les copies pirates, les
consommateurs (et les associations) se voient aujourd'hui
confrontés à une restriction qui est tout autre
: l'impossibilité de lire les CD sur certaines de leurs
platines.
La mise en place de mesures de protection pose divers
problèmes techniques comme une incompatibilité avec certains
appareils de lecture (1) ou une incompatibilité entre les formats
propriétaires (2).
Les incompatibilités avec certains appareils de
lecture
Elles se manifestent par des incompatibilités entre
certains formats de protections et certains appareils de lecture. Selon les
associations, les dispositifs techniques mis en place empêchent les
consommateurs d'user du produit de manière normale en empêchant
par exemple leur diffusion sur certains types de matériels. Les
associations ont donc lancé des actions sur le fondement de la tromperie
et du vice caché et elles ont obtenu gain de cause dans quelques
affaires.
Deux affaires ont contribué à médiatiser
les difficultés et les conséquences posées par la mise en
place de mesures techniques de protection, il s'agissait de CD audio assortis
de mesures techniques de protection et qui du fait de ces dernières ne
pouvaient pas être lus sur certains autoradios. À la suite de
plaintes de particuliers, des associations de consommateurs ont
décidé de poursuivre les producteurs des disques en question afin
de rétablir les droits des utilisateurs.
Les exemples jurisprudentiels
Une première affaire concernait l'album « Au fur
et à mesure » de Liane Foly, dont il a
été rapporté, suite à un test isolé, par
constat d'huissier, l'impossibilité d'être lu sur un autoradio
standard livré de série sur un véhicule. L'article L.
421-149 du code la consommation permet aux associations de consommateur
agrées « d'exercer les droits reconnus à la partie
civile relativement aux faits portant préjudice direct ou
indirect à l'intérêt collectif des consommateurs.
» L'association de consommateur CLCV (association pour la consommation, le
logement et le cadre de vie) saisit alors le TGI de Nanterre et agit contre la
société EMI, afin que le délit pénal de tromperie
soit reconnu et ainsi obtenir :
- d'une part, réparation du préjudice que ce
dernier a causé,
- d'autre part, faire cesser la pratique illicite.
Le 24 juin 2003, le TGI de Nanterre a donc répondu que
l'indication "Ce CD contient un dispositif technique limitant les
possibilités de copie", figurant sur les CD litigieux, ne
permettaient d'informer le consommateur que le système anti-copie
était susceptible de restreindre l'écoute de son disque sur un
autoradio ou un lecteur. Ce silence permettant d'induire le consommateur en
erreur, et, en omettant de l'informer de ces restrictions, la
société EMI Music s'était ainsi rendue coupable de
tromperie sur l'aptitude à l'emploi de ces produits. Le TGI de
Nanterre ordonna de plus que soit apposé sur le CD l'article L. 421-1 du
code de la consommation : « Les associations
régulièrement déclarées ayant pour objet
statutaire explicite la défense des intérêts des
consommateurs peuvent, si elles ont été
agréées à cette fin, exercer les droits reconnus
à la partie civile relativement aux faits portant un
préjudice direct ou indirect à l'intérêt
collectif des consommateurs. Les organisations définies
à l'article 2 du code de la famille et de l'aide sociale sont
dispensées de l'agrément pour agir en justice dans les
conditions prévues au présent article » ainsi
que la mention préconisée par la CLCV : «
attention, il ne peut être lu sur tout lecteur ou
autoradio ».
La deuxième affaire incriminait le même
procédé technique de protection qui posait des difficultés
de lecture du CD « J'veux du Live » d'Alain Souchon.
Ce CD ne pouvant être lu par une consommatrice sur son autoradio,
l'association de consommateurs « UFC Que Choisir » décida de
se joindre à elle pour assigner EMI France (le producteur) et la
société Auchan (distributeur), sur le fondement des vices
cachés et du défaut d'information.
Le 2 septembre 2003, le TGI de Nanterre considéra
qu'étant « justifié par constat d'huissier que le CD
"J'veux du Live" de Françoise M. distribué par la
société EMI Music France fonctionne à l'intérieur
de sa maison tant sur son poste radio que sur sa chaîne Hi-Fi mais ne
fonctionne pas sur le lecteur CD de son véhicule Renault Clio alors
qu'un autre CD s'écoute normalement sur cet autoradio » [...],
la consommatrice avait « établi que le CD litigieux
n'était pas audible sur tous ses supports, » et qu'ainsi,
« cette anomalie avait restreint son utilisation et
constituait un vice caché au sens de l'article 1641 du code
civil. »
Toutefois, faute de pouvoir présenter une
preuve d'achat (en l'espèce, son ticket de caisse), la
consommatrice n'a pu obtenir la condamnation d'Auchan. Enfin, et c'est
ce qui est peut-être le plus important dans cet arrêt, le tribunal
a jugé irrecevable l'action de l'UFC Que Choisir visant
à interdire à EMI-France d'utiliser lesdites "mesure
technique de protection", faute d'avoir été intentée
au principale.
Nous pouvons admettre qu'il est difficile de contrôler
le respect du droit dans ce nouvel environnement numérique ; même
si la nature des atteintes au droit d'auteur n'a pas fondamentalement
changé. Toutefois, afin d'empêcher les risques de
contrefaçon, ces mesures techniques empêchent un usage licite de
l'oeuvre. Ce n'est pas le contrefacteur qui est alors touché, mais
l'honnête consommateur. Ces différentes victoires des associations
de consommateurs et des particuliers ont contribué à mettre en
lumière les atteintes qui pourraient être portées aux
droits des consommateurs par ces mesures de protection : atteinte à
l'exception de copie privée ou tout simplement vente de produits
comportant des « vices cachés ».
Ces mesures techniques ne constituent pas une mise en balance
des intérêts de l'auteur et de l'utilisateur. En effet, outre le
fait que cette technique risque de remplacer à court terme le droit, le
Traité OMPI de 1996 demande aux Etats d'adopter une protection juridique
« contre la neutralisation des mesures techniques efficaces
qui sont mises en oeuvre par les auteurs dans le cadre de l'exercice
de leurs droits et qui restreignent l'accomplissement d'actes qui ne sont
pas autorisés par les auteurs ou par la loi ». La
protection juridique à venir de ces mesures techniques est
invraisemblable. On peut se demander alors où se trouve désormais
cet « équilibre entre l'incitation et l'usage » sur lequel
s'organisait toute la philosophie du droit d'auteur. Le consommateur souhaitant
avoir accès à un libre usage du CD qu'il a acheté pourrait
se faire condamner pour avoir détourné une mesure. Il
réside alors une certaine contradiction entre d'une part, ces textes
venant protéger ces mesures techniques et, d'autre part les
jurisprudences de juin et septembre 2003 qui prône l'accès le plus
libre et le plus éclairé possible du consommateur à
l'usage de l'oeuvre. Mais la tendance est aujourd'hui à un peu plus de
prudence. En effet, deux décisions récentes sont venues remettre
en cause les affaires Souchon et Foly.
Le 14 Janvier 2004, le TGI de Paris a rejeté la
demande de l'association de consommateurs CLCV dirigée contre les
sociétés contre SONY et BMG et tendant à
dénoncer le défaut d'information des usagers sur les
éventuels problèmes d'utilisation liés aux dispositifs
anti-copie. Le TGI de Paris a en effet considéré que la preuve
que la « cause de la défaillance technique
était due au système technique de protection ». Cette
décision semblait opérer un certain revirement par rapport au TGI
de Nanterre. Alors que la théorie des vices cachés avait pu
être mise reconnue en septembre 2003, l'absence d'une preuve
précise en Janvier 2004 a fait balancer la décision en faveur des
distributeurs et éditeurs.
Le 28 février dernier, un consommateur ainsi que
l'UFC-Que Choisir, avaient porté plainte contre les
sociétés Films Alain Sarde, Universal pictures
video France et Studio Canal au motif qu'il était impossible de
réaliser la copie du DVD d'un film produit et distribué par
lesdites sociétés. Les plaignants reprochaient notamment aux
défendeurs d'avoir inséré un dispositif technique contre
la copie sur le média sans en informer les acheteurs. Cette pratique
serait, selon les demandeurs, contraire à ce qu'exige normalement
l'article L.111-1 du Code de la consommation qui dispose que
« tout professionnel vendeur de biens ou prestataire de services
doit, avant la conclusion du contrat, mettre le consommateur en mesure de
connaître les caractéristiques essentielles du bien ou du
service ».
Contrairement aux précédentes décisions
en la matière sur les cd audio protégés où les
juridictions ont retenu le vice caché le tribunal a
débouté les demandeurs en se basant sur les dispositions de la
directive, alors même que celle-ci n'est pas encore transposée :
« bien que cette directive (la directive européenne) ne
soit pas encore transposée, il demeure que les dispositions internes
doivent être interprétées à sa
lumière ». Après avoir démontré que
le DVD ne peut pas bénéficier de l'exception de copie
privée il retient que « ne constitue pas une
caractéristique essentielle d'un tel produit la possibilité de le
reproduire alors surtout qu'il ne peut bénéficier de l'exception
de copie privée ».
Le Tribunal n'a donc pas retenu l'argument des consommateurs
qui invoquaient un « droit à » la copie privée en
contrepartie de la rémunération pour copie privée,
instituée par la loi n°85-660 du 3 juillet 1985.
Les juges ont ainsi envisagé la copie privée
comme une exception et non comme un « droit» de ce fait, ils
se sont prononcés de manière implicite en faveur d'une
légalisation des mesures techniques de protection, peu importe
si elles empêchent le recours à la copie privée.
Il semble n'y avoir aucun fondement juridique à cette
décision du TGI de Paris. En effet, seules les considérations
économiques des distributeurs et éditeurs semblent être
mises en avant ici et la protection de ces mesures techniques de protection
l'emporte donc sur la conservation des exceptions au droit d'auteur, qui sont
autant de « droits » pour les consommateurs. Le TGI de Paris semble
avoir donné sa propre vision et application de la Directive
européenne de 2001, alors même qu'elle n'était pas encore
transposée en France. Alors que le consommateur ne revendiquait qu'un
« droit » de copie privée, prévu par les dispositions
du CPI, le Tribunal le rend impossible, puisque selon lui, cette copie
porterait atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre.
Une adaptation des modes de consommation et d'utilisation des
oeuvres est nécessaire, mais elle ne doit en aucun cas conduire à
une révolution ou à la mort des textes de propriété
intellectuelle : outre les restrictions que les mesures techniques de
protection portent au droit d'usage, comme nous l'avons
démontré avec les jurisprudences Foly et Souchon, nous sommes
aujourd'hui forcés de constater qu'elles portent atteinte aux
exceptions au droit d'auteur, considérées parfois comme
d'autres « droits » du consommateur.
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