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L'individu devant les juridictions africaines de protection des droits de l'homme. Cas de la cour ADHP et de la CJ CEDEAO.


par Gildas Hermann KPOSSOU
Université d'Abomey-Calavi (UAC)  - Master 2 Recherche en Droit International et Organisations Internationales  2015
  

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Paragraphe 2 : Les restrictions de l'accès individuel devant la Cour

L'accès de l'individu à la Cour africaine est certes consacré par les dispositions du Traité instituant la Cour, mais l'effectivité du droit de saisine directe reste à redouter (A). Par ailleurs, l'appropriation de la saisine indirecte du juge d'Arusha (B) constitue une limite à l'accès de l'individu à la juridiction pour faire respecter ou rétablir ses droits fondamentaux.

A. L'inexistence d'un droit de saisine directe

En devenant parties au Protocole, les Etats acceptent de plein droit la compétence de la Cour pour connaître des requêtes émanant des autres Etats parties, de la Commission ou des organisations intergouvernementales africaines116(*). A contrario, ils doivent expressément consentir à la saisine directe par les individus et les organisations non gouvernementales. L'article 34, 6) du Protocole dispose à cet effet qu'« à tout moment à partir de la ratification du présent Protocole, l'Etat doit faire une déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes énoncées à l'article 5(3) du présent Protocole. La Cour ne reçoit aucune requête en application de l'article 5, 3) intéressant un Etat partie qui n'a pas fait une telle déclaration »117(*). C'est la règle de la déclaration facultative d'acceptation de la compétence de juridiction. Elle se présente comme un frein pour l'accès de l'individu à l'office du juge.

Objet de critiques récurrentes, elle fut attaquée à l'occasion de l'affaire Femi Falana c. Union Africaine118(*). Le requérant contestait à l'occasion la compatibilité de l'article 34, 6) du Protocole avec l'article 7 de la Charte qui garantit le droit d'accès à un tribunal119(*). Cette entreprise était vouée à l'échec pour deux raisons au moins. Au plan substantiel, l'article 7 ne garantit que l'accès à un tribunal national, comme l'a vivement rappelé la Commission120(*). Au plan procédural, l'incompétence ratione personae de la Cour était manifeste, cette dernière n'étant pas habilitée à connaître de requêtes dirigées contre des entités autres que des Etats parties au Protocole. Il eut été logique que la requête soit rejetée par une simple lettre du Greffier, sans que la juridiction n'eut à en connaître. Or, non seulement elle avait accepté de l'examiner mais avait décidé en sus d'y accorder un traitement judiciaire, c'est-à-dire une procédure contradictoire composée d'une phase écrite et d'une phase orale. Les opinions jointes à la décision ont mis au jour les dissensions traversant le banc avec pour seul mérite d'attirer l'attention sur des questions que la Cour n'était de toute façon pas habilitée à trancher. Selon l'opinion commune à trois juges, l'article 34, 6) n'était pas applicable en l'espèce121(*).

Pour autant, subordonner la saisine par l'individu d'une juridiction internationale au consentement renforcé des Etats n'est en rien une spécificité africaine122(*). Une exigence similaire a longtemps conditionné l'accès à la Cour européenne123(*) et est toujours en vigueur devant la Cour interaméricaine124(*). Elle n'est pas une réminiscence du passé liée à la lente constitution de la protection internationale des droits de l'homme. De futures juridictions internationales partagent déjà ce trait caractéristique : l'accès de l'individu à la Cour arabe des droits de l'homme125(*) n'y sera conçu que comme un processus médiat, soit par endossement de l'Etat126(*), soit par la représentation du requérant par une ONG, ce qui supposera toutefois dans ce dernier cas que l'Etat défendeur ait préalablement accepté cette possibilité127(*).

La portée réelle du caractère restrictif de l'article 34, 6) doit plutôt être appréciée à l'aune des accords d'intégration économique conclus entre Etats africains. En effet, la Cour n'a pas le monopole du contrôle des droits garantis par la Charte. Les juridictions établies dans le cadre des huit communautés économiques régionales reconnues par l'Union africaine sont également susceptibles de disposer d'une compétence implicite ou explicite en la matière128(*). Implicitement, lorsque l'exécution des obligations économiques du traité est conditionnée au respect de la Charte africaine. C'est le cas du Traité du marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA) qui institue une Cour de justice129(*), de l'ancien Tribunal de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC)130(*) et de la Cour de justice instituée par le Traité établissant la Communauté de l'Afrique de l'Est (CAE)131(*). Le traité ouvre également la possibilité de doter cette dernière d'une compétence spéciale en matière de protection des droits de l'homme par l'adoption ultérieure d'un protocole132(*).Toutes ces juridictions spécialisées, ajoutées à la CJ CEDEAO ont pour point commun de ne pas requérir le consentement préalable de l'Etat défendeur pour l'examen des requêtes individuelles.

Il faut admettre que le filtre de l'article 34, 6) ne constitue donc ni un trait propre au système africain de protection des droits de l'homme, ni un obstacle illicite à l'accès des individus à la Cour. Il faut à présent explorer la piste de la saisine indirecte pour le compte de l'individu

* 116 Protocole portant statut de la Cour africaine de justice et des droits de l'homme, art. 5, 1), 2).

* 117 Disposition reconduite à l'identique pour la future Cour : Protocole portant statut de la Cour africaine de justice et des droits de l'homme, art. 8, 3) : « Tout Etat partie, au moment de la signature ou du dépôt de son instrument de ratification ou d'adhésion, ou à toute autre période après l'entrée en vigueur du Protocole peut faire une déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes énoncées à l'article 30 (f) et concernant un Etat partie qui n'a pas fait cette déclaration ».

* 118Cour ADHP, Femi Falana c. Union Africaine, requête n° 001/2011, décision du 26 juin 2012, §§ 63-73.

* 119Confer Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, art. 7, 1), a) : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : (...) le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur ».

* 120 La Commission avait été saisie suite à la suspension du Tribunal de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) consécutive à des décisions rendues en défaveur du Zimbabwe. Les requérants soutenaient que la décision des organes de la SADC de suspendre le Tribunal portait atteinte au droit d'accès à un tribunal garanti par l'article 7 de la Charte. Cela sera dénié très fermement par la Commission : « Les termes de l'Article 7, 1), a) de la Charte indiquent eux-mêmes clairement que la disposition envisage le droit des individus d'avoir accès à une juridiction nationale (...) », voir Communication 409/12, Luke Munyan du Tembani et Benjamin John Freeth (représentés par Norman Tjombe) c. Zimbabwe et treize autres, 54è session ordinaire, 22 octobre-5 novembre 2013, décision du 30 avril 2014, para. 135-145, spéc. par. 138.

* 121 Ils soutenaient en effet que dans la mesure où l'article 34, 6) refuse l'accès direct des individus à la Cour, ce que la Charte ne leur refuse pas, cet article, loin de constituer une mesure supplémentaire pour améliorer la protection des droits de l'homme, comme prévu à l'article 66 de la Charte, fait exactement le contraire. Il est en contradiction avec l'objectif, la lettre et l'esprit de la Charte car elle empêche la Cour de connaître des requêtes introduites par les individus contre un Etat qui n'a pas fait la déclaration, même lorsque la protection des droits de l'homme inscrits dans la Charte, est en jeu. Nous estimons donc qu'il est incompatible avec la Charte. Nous le disons, étant pleinement conscients de l'article 30 de la Convention de Vienne sur le droit des traités relatifs à l'application des traités successifs portant sur le même objet. « Nous sommes d'avis que cet article n'est pas applicable en l'espèce, étant donné que nous n'avons pas affaire à deux traités, mais plutôt à un seul (la Charte) et un simple protocole y relatif (le Protocole) ». Confer Cour ADHP, Femi Falana c. Union Africaine, requête n° 001/2011, préc., opinion individuelle commune aux juges Sophia A. B. AKUFFO, Bernard M. NGOEPE, Elsie N. THOMPSON, para.16.

* 122 SARKIN (J.), « The Role of Regional Systems in Enforcing State Human Rights Compliance : Evaluating the African Commission on Human and People's Rights and the New African Court of Justice and Human Rights with Comparative Lessons from the Council of Europe and the Organization of American States », Inter-American and European Human Rights Journal, vol. 1, 2008, pp. 199-242.

* 123 Voir l'article 46 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et, avant son entrée en vigueur, le Protocole n° 11 qui ont restructuré le mécanisme de contrôle établi à cet effet.

* 124 Convention américaine des droits de l'homme, art. 62.

* 125 Décision du Conseil de la Ligue des États arabes au niveau des ministères des Affaires étrangères, séance (142), n° 7790, E.A (142) C 3, du 07/09/2014. Sur la Cour, voir MAJZOUB (T.), QUILLERE MAJZOUB (F.), « De l'utilité de la future Cour arabe des droits de l'homme : de quelques réflexions sur son Statut », Revue trimestrielle des droits de l'homme, vol. 26, 2015, pp. 645-671 ; MAJZOUB (T.), QUILLERE MAJZOUB (F.), « La future Cour arabe des droits de l'homme : des espoirs à la déconvenue », RGDIP, vol. 119, n° 2, 2015, pp. 361-382 ; MIDANI (M. A.), « Le mécanisme de la Charte arabe des droits de l'homme de 2004 et la création d'un organe de contrôle : la Cour arabe des droits de l'homme », in DIZDAREVIC (A. S.), KOUSSETOGUE KOUDE (R.) (dir.), Les droits de l'homme : défis et mutations. Actes des travaux marquant le XXVe anniversaire de l'IDHL, Paris, L'Harmattan, 2013, pp. 101-113.

* 126 Statut de la Cour arabe, 7 septembre 2014, art. 19, para. 1 : « L'État partie dont l'un de ses ressortissants prétend être une victime de violation de l'un des droits de l'homme, a le droit de recourir à la Cour à condition que l'État requérant et l'État défendeur fassent parties du Statut, ou qu'elles aient accepté la compétence de la Cour en vertu de l'article 20 du Statut ».

* 127 Statut de la Cour arabe, 7 septembre 2014, art. 19, para. 2 : « Les États membres peuvent, en cas de ratification ou adhésion au Statut ou à tout moment par la suite, accepter le fait qu'une ou plus d'organisations nationales non-gouvernementales autorisées et travaillant dans le domaine des droits de l'homme du même État dont l'un de ses ressortissants prétend être une victime de violation d'un droit des droits de l'homme, puissent avoir recours à la Cour ».

* 128Voir la Cour de Justice de la CEEAC, Traité instituant la Communauté Economique des Etats de l'Afrique Centrale, 18 octobre 1983, art. 16-18. Voir également la Cour maghrébine de justice de l'UMA créée par le Traité instituant l'Union du Maghreb Arabe, 17 février 1989, art. 13, qui ne prévoit pas l'accès de l'individu au prétoire de la Cour. Sur cette dernière Cour, voir BOUONY (L.), « La Cour maghrébine de justice », Revue belge de droit international, 1993/2, pp. 360-361.

* 129 Traité du marché commun de l'Afrique orientale et australe, Chapitre V (art. 19-44), spéc. art. 23 (compétence générale de la Cour) et art. 26 (saisine par les personnes morales et physiques). Voir également l'article 6, e) du traité qui dispose que dans la poursuite des objectifs et buts du traité, les Etats conviennent de la « reconnaissance, promotion et protection des droits de l'homme et des peuples, conformément aux dispositions de la Charte africaine des droits de la personne humaine et des peuples ».

* 130 Le Tribunal est prévu par l'Article 9(f) du Traité de la SADC. Le Protocole portant création du Tribunal et ses Règles de Procédures ont été adoptés en 2000 et sont entrés en vigueur en 2001. Le Tribunal est devenu opérationnel en novembre 2005 et prêt à recevoir des affaires en mars 2007. Le Traité ne fait pas référence à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, mais il engage les parties au respect des droits de l'homme, à la démocratie, à l'Etat de droit, à la non-discrimination. Le Tribunal de la SADC fut toutefois suspendu à la demande du Zimbabwe. Sur ce processus, voir EBROBRAH (S. T.), NKHATA (M. J.), « Is the SADC Tribunal Under Judicial Siege in Zimbabwe? Reflections on Etheredge v. Minister of State for National Security Responsible for Lands, Land Reform and Resettlement and Another », Comparative and International Law Journal of Southern Africa, vol. 43, n° 1, 2010, pp. 81-92 ; RUPPEL (O.), « The Southern African Development Community (SADC) and its Tribunal : Reflexions on a Regional Economic Communities' Potential Impact of Human Rights Protection », Verfassung und Recht in Übersee, vol. 42, n° 2, 2009, pp. 173-186 ; JONAS O., « Neutering the SADC Tribunal by blocking Individuals' Access to the Tribunal », International Human Rights Law Review, vol. 2, n° 2, 2013, pp. 294-321.

* 131Treaty establishing the East African Community, 30 novembre 1999, art. 9. Sur les attributions de la Cour, voir, dans le même texte, Chapitre 8, art. 23-46, spéc. art. 27, 2) (possibilité pour les Etats parties d'adopter un Protocole ouvrant la compétence de la Cour de justice à la protection des droits de l'homme), art. 30 (accès de l'individu au prétoire de la Cour). Voir également les Règles de procédures de la Cour dans leur dernière version (2013). En doctrine, se référer à LAWENA (S.), « The Human Rights Jurisdiction of the East African Court of Justice: Challenges and Prospects », Journal of African and International Law, vol. 6, n° 1, 2013, pp. 119-190; POSSI (A.), « The East African Court of Justice: Towards Effective Protection of Human Rights in the African Community », Max Planck Yearbook of United Nations Law, vol. 17, 2013, pp. 173-195.

* 132Treaty establishing the East African Community, préc., art. 27, 2).

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984