PREMIÈRE PARTIE
LA NOTION GÉNÉRALE DU POUVOIR
DISCRÉTIONNAIRE DE L'ADMINISTRATION
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La notion de pouvoir discrétionnaire de
l'Administration peut être abordée à partir de sa
définition et ses différents cas de figure d'une part, et de ses
principaux domaines d'autre part.
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CHAPITRE I
DÉFINITION ET DIFFÉRENTS CAS DE
FIGURE
DU POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE
L'étude du pouvoir discrétionnaire suppose que
l'on donne d'abord sa définition, avant de voir ses cas de figure.
SECTION I: DÉFINITION DU POUVOIR
DISCRÉTIONNAIRE
Le pouvoir discrétionnaire est une modalité
particulière de l'action administrative qui se distingue de la
compétence liée ; il porte sur un ou plusieurs
éléments de l'acte administratif unilatéral, et entretient
des rapports étroits avec les éléments liés de
l'acte.
§1- Le pouvoir discrétionnaire, une
modalité de l'action administrative
Le pouvoir discrétionnaire est une modalité de
l'action administrative laissée à la libre appréciation de
l'Administration lorsque sa décision n'est pas
prédéterminée par la réglementation ; elle est
libre d'apprécier l'opportunité de son action d'une part, et le
choix du contenu de sa décision d'autre part.
A. L'appréciation de l'opportunité de
l'action
L'Administration dispose d'un pouvoir d'appréciation
qui est non soumise à aucune condition d'une part, et soumise d'autre
part.
1. L'appréciation non soumise à aucune
condition
Il s'agit de la situation où la décision de
procéder à l'action dépend entièrement de
l'appréciation de l'autorité administrative sans être
liée par la réalisation d'une condition extérieure. Il
faut toutefois atténuer cette façon de présenter les
choses en constatant que, dans l'absolu, il n'existe pas de décision
entièrement soustraite de toute condition. Toute décision
discrétionnaire est censée
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au moins poursuivre l'unique but de la satisfaction de
l'intérêt général. Sous cet angle, l'exercice de la
faculté d'agir est au moins conditionné par le but
d'intérêt général. Mais dans la mesure où
rien n'indique à l'Administration la manière dont elle doit se
conduire pour l'atteindre, « l'on estime qu'il n'y a aucune condition
à son action »4. Cette situation peut se manifester dans
plusieurs domaines. À titre d'illustration, l'autorité
administrative dispose d'une faculté d'action dans la mise en oeuvre
d'une politique publique, dans l'exercice du pouvoir disciplinaire, dans le
recours aux dérogations.
En ce qui concerne la mise en oeuvre des politiques publiques,
qui constituent une stratégie conduite par l'Administration avec un
ensemble de moyens pour agir sur une situation structurelle ou conjoncturelle
déterminée, l'Administration dispose du choix des moyens. Cela
lui confère par voie de conséquence une faculté d'action.
Elle peut recourir à l'expropriation pour cause d'utilité
publique pour la construction des routes, des écoles, des hôpitaux
ou d'autres ouvrages d'intérêt public. Elle a encore la
faculté de recourir à la décentralisation ou à la
concession des services publics.
Quant à l'exercice du pouvoir disciplinaire,
l'autorité administrative apprécie l'opportunité de
déclencher les poursuites disciplinaires, ce principe est
dégagé par l'arrêt Abasse OMAR. A l'instar de la
procédure pénale, elle est le seul juge de l'opportunité
de poursuite. Dans le cas de l'espèce, le sieur Issop Manssoor Abasse
Omar, membre d'un syndicat, a demandé à la Chambre Administrative
l'annulation de la décision de l'Administration portant
révocation de sa fonction. A l'appui de sa requête, il a
soulevé la violation du principe d'égalité de traitement
au motif que certains agents ayant commis de fautes professionnelles plus
graves que lui n'ont pas été révoqués de leur
fonction. Le juge administratif a saisi cette occasion pour affirmer que
l'Administration dispose d'un pouvoir discrétionnaire en matière
de sanction disciplinaire. En effet, il a été
décidé que le principe d'égalité de traitement
« ne peut jouer en matière de sanction disciplinaire en ce que
l'Administration dans l'exercice de ses prérogatives dispose d'un
pouvoir discrétionnaire très large; qu'elle n'est pas tenue
d'infliger les mêmes sanctions à ses agents fautifs, lesquelles
4 Jean-Marie WOEHRLING, Le contrôle
juridictionnel du pouvoir discrétionnaire en France, Dalloz, 1999, p.
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sanctions ont été prévues dans une
fourchette »5 du Règlement du personnel. Dans les cas
où la loi prévoit la possibilité d'une dérogation,
l'autorité administrative a la faculté et non l'obligation d'en
faire usage.
L'appréciation de l'opportunité de l'action
comporte également le libre choix du moment d'agir. L'on a d'ailleurs
toujours considéré que l'autorité administrative a
toujours la liberté du choix du moment, peu importe que sa
compétence soit liée ou non. L'évolution du droit commande
cependant de tempérer cette considération dans la mesure
où le choix du moment pourrait affecter une décision
administrative. L'autorité qui est obligée d'agir doit se
conformer à la règle du « délai raisonnable
»6.
2. L'appréciation soumise à une
condition
Lorsque la condition est déterminée de
manière vague ou lorsque la réalisation d'une est soumise
à la réunion d'un certain nombre d'éléments
laissés à l'appréciation de l'Administration, «
celle-ci a la faculté d'agir si elle estime que la condition est remplie
»7. Dans ce cas de compétence conditionnée,
l'Administration peut ne pas agir, mais si elle agit, elle doit se conformer
aux conditions fixées par les textes en vigueur. Ce principe est
dégagé par l'arrêt Jules H RANDRIAMAHOLISON. Les faits se
résument de la manière suivante. Le requérant, Docteur
diplômé d'Etat, a été nommé le 2 juillet
1997, par arrêté du Ministre du Commerce, Chef de Service
médico-social. Etant donné qu'il s'absentait souvent, pour des
raisons politiques (un des animateurs de grève), l'Administration
l'avait remis à la disposition du Ministère de la Fonction
publique, avant d'être affecté au Ministère de la
Santé. Le sieur RANDRIAMAHALISON a intenté un recours pour
excès de pouvoir devant la Chambre Administrative pour violation de la
règle du parallélisme des formes en ce que l'arrêté
du 2 juillet 1997 n'était pas abrogé. Le requérant avait
eu gain de cause, car d'après le juge administratif, le Ministre du
Commerce dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en
matière de nomination, doit respecter la règle des
parallélismes des formes dès qu'il entend abroger cette
nomination. Telle est la règle posée par cet arrêt en
termes ci-après: « ... que le Ministre du Commerce dispose
5 C.A, 18 septembre 1985, Issop Mansoor Abasse OMAR,
RJCA de 1977 à 2003, Jurid'Ika, 2004, n° 148, p. 193
6 Jean-Marie WOEHRLING, Le contrôle
juridictionnel du pouvoir discrétionnaire en France, Op.cit, p. 128
7 Alain BOCKEL, Contribution à l'étude
du pouvoir discrétionnaire de l'administration, Economica, 1979, p.
358
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d'un pouvoir discrétionnaire en matière de
nomination de Chef de Service médico-social de son département ne
dispense pas cette autorité de respecter la forme de l'acte qu'il a
édicté lorsqu'il étend mettre fin à cette
nomination »8. Dans cette affaire, l'exercice du pouvoir
discrétionnaire a été affecté par l'inobservation
de la règle du parallélisme des formes, un des
éléments du contrôle de la légalité
externe.
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