Le système de preuve devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda( Télécharger le fichier original )par Liliane Egounlety UNIVERSITE D'ABOMEY-CALAVI (Bénin) - DEA Droits de l'Homme et Démocratie 2005 |
B- Le génocide biologique et culturelLes génocides biologique et culturel s'opposent au génocide physique en raison des modalités de perpétration et des aspects sur lesquels ils portent. Pour le génocide biologique, il faut retenir qu'il est constitué par des mesures qui visent à l'extinction du groupe en mettant systématiquement obstacle aux naissances. Il peut très facilement être apparenté au génocide physique, en ce sens qu'il se matérialise par des actions médicales. La Chambre considère que, aux fins de l'interprétation de l'article 2 al 2 d) du Statut, par "mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe", il faut comprendre la mutilation sexuelle, la pratique de la stérilisation, l'utilisation forcée de moyens contraceptifs, la séparation des sexes, l'interdiction des mariages. Dans le contexte de sociétés patriarcales, où l'appartenance au groupe est dictée par l'identité du père, un exemple de mesure visant à entraver les naissances au sein d'un groupe est celle du cas où, durant un viol, une femme dudit groupe est délibérément ensemencée par un homme d'un autre groupe, dans l'intention de l'amener à donner naissance à un enfant, qui n'appartiendra alors pas au groupe de sa mère. De plus, la Chambre note que les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe peuvent être d'ordre physique, mais aussi d'ordre mental. A titre d'exemple, le viol peut être une mesure visant à entraver les naissances, lorsque la personne violée refuse subséquemment de procréer, de même que les membres d'un groupe peuvent être amenés par menaces ou traumatismes infligés à ne plus procréer. Quant au génocide culturel, il peut être constitué par le transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe, un acte visant la disparition des traits caractéristiques du groupe dans les nouvelles générations. Il peut aussi constituer en une politique d'assimilation qui, sans porter atteinte à l'intégrité physique des membres d'un groupe, cherche à le détruire comme tel en interdisant par exemple l'usage de sa langue, de l'observance de ses cultes autochtones, le respect de ses us et coutumes, et les manifestations culturelles de ce groupe. Selon le philosophe-sociologue Jean-Michel CHAUMONT, le génocide culturel ainsi défini serait plutôt qualifié d'ethnocide192(*). Le TPIR, a ce sujet, a précisé que la menace d'un tel transfert était suffisante au regard de cette disposition pour conclure à une tentative de génocide193(*). De façon générale, il faut reconnaître que le génocide rwandais, a essentiellement constitué en actes physiques et même si les actes d'accusation établis jusque-là comportent le chef d'accusation de génocide, il n'a jamais été spécifié ni la nature du génocide, ni la nécessité de démontrer de quel genre de génocide l'accusé était responsable. La chambre, largement, avait la preuve qu'un génocide avait été perpétré au Rwanda, et c'était le plus important. Pour elle donc, à travers ces tueries généralisées dont les victimes étaient essentiellement Tutsi, la première condition pour qu'il y ait génocide était remplie, en l'occurrence, meurtres et atteintes graves à l'intégrité corporelle de membres d'un groupe194(*). La deuxième condition est que ces meurtres et atteintes graves à l'intégrité physique aient été commis dans l'intention de détruire, en tout ou partie, un groupe particulier, ciblé comme tel195(*). Pour la Chambre, il ne fait aucun doute que, de par leur ampleur incontestable, leur caractère systématique et leur atrocité, les massacres visaient l'extermination du groupe qui était ciblé. Beaucoup de faits attestent que le dessein des auteurs de ces tueries était de faire disparaître à jamais le groupe Tutsi. Ainsi, dans son témoignage devant la Chambre, le 25 février 1997, le témoin-expert Alison DESFORGES a déclaré ce qui suit: "Sur la base des déclarations faites par certains dirigeants politiques, sur la base des chansons et slogans populaires des Interhamwe, je crois que, pour ces personnes, l'intention était d'éliminer, entièrement, les Tutsi du Rwanda, de manière que, comme ils l'ont dit à certaines occasions, leurs enfants, plus tard, ne sachent pas à quoi ressemble un Tutsi, sinon en recourant aux manuels d'histoire"196(*). Cette déclaration prouve bien l'existence d'une préméditation d'exterminer les Tutsi. Une préméditation au service de laquelle des êtres humains se sont unis pour attenter à la vie de leurs semblables. * 192 Jean-Michel CHAUMONT, La concurrence des victimes :génocide, identité et reconnaissance, Editions La Découverte, Paris, 2002, p. 208. * 193 Aff. n° ICTR-96-4-T, Le Procureur c. Jean-Paul AKAYESU, § 509. * 194 Ibid., § 116. * 195 Ibid., § 117. * 196 Ibid., § 118. |
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