§2- Le contrôle de proportionnalité
Le contrôle de proportionnalité a
été inauguré en matière d'expropriation, par la
théorie du bilan, puis il a été progressivement
étendu à d'autres hypothèses. Il convient de souligner que
l'Administration dispose d'un pouvoir discrétionnaire dans le choix de
procéder ou non à l'expropriation pour cause d'utilité
publique. Mais dès que le choix est fait, les différentes phases
de la procédure administrative ne sont pas toujours
discrétionnaires ; notamment l'appréciation de l'utilité
publique. Tel est le contexte dans lequel s'inscrit la théorie du bilan,
basée sur le contrôle de proportionnalité entre les couts
de l'opération projetée et les avantages escomptés.
A. La théorie du bilan
La notion est née en matière d'expropriation
pour cause d'utilité publique. Elle permet au juge de l'excès de
pouvoir d'apprécier si, dans l'expropriation projetée, les
atteintes à la propriété privée, le coût
financier et éventuellement les inconvénients d'ordre social que
comporte l'opération ne sont pas excessifs eu égard aux avantages
escomptés. Ce principe est dégagé par le Conseil d'Etat
par l'arrêt Ville
64 C.E, 14 janvier 1916, Camino, Op.cit.
43
Nouvelle Est65. Les inconvénients nés
de l'expropriation ne doivent pas être excessifs par rapport aux
avantages attendus.
On peut considérer que d'une part, le juge
administratif exerce un contrôle complet des éléments de
fait du dossier tant du côté des avantages qui ont motivé
la décision de l'autorité administrative à la
réalisation du projet, que des inconvénients résultant de
ce projet. D'autre part, il s'agit d'une mise en équivalence, d'une
stricte proportionnalité, car le juge est prêt à
sanctionner les atteintes excessives, c'est-à-dire lorsqu'il y a plus
des inconvénients que des avantages. La théorie du bilan n'est
certes pas d'application fréquente. Pour être mise en oeuvre en
matière d'expropriation, il faut que la décision administrative
ait déjà résisté à deux examens successifs:
celui de l'existence d'un intérêt public, c'est-à-dire en
d'un besoin réel; celui de la nécessité de l'expropriation
c'est-à-dire le même résultat ne pouvant pas être
obtenu par d'autres procédures.
B. Les autres domaines du contrôle de
proportionnalité.
Le contrôle de proportionnalité s'applique dans
des domaines divers, comme en matière de mesure de police et de sanction
disciplinaire.
1. Le contrôle de proportionnalité en
matière de mesure de police
Dans ce domaine, le principe de proportionnalité est
appliqué de façon très rigoureuse par le juge. Une
décision ne sera légale qu'à condition d'être
pleinement proportionnée aux faits. Les mesures de police ne sont
légales que si elles sont nécessaires. Une mesure de police est
donc illégale si elle porte atteinte à une liberté alors
qu'elle n'est pas nécessaire pour éviter tout trouble à
l'ordre public. Le juge vérifie ainsi l'adéquation de la
décision à la situation de fait compte tenu de l'objectif
recherché par l'autorité. C'est le cas dans l'arrêt
Benjamin du Conseil d'Etat en 1933: l'interdiction d'une réunion n'est
pas légalement justifiée dès lors que des mesures plus
souples permettaient de préserver l'ordre public. En l'espèce, le
maire aurait pu en faire appel à la gendarmerie et la garde mobile, pour
éviter tout désordre, tout en laissant René Benjamin
donner son conférence.
65 CE, 28 mai 1971, Ville nouvelle Est, G.A, Dalloz,
1993, n° 106, p. 648
44
Dans cette affaire, Sieur Benjamin devrait donner à
Nerves une conférence littéraire, « Deux auteurs comiques:
Courteline et Sacha Guiny ». Les instituteurs syndiqués firent
savoir au maire qu'ils s'opposaient par tous les moyens à ce qu'il n'y
ait lieu la conférence d'un homme « qui avait sali dans ses
écrits le personnel de l'enseignement laïc »66. Par
la presse, les tracts et les affiches, ils convièrent à une
contre-manifestation des défenseurs de l'école publique, des
syndicats, des groupements de gauche. Le maire de Nevers prit, à, la
suite de cette campagne, un arrêté interdisant la
conférence de Sieur Benjamin. Puis le syndicats fit une annonce et
substitue la conférence publique en conférence privée.
2. Le contrôle de proportionnalité des
sanctions disciplinaires
L'Administration dispose d'un pouvoir discrétionnaire
en matière de déclenchement de l'action disciplinaire. Cependant
ces appréciations discrétionnaires connaissent des limites, une
fois que la poursuite disciplinaire est engagée contre un fonctionnaire.
Parmi ces limites figure le respect du principe de proportionnalité des
sanctions.
Le juge administratif opère un contrôle de
proportionnalité sur les décisions administratives portant
sanctions disciplinaires. Car la nature de la faute commise et la
gravité de la sanction infligée ne doivent pas être
disproportionnées, c'est-à-dire que les sanctions doivent
être proportionnelles à la faute commise. Ce principe est
dégagé par l'arrêt RAHOLDINA Fiara.
Dans cette affaire, le Sieur RAHOLDINA Fiara Hafadrainy
Augustino, ancien-Administrateur Civil, sollicite de la Chambre Administrative
l'annulation des arrêtés du 29 février 1980, par lesquels
il a été révoqué de son emploi avec
déchéance définitive des droits éventuellement
acquis à pension et déclaré incapable, à jamais,
d'exercer aucune fonction publique. Or, en l'espèce, les
irrégularités commises par le Sieur RAHOLDINA l'ont
été sous la pression des circonstances dont l'insuffisance des
crédits attribués à la sous-préfecture pour la
continuité du service public. La Cour a statué que les sanctions
prises par l'Administration sont dispropotionées car elles:
66 CE, 19 mai 1933, Benjamain, G.A, Dalloz, 1993,
n° 52, p. 277
45
« ... font apparaître, que l'Administration n'a pas
toujours fait les diligences nécessaires à une réelle
manifestation de la vérité ... »67.
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