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Le système de preuve devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda

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par Liliane Egounlety
UNIVERSITE D'ABOMEY-CALAVI (Bénin) - DEA Droits de l'Homme et Démocratie 2005
  

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B- L'incitation directe et publique à commettre le crime de génocide

En droit romano germanique, l'incitation est considérée comme un acte de complicité alors que dans la common law, elle apparaît comme une forme particulière de complicité201(*).

Dans le Statut du TPIR, l'incitation directe et publique est expressément prévue, à l'alinéa c) du paragraphe 3 de l'article 2, comme un crime particulier, punissable en tant que tel. On voit bien là l'influence de la common law. Mais que signifie "l'incitation, directe et publique" et comment peut-on la démontrer ?

L'incitation est définie en common law, comme le fait d'encourager ou de persuader une autre personne à commettre une infraction. Une certaine jurisprudence en common law prévoit par ailleurs que des menaces ou d'autres formes de pressions peuvent être une forme d'incitation202(*). Le droit continental pénalise l'incitation directe et publique sous la forme de la provocation, cette dernière étant définie comme l'action qui vise à provoquer directement autrui à commettre un crime ou un délit par des discours, cris ou menaces ou par tout moyen de communication audiovisuelle. Cette provocation, telle qu'elle est définie en droit continental, présente les mêmes caractères que l'incitation publique et directe à commettre le génocide prévue à l'article 2 du Statut, à savoir qu'elle doit être "directe et publique" 203(*).

Le caractère "direct" de l'incitation veut que l'incitation prenne une forme directe et provoque expressément autrui à entreprendre une action criminelle et qu'une simple suggestion, vague et indirecte, soit quant à elle insuffisante pour constituer une incitation directe. En droit romano-germanique, on considère que la provocation, l'équivalent de l'incitation, est directe si elle tend à l'accomplissement d'une infraction précise.

L'accusation doit pouvoir prouver le lien certain de cause à effet entre l'acte qualifié d'incitation ou en l'espèce de provocation, et une infraction particulière. La Chambre considère toutefois qu'il est approprié d'évaluer le caractère direct d'une incitation à la lumière d'une culture et d'une langue donnée. En effet, le même discours prononcé dans un pays ou dans un autre, selon le public, sera ou non perçu comme "direct". De plus, la Chambre rappelle qu'une incitation peut être directe et néanmoins implicite. La Chambre évaluera donc au cas par cas si elle estime, compte tenu de la culture du Rwanda et des circonstances spécifiques de la cause, que l'incitation peut être considérée comme directe ou non, en s'appuyant principalement sur la question de savoir si les personnes à qui le message était destiné en ont directement saisi la portée204(*).

Quant au caractère public de l'incitation, il se matérialise comme la CDI l'a signifié, par un appel à commettre un crime lancé dans un lieu public à un certain nombre d'individus ou encore un appel lancé au grand public par des moyens tels que les médias de masse, radio ou télévision par exemple. En somme, l'incitation directe et publique peut être définie, aux fins de l'interprétation de l'article 2 (3) c), comme le fait de directement provoquer l'auteur ou les auteurs à commettre un génocide, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits205(*), des imprimés vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou affiches, exposés aux regards du public, soit par tout autre moyen de communication audiovisuelle.

L'élément moral du crime d'incitation directe et publique à commettre le génocide doit être également prouvé. Il réside dans l'intention d'amener directement ou de provoquer autrui à commettre un génocide. Il suppose la volonté du coupable de créer, par ces agissements, chez la ou les personnes à qui il s'adresse, l'état d'esprit propre à susciter la commission de ce crime. C'est-à-dire que celui qui incite à commettre le génocide est lui-même forcément animé de l'intention spécifique au génocide: celle de détruire en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel. Toutefois, il faut noter que l'incitation à commettre le génocide est assimilé à une infraction formelle, réputée punissable indépendamment de son résultat. Elle est donc punissable même si elle n'a pas été suivie d'effets206(*).

C'est dire qu'au-delà des faits matériels constitutifs du crime de génocide, plus qu'autre chose, c'est l'intention spécifique à laquelle on donne vie pour produire le résultat macabre escompté, qui est punie.

* 201 Ibid., § 551.

* 202 Voir note 122 de la décision précitée "someone who instigates or encourages another person to commit an offence should be liable to conviction for those acts of incitement, both because he is culpable for trying to cause a crime and because such liability is a step towards crime prevention", Andrew ASHWORTH, Principles of Criminal Law, Clarendon Press, Oxford, 1995, p. 462.

* 203 Affaire n° ICTR-96-4-T, Le Procureur c. Jean-Paul AKAYESU, § 554.

* 204 Dans l'affaire AKAYESU, sur la base des témoignages concordants revenus tout au long du procès et sur les indications que lui a fournies le Dr. RUZINDANA, cité comme témoin-expert sur des questions de linguistique, la Chambre est convaincue au-delà de tout doute raisonnable que la population a compris qu'AKAYESU appelait ainsi à tuer les Tutsi. AKAYESU lui-même était parfaitement conscient de la portée de ses propos sur la foule et du fait que ses appels à lutter contre les complices des Inkotanyi seraient compris comme des appels à tuer les Tutsi en général.

* 205 La plus célèbre condamnation pour incitation à commettre des crimes de portée internationale a sans doute été celle prononcée contre Julius STREICHER, par le Tribunal de Nuremberg, en raison des articles violemment antisémites qu'il avait publiés dans l'hebdomadaire Der Stürmer. Le Tribunal de Nuremberg a estimé que: « Le fait pour Streicher d'inciter au meurtre et à l'extermination, à une époque où les Juifs dans l'Est étaient massacrés dans des conditions inqualifiables, constitue manifestement la persécution pour des raisons politiques et raciales en rapport avec des crimes de guerre au sens du Statut et un crime contre l'humanité », Procès de Nuremberg, Vol. 22, p. 502.

* 206 Aff. n° ICTR-96-4-T, Le Procureur c/. Jean-Paul AKAYESU, § 562. De l'avis de la Chambre, ce qui justifie que ces actes soient exceptionnellement réprimés est le fait qu'ils sont, en eux-même, des actes particulièrement dangereux parce que porteurs d'un très grand risque pour la société, même s'ils ne sont pas suivis d'effet. La Chambre considère que le génocide relève évidemment de cette catégorie de crimes dont la gravité est telle que l'incitation directe et publique à le commettre doit être pénalisée en tant que telle, même dans les cas où l'incitation n'aurait pas atteint le résultat escompté par son auteur.

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