Le système de preuve devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda( Télécharger le fichier original )par Liliane Egounlety UNIVERSITE D'ABOMEY-CALAVI (Bénin) - DEA Droits de l'Homme et Démocratie 2005 |
PARAGRAPHE 2 : LA PARTICIPATION CRIMINELLELa participation criminelle d'une personne à la commission du crime de génocide se matérialise par des faits, mais en général, elle est analysée sous l'angle de la responsabilité pénale individuelle. Elle recouvre plusieurs formes, dont les plus fréquentes en matière de génocide sont la complicité dans le génocide (A) et l'incitation à commettre le crime de génocide (B). A- La complicité dans le génocideAlors que dans le Statut du Tribunal Militaire International de Nuremberg (TMIN), le principe était déjà admis que la complicité ou le complot dans la commission d'un crime contre la paix, d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité, est un crime au regard du droit international et puni en conséquence197(*), la Convention sur le génocide n'a pas retenu la possibilité d'incriminer la complicité dans la tentative de commettre le génocide, la complicité dans l'incitation à commettre le génocide ou encore la complicité dans l'entente en vue de commettre le génocide; notions qui semblaient trop vagues à certains Etats pour tomber sous le coup de la Convention. Cette lacune a vite été remédiée dans la mise en oeuvre de la répression du génocide rwandais. A cet effet, le Statut du TPIR, en son article 2 al 3 e), prévoit que le Tribunal est compétent pour punir les personnes ayant commis le crime de complicité dans le génocide. Un crime que l'on retrouve dans la plupart des actes d'accusation élaborés par le bureau du procureur du TPIR. C'est donc un crime sur lequel le Tribunal a statué plusieurs fois. A ce titre, il constate que la complicité est une forme de participation criminelle prévue par tous les systèmes juridiques de droit criminel, notamment par le système anglo-saxon ("common law") et par le système de tradition romano-continentale ou "civil law"198(*). Le complice d'une infraction peut être défini comme celui qui s'unit à une infraction commise par un autre. La complicité suppose nécessairement l'existence d'une infraction principale, donc d'un auteur principal. En conséquence, la criminalité du complice n'apparaît que lorsque l'infraction a été réalisée par l'auteur principal. Mais, à l'opposé de la matérialité de l'infraction commise par le complice, le jugement et l'incrimination de ce dernier répondent à un autre principe. Ainsi, comme le prévoient l'ensemble des systèmes criminels, un complice peut être jugé, même si l'auteur principal de l'infraction n'a pas été retrouvé ou si une culpabilité ne peut pas, pour d'autres raisons, être établie. Pour faire la preuve de cette complicité dans le génocide, il faut pouvoir démontrer un certain nombre d'éléments matériels, "actus reus", qui sont les modes de participation du complice à l'infraction principale. En droit romano-germanique, ces modes de participation sont au nombre de trois à savoir : la complicité par instigation, la complicité par aide et assistance, et la complicité par fourniture de moyens. En common law, les critères de la complicité ne semblent pas différents. Les formes de participation de la complicité que sont "aid and abet, counsel and procure" recoupent dans une large mesure celles admises en droit romano-germanique que sont l'aide, l'assistance et la fourniture de moyens. La notion de complicité n'ayant pas été définie dans l'article 2 du Statut du TPIR, la Chambre I du TPIR a procédé à une interprétation de cet article. Elle a retenu la définition de la complicité donnée par le code pénal rwandais, ainsi que les trois premières formes de participation criminelle prévues à l'article 91 du même code, en tant que constitutives de complicité dans le génocide, soit: - la complicité par fourniture de moyens, tels des armes, instruments ou tout autre moyen ayant servi à commettre un génocide, le complice ayant su que ces moyens devaient y servir; - la complicité par aide ou assistance sciemment fournie à l'auteur d'un génocide dans les faits qui l'ont préparé ou facilité; - la complicité par instigation, qui sanctionne la personne qui, sans directement participer au crime de génocide, a donné instruction de commettre un génocide, par dons, promesses, menaces, abus d'autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, ou a directement provoqué à commettre un génocide Quant à l'élément moral ou intentionnel de la complicité en général, il suppose la conscience chez l'agent, au moment où il agit, du concours qu'il apporte dans la réalisation de l'infraction principale. Autrement dit, l'agent doit avoir agi en connaissance de cause. En matière de génocide, l'intention propre au complice est donc bien d'aider ou d'assister, en connaissance de cause, une ou plusieurs autres personnes à commettre un crime de génocide. La Chambre considère que le complice dans le génocide n'a donc pas nécessairement à être lui-même animé du dol spécial du génocide199(*). Ainsi, si l'accusé a, par exemple, sciemment aidé ou assisté quelqu'un à commettre un meurtre donné, sans avoir connaissance du fait que le meurtrier tuait dans l'intention de détruire en tout ou en partie le groupe auquel la personne tuée appartenait, l'accusé pourrait être poursuivi pour complicité de meurtre et non certainement pas pour complicité de génocide. Si, par contre, l'accusé a sciemment aidé ou assisté à commettre ce meurtre alors qu'il savait ou aurait du savoir que le meurtrier était habité d'une intention génocidaire, l'accusé est bien complice de génocide, même si lui-même ne partageait pas l'intention du meurtrier de détruire le groupe200(*). En somme, pour qu'un accusé soit jugé complice du crime de génocide, il n'est pas nécessaire de faire la preuve de ce qu'il est animé de l'intention de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel, contrairement à l'incitation à commettre le crime de génocide. * 197 Statut du TMIN du 8 août 1945, art 6, «[...] Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l'élaboration ou à l'exécution d'un plan concerté ou d'un complot pour commettre l'un quelconque des crimes-ci-dessus définis sont responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes en exécution de ce plan ». * 198 Aff. n° ICTR-96-4-T, Le Procureur c/ Jean-Paul AKAYESU, § 527. * 199 Ibid., § 540. * 200 Ibid., § 541. |
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